Problématique rentrée scolaire pour les enseignants syndiqués des écoles du système d'enseignement catholique (ECAM) à Rabat, qui se sont vus refuser l'entrée des établissements scolaires où ils enseignent, certains depuis plus de vingt ans. Le comble, c'est l'intervention du représentant de l'autorité locale d'Agdal, qui a déployé des agents des forces auxiliaires à l'entrée de l'école «Notre Dame de la paix» pour empêcher l'entrée des enseignants «indésirables», dont il détient une liste de 32 noms travaillant dans ladite école et 8 autres de l'école «Jeanne D'Arc», tous syndiqués. Ces mêmes enseignants ont également eu droit à des interrogatoires individuels dans le pur style inquisition, mené par le secrétaire général de l'ECAM, avec des questions du genre «qui vous a incité à vous syndiquer ?» Dire que l'on croyait cette époque depuis bien longtemps révolue... Dénoncer le déni de leurs droits dans la presse, c'est ce à quoi les enseignants syndiqués des écoles du système de l'Enseignement Catholique au Maroc (ECAM) à Rabat ont fini par se résoudre, en désespoir de cause. Jusqu'à présent, aucune démarche officielle n'a pu satisfaire leurs revendications. Car, du côté du secrétariat général de l'ECAM comme du Diocèse de Rabat, ils n'ont cessé d'essuyer des fins de non-recevoir. Et ce malgré le recours à l'inspection du travail et le traitement du différent par la Commission nationale d'enquête et de conciliation, dépendante du Ministère de l'emploi et de la formation professionnelle. «Le problème a commencé en 2006/2007», raconte un enseignant de l'école «Notre Dame de la Paix» de Rabat, venu à la rédaction de l'Opinion avec une collègue. «Nous avons toujours travaillé sous contrat à durée déterminée. Certains d'entre nous sont dans cette situation depuis 20 ans, voir 30 ans. A chaque rentrée scolaire, nous signons un nouveau contrat. Alors que selon la loi, après deux années sous contrat à durée déterminée, l'employeur se doit de conclure un contrat à durée indéterminée avec son employé». Mais les enseignants des écoles du système d'enseignement catholique au Maroc n'étaient pas à bout de leurs ennuis. Depuis que le Père Marc Boucrot est devenu secrétaire général de l'ECAM, leur situation n'a fait qu'empirer. «Il a fait baisser le nombre d'heures de travail de 30 heures à 24 heures par semaine», explique une enseignante du même établissement scolaire. «Cette réduction s'est faite en deux étapes. La première fois, nous sommes passés de 30 heures à 27 heures de travail payés, puis la fois suivante, nous sommes passés de 27 heures à 24 heures. A chaque fois, nous étions obligés de signer le nouveau contrat avec les nouvelles dispositions qui réduisaient nos salaires, et ce sous la menace de renvoi. En fait, nous travaillons bien 30 heures par semaine, mais nous ne sommes payés que pour 24 heures. Les heures de garde des élèves que les enseignants assurent, comme celles du repas de midi, ne sont plus payées. Avant ce chamboulement provoqué par le Père Boucrot, nous travaillions 30 heures et nous étions normalement payés pour ce faire». «Nous ne voulions pas nous laisser faire», souligne l'enseignant de l'école «Notre Dame de la Paix», qui accumule une vingtaine d'années de carrière dans cet établissement. «Deux enseignants sont allés demander conseil à l'inspection du travail. Sauf que le fonctionnaire qui les a reçus, dans les escaliers je tiens à préciser, leur a dit que leur employeur était en droit de leur réduire le temps de travail. C'est ce qui nous a poussés à signer le nouveau contrat au nombre d'heures de travail réduit». Mais comme les enseignants de l'ECAM étaient convaincus de la justesse de leur cause et de la légitimité de leurs revendications, ils ont décidé de se syndiquer, pour mieux défendre leurs droits. «Au mois d'avril de l'année dernière, nous avons appris que les enseignants de l'école «Jeanne d'Arc», qui fait également partie des établissements du système de l'enseignement catholique