L'institution Archives du Maroc vient d'ouvrir ses portes au public le 10 juin dernier à l'occasion de la journée mondiale des archives. Elle se situe à quelques encablures de Bab Rouah, avenue Ibn Battouta, entre la Faculté de Lettres de Rabat et l'ancien siège de la Bibliothèque Générale et actuelle annexe de la BNRM. Les nouveaux locaux constituaient à l'origine une aile de l'ancienne Bibliothèque Générale à l'abandon et servant de débarras. Ils ont fait l'objet de travaux de réfection et de réaménagement qui ont duré une année grâce à une aide de l'Union Européenne. Cela a permis d'avoir notamment, en plus des structures de stockage des archives, une salle de consultation, une galerie d'exposition et une salle polyvalente pour l'animation de rencontres. Une cérémonie a été organisée pour inaugurer officiellement l'ouverture au public de cette nouvelle institution créée à la suite de la promulgation de la loi 69/99 le 30 novembre 2007 en application des recommandations de l'Instance Equité et Réconciliation (IER). Celle-ci avait souligné l'importance stratégique de la création d'une telle institution et la nécessité de la conservation des archives dans un Etat de droit. Un directeur de cette institution a été nommé le 30 mars 2011, M. Jamaa Baida professeur en histoire contemporaine. On sait que les archives au Maroc, depuis l'indépendance ont été délaissées soit de 1956 à 1999. Deux occasions au moins ont pu rappeler la gravité de cette négligence comme cela avait été rappelé lors du colloque «Archives nationales états des lieux et perspectives» tenu le 30 novembre 2011. D'abord au début des années 1970 quand le Maroc devait récupérer ses provinces du Sud, Saquiet El Hamra et Oued Ed-Dahab, ensuite lors de la création de l'Instance Equité et Réconciliation. A chacune de ces occasions il fallait recourir aux archives comme outils fondamental et incontournable. Dans la Déclaration Universelle sur les Archives de l'Unesco du 10 novembre 2011, on peut lire notamment: «L'accès le plus large aux archives doit être maintenu et encouragé pour l'accroissement des connaissances, le maintien et l'avancement de la démocratie et des droits de la personne, la qualité de vie des citoyens». Dans l'entretien suivant, M. Jamaa Baida, directeur des Archives du Maroc nous parle de la mise en service de cette nouvelle institution et des attentes pour le domaine de la conservation des archives et leur mise à disponibilité au public. Q : Enfin , on peut dire aujourd'hui que les Archives du Maroc avec l'inauguration du siège passe d'institution virtuelle à du concret ? R : Oui, après une année de travaux d'aménagement des locaux, l'institution ouvre enfin ses portes au public. Comme vous le savez, une cérémonie d'inauguration officielle des locaux s'est déroulée le lundi 10 juin. Nous avons choisi cette date pour faire coïncider l'inauguration officielle de l'ouverture des Archives du Maroc au public avec la Journée internationale des Archives qui intervient normalement le 9 juin. Comme c'est un jour férié, nous avons organisé la cérémonie le lundi 10 juin pour donner une portée intéressante à cet événement. Par ailleurs, nous voulions sensibiliser également les gens pour une culture des archives qui restent un maillon faible dans nos sociétés. Dans ce sens, nous avons organisé une table ronde sur la Déclaration Universelle sur les Archives qui a été adoptée par l'Unesco le 10 novembre 2011. Il y a eu un débat autour de cette Déclaration, la finalité étant de la faire connaître au grand public. A cette occasion, une Convention de partenariat a été signée par Archives du Maroc et la Fondation OCP pour nous accompagner dans ce démarrage en ce qui concerne la sécurisation des archives. Parallèlement, il y a eu le vernissage d'une exposition sur « Rabat , capitale du Maroc- Rabat, patrimoine mondial. Q : Est-ce qu'il s'agit de la même exposition de la BNRM? R : Non c'est une exposition propre aux Archives du Maroc. C'est un projet que j'avais personnellement exposé au premier Conseil d'administration de notre institution qui a eu lieu le 24 août 2011, donc bien avant l'annonce de la consécration de la ville de Rabat comme patrimoine mondial par l'Unesco. Seulement, nous n'avions pas les moyens pour monter cette exposition et le dossier était donc resté dans les tiroirs. Dans les travaux d'aménagement des locaux, nous avons prévu une galerie d'exposition des archives ouverte au public. L'exposition sur Rabat inaugure l'ouverture officielle de cette galerie, la Galerie des Archives, avec un fonds iconographique et des films en projection. Cette galerie abritera désormais des expositions temporaires liées aux archives iconographiques ou autres. L'expo reste ouverte au public et sera suivie par d'autres expositions thématiques liées aux archives. La galerie est pour nous un moyen de sensibilisation du grand public. Q : Quels services seront rendus par les Archives du Maroc? R : Les chercheurs de tous les horizons peuvent solliciter nos services il suffit que nous ayons la matière pour la mettre à leur disposition suivant la demande. Quiconque s'intéresse à une région donnée, une ville, une localité dans l'intention de faire une étude, écrire un article, nous devrions pouvoir lui donner de la matière archivistique nécessaire pour rassembler des données et satisfaire sa curiosité de chercheur. Bien entendu, nous n'avons pas encore rassemblé