au Maroc, se sont syndiqués. Leur décision était consécutive à l'affaire de l'ancienne directrice non diplômée de cette école, qui a provoqué d'ailleurs le départ de cette dernière de son poste. Nous avons alors décidé d'en faire de même. Nous-nous sommes syndiqués en groupe. Tous le personnel de l'école «Notre Dame de la Paix», des enseignants jusqu'aux agents d'entretien, a adhéré au syndicat. Il faut préciser que de tous les établissements de l'enseignement catholique à Rabat, les enseignants et le reste du personnel de l'école «Notre Dame de la Paix» étaient les plus lésés. A diplôme égal et nombre d'années de travail égales, un enseignant de l'école «Jeanne d'Arc» est ainsi mieux payé que son collègue de l'école «Notre Dame». Et la différence n'est pas négligeable, elle peut atteindre les deux mille Dirhams». «Nous avons d'abord créé une section syndicale qui regroupait les trois écoles de l'enseignement catholique à Rabat», précise l'enseignante, qui a requis l'anonymat, tout comme son collègue. «Toutefois, les membres du personnel de l'école Jeanne D'arc ne sont pas tous restés. Certains ont été menacés de représailles s'ils ne renonçaient pas à leur appartenance au syndicat, d'autres ont été tout simplement soudoyés. Maintenant, de l'école «Jeanne d'Arc», il ne reste plus dans la section syndicale que douze personnes et de l'école «Saint Gabriel», dix personnes. Nous, enseignants et personnel de l'école «Notre Dame de la Paix», nous avons été trente deux à avoir rejoint la section syndicale et aucun d'entre nous n'a reculé depuis lors. Nous constituons donc le noyau dur de la section syndicale. «Nous avons commencé à organiser des sit-in de protestation, dont l'un en face de l'archevêché. Quand nous avons contacté l'Archevêque de Rabat, Mgr Vincent Landel, pour nous plaindre de notre situation et du refus de dialoguer du Père Boucrot, il nous a répondu qu'à partir du moment où nous nous sommes syndiqués, il ne pouvait plus rien pour nous», se rappelle l'enseignante avec amertume. «Père Boucrot a fini par accepter que l'on se réunisse pour traiter de nos revendications, ce qui est arrivé le 10 juin 2011 au siège du syndicat», reprend l'enseignant. «A cette réunion avait pris part le Père Boucrot et Mlle Cristel Laurent, en tant que représentants de l'ECAM, des représentants des employés de l'ECAM ainsi qu'un membre du bureau régional du syndicat. Nous avions alors conclu un accord dont les termes sont spécifiés sur le PV de la réunion. L'accord a porté sur neuf points. Cela allait de la lettre d'engagement, dont la forme devait être révisée, à l'augmentation des salaires, en passant par les indemnités pour les heures supplémentaires, l'adaptation du règlement intérieur au nouveau code du travail, le respect du droit syndical, l'abandon des sanctions contre trois enseignants, l'adhésion à la Fondation Mohammed VI et l'accès au contrat d'assurance qui lie l'ECAM à une compagnie privée, pour pouvoir en comparer les dispositions avec celle de l'Assurance maladie obligatoire (AMO). Il faut indiquer à ce sujet qu'on a toujours refusé de montrer au personnel des trois écoles de l'ECAM de Rabat le contrat d'assurance signé avec la compagnie AXA». L'extrait introuvable de la lettre royale «Nous devions régler tout ces problèmes en suspend, progressivement et sans heurts. Nous avons donc entamé cette nouvelle étape avec beaucoup d'espoir, malheureusement, les dérobades et les premiers coups bas n'ont pas tardé. Aucun des enseignants et des membres du personnel syndiqués n'ont ainsi pu profiter d'une augmentation de 600 Dhs accordée par l'Etat. Pire encore, même si nous continuons à nous faire prélever sur nos salaires les cotisations de l'assurance maladie, nous ne bénéficions plus de la couverture médicale». Sûrs de leur bon droit, les enseignants syndiqués des établissements de l'enseignement catholique au Maroc ont cependant continué à militer pour la satisfaction de leurs revendications. «La délégation du travail, que nous avons contacté suite au non respect de l'accord conclu et à la détérioration de la situation, nous a dirigés vers la commission régionale d'enquête et de réconciliation, qui a organisé une réunion au siège de la Wilaya. Là encore, Père Boucrot s'est engagé à satisfaire une partie de nos revendications. Mais ce dont nous convenions ensemble en réunion était systématiquement renié aussitôt après. Ce qui nous a poussés, par la suite, à porter ce conflit devant la commission nationale d'enquête et de réconciliation. Deux réunions ont été programmées par cette instance, sauf que le Père Boucrot n'y a pas assisté les deux fois de suite. La première fois, il a demandé un report, par voie de fax. La seconde fois, le Père Boucrot a trouvé une nouvelle parade. Il a invoqué la lettre adressée par feu Hassan II au Pape Jean Paul II en décembre 1983». Il est intéressant à ce sujet de souligner que dans l'édition 2012 du règlement intérieur des établissements scolaires de l'ECAM, plus exactement dans son article premier, est cité un passage de la dite lettre royale au chef de l'Eglise de Rome, qui stipule: «Les établissements d'enseignement catholique au Maroc, relevant de l'Eglise catholique, sont considérés comme des établissements étrangers, ayant leur organisation propre, et ne sont pas soumis aux dispositions de la loi formant statut juridique de l'enseignement privé. Or, nous avons eu beau lire et relire cette lettre royale, pas de trace de ce fameux passage ! Il y est bien stipulé le droit de l'Eglise catholique de créer des associations à but éducatif, entre autres, au Maroc et de l'exonération fiscale des religieux, religieuses et assimilés qui exercent leurs activités dans des établissements éducatifs relevant de l'Eglise catholique. Mais nul part il n'est question de considérer les établissements scolaires de l'ECAM comme étrangers. L'Eglise catholique est propriétaire des locaux des établissements de l'enseignement privé qui en relèvent, mais les élèves sont marocains, le programme scolaire qui leur est enseigné est celui du département de l'éducation nationale et le personnel enseignant est marocain. Sur le site web de l'ECAM, il est aussi précisé que «les relations de l'ECAM avec le ministère de l'Education Nationale sont bonnes, en particulier avec la division du Ministère qui est en charge de l'enseignement privé». «Nous avions accepté de signer le contrat qui réduisait le nombre d'heures de travail en y mettant des réserves, ce dont nous avons prévenu le Père Boucrot par courrier, également adressé à la délégation du travail», continue l'enseignante. «Concernant la prochaine rentrée scolaire, le Père Boucrot nous avait envoyé une lettre pour nous pousser à signer à nouveau le même contrat de 24 heures de travail par semaine, avec une date limite fixée au 15 juin 2012. Après quoi, il aurait été considéré que nous avons renoncé à travailler dans les établissements scolaires de l'ECAM. Cette fois, nous nous sommes adressés à un avocat, qui s'est chargé de prévenir le Père Boucrot par courrier que nous n'allons pas signer ce contrat qui renie nos droits, tout en nous engageons à continuer à travailler dans l'établissement scolaire «Notre Dame de la Paix» l'année prochaine et les années suivantes. Nous avons également signé des engagements personnels à continuer à exercer nos fonctions l'année prochaine et les années suivantes, documents que nous avons légalisé et fait parvenir au Père Boucrot par huissier de justice, et ce avant le 15 juin. Sa réaction a été de nous envoyer une mise en demeure par l'intermédiaire de l'avocat de l'ECAM». «Il a inventé un nouveau règlement interne, à travers lequel il essaye d'imposer par voie réglementaire sa vision sur les sujets qui nous opposent», s'insurge l'enseignant. Il est à préciser que le Père Marc Boucrot vient d'être distingué, le 5 juillet dernier, par le ministre de l'éducation nationale français, qui lui a discerné les «Palmes académiques».