toutes les archives. Les locaux dont nous disposons actuellement ne répondent pas aux normes. Q : En termes de capacité? R : En termes de capacité et même pour les normes internationales. C'est pour cela d'ailleurs que nous avons sollicité la Fondation de l'OCP pour nous accompagner. Q : Quel est le fonds d'archives dont vous disposez actuellement? R : Nous avons quelques deux milles mètres linéaires d'archives essentiellement de la période du Protectorat. Les archives du Protectorat, c'est souvent celles des Directions : Direction des Eaux et Forêts, Direction de l'Intérieur etc. Les municipalités aussi, nous disposons pour la même période d'un fonds riche ; par exemple, quelqu'un qui s'intéresse à une ville marocaine, il peut trouver des données d'archives intéressantes pour certaines périodes du moins. Q : On en parle beaucoup sans avoir de données ou estimations. Quel état des lieux du passif lourd des archives au Maroc ? R : Je ne peux pas dire quelque chose de très précis à ce propos. Nous avions en effet un projet d'une étude sur l'état des lieux des archives au Maroc à réaliser et qui devait prendre une à deux années de recherche. C'était dans le cadre d'une collaboration avec l'Union Européenne, mais la démarche a échoué pour une question de bureaucratie. Q : Quelles sont les difficultés ? Est-ce que c'est en rapport avec la quantité du fonds d'archives reçu et difficilement gérable ou avec la qualité de formation des ressources humaines appelées à en prendre soin? R : Les deux volets sont liés je peux dire. L'institution est toute jeune, ça fait un an et demi qu'elle existe. Le personnel est limité, nous sommes 24 personnes aujourd'hui, nous serons 37 avant la fin de l'année. Nous avons pour l'essentiel des informatistes, lauréats de l'Ecole des Sciences de l'Information. Ce sont des jeunes très dynamiques, mais ils ont beaucoup plus un bagage théorique que pratique du fait qu'ils n'avaient jamais fait du terrain auparavant. Ce service n'ayant jamais existé dans le passé, une prestation d'archives pour le public c'est nouveau. Nous ferons tout pour assurer à notre personnel une formation continue pouvant le rendre plus efficace ; cela est possible par le biais de la coopération internationale. Q : Quels rapports avec les administrations pourvoyeuses d'archives ? R : Il y a une circulaire du chef du Gouvernement, en date du 6 octobre 2011, qui organise le rapport d'Archive du Maroc avec les administrations, en attendant les décrets d'application prévus par la loi du 30 novembre 2007 relatives aux archives. Parce qu'on a pris conscience des limites de notre action, cette circulaire est venue pour rappeler à toutes les administrations qu'il existe une institution en charge des archives, qu'elles ont le devoir de désigner des interlocuteurs professionnels pour qu'ils soient en contact avec l'institution. Objectif : prendre grand soin des archives en les mettant dans un lieu approprié en attendant que cette nouvelle institution qui est Archives du Maroc ait la capacité de recevoir. Q : Comment justement faire face à ces stocks d'archives qui doivent venir? R : Nous envisageons l'acquisition d'un terrain de deux hectares et demi à Technopolis, tout près de l'Université Internationale de Rabat. Ce sera pour construire le vrai centre d'Archives du Maroc. Les centres d'archives nationaux dans le monde sont immenses. Ici, dans ces locaux qui viennent d'être inaugurés, c'est juste une sorte d'appartement témoin si l'on peut dire. Ici nous nous entraînons pour faire nos armes. Avec la réalisation du projet sur deux hectares et demi pour recevoir une très grande institution, aux standards internationaux, les données seront différentes. Pour ce projet, il y a déjà l'approbation du Chef du gouvernement, le dossier est à l'étude au ministère des Finances. Q : Quelles sont les attentes prochaines pour les Archives du Maroc ? R : Nous avons adressé au Chef du gouvernement un projet de mise en place d'un Conseil national des archives. Pourquoi? Pour la simple raison qu'il y a un passif lourd à assainir et que l'institution Archives du Maroc a une vocation transversale sur les ministères et administrations. Ainsi, pour qu'elle ait un poids intéressant et être efficace, j'ai proposé au Chef du gouvernement la création d'un Conseil national où seraient impliqués au plus haut niveau tous les départements et ministères sous sa présidence à lui ; en d'autres termes les décisions prises sont appliquées à tout le monde. Le projet est à l'étude. C'est une attente parce que cela va résoudre énormément de problèmes. Deuxième chose, on doit faire très attention pour la régionalisation avancée où le volet archives devrait être pris particulièrement en ligne de compte. Cela répondra a l'identité des régions, chacune devant faire prévaloir son identités et ses spécificités qui émanent en bonne partie des archives. Bien que nous soyons ici à Rabat pour chapeauter tout, cela ne veut pas dire forcément qu'on doit tout faire. Non seulement cela répond à des attentes régionales patrimoniales identitaires et même politiques, mais ça pourrait conséquemment aussi alléger notre fardeau et préserver le patrimoine archivistique national des risques naturels de détérioration. Il est sage de ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier. Ainsi les archives régionales pourraient être gérées sur place sous la houlette des Archives du Maroc.