«Nous avons créé de l'eau toute chose vivante », dit le célèbre verset coranique. De don divin sacré à l'origine, l'eau est la moins respectée dans les faits étant souillée, polluée par les déchets des villes, par les usines qui versent leur rejets industriels dans les cours d'eau, marchandisée au prix fort souvent aux dépens des plus pauvres, gaspillée par les uns et objet de privation et d'exclusion pour d'autres. Les uns la boivent minérale « luxueusement » embouteillée, d'autres dans des robinets rouillés et pire, dans le monde rural, il arrive que des habitants la quêtent péniblement comme denrée rare dans des puits taris et autres lacs bourbeux pour étancher leur soif. A Casablanca, l'un des plus grands projets de réhabilitation et mise à niveau des infrastructures d'assainissement et d'eau potable est celui de la medina, projet en cours de réalisation et qui doit s'achever fin 2013. Ce projet d'un budget de 30 milliards englobe donc en partie des travaux de renouvellement des infrastructures des eaux usées et eaux potables. Ces travaux à l'origine devaient être effectués par Lydec en charge de la gestion déléguée de l'électricité, eau et assainissement depuis 1997 dans la capitale économique. Le retard dans la réhabilitation du réseau (bien pointé du doigt dans le rapport de la Cour des comptes en 2009 après douze longues années de gestion déléguée) c'est justement de lui dont il est question dans des propos tenus par les abonnés, retard qui rend possible la pollution de l'eau par les métaux dégradés des canalisations d'acheminement de l'eau des réservoirs d'eau vers les abonnés d'où le phénomène des eaux rouges du fait de la rouille. D'où aussi la plainte d'un élu de Casablanca contre Lydec, plainte déposée il y a un an et qui vient d'être acceptée par le tribunal administratif. Eau du robinet A cause de la dégradation des infrastructures anciennes non rénovées, l'eau du robinet a mauvaise presse. Celle-ci est brusquement accentuée depuis que des suspicions ont fait tâche d'huile sur sa qualité pourtant certifiée comme « non nuisible à la santé » du consommateur par les instances compétentes de la Santé pour le cas de Rabat-Salé où l'eau durant le mois d'août dernier avait une odeur et un goût de renfermé. La même histoire d'odeur et de goût de remugle a concerné Casablanca et Mohammedia depuis le mois de juillet quoique pas avec la même intensité. Il s'agit ici d'un problème qui provient des bassins hydrauliques qui approvisionnent les villes, Bouregreg et Oum Rbii et non du réseau urbain. En clair, ici le distributeur de l'eau en ville n'est pas en cause quoiqu'on évoque un autre phénomène : les eaux stagnantes (Lire entretiens ci-contre). Selon le Pr Salah Souabi, enseignant en chimie à la Faculté des Sciences techniques de Mohammedia, cela n'est pas nouveau car il s'agit uniquement d'une « accentuation due à la sécheresse et à la hausse de la temperature, ce qui entraîne le phénomène d'eutrophisation », constat déjà largement expliqué auparavant par les responsables de la Santé dans une communication officielle. Le souci pour la qualité de l'eau du robinet ne date pas d'aujourd'hui. Dans des résidences d'appartements en copropriété qui datent à peine d'une dizaine d'années, des soucis sont partagés par nombre d'abonnés de l'eau à propos de la qualité des tuyauteries d'eau potable qui s'oxydent et laissent couler des débris de métaux en minuscules particules. Que dire des habitations plus anciennes de nombreux quartiers ? Que dire des canalisations vétustes qui dépendent de Lydec pour acheminer l'eau des réservoirs vers les quartiers et les maisons ? Ainsi, on relève le même témoignage comme le suivant provenant d'un habitant d'une résidence : « Dans notre quartier d'appartements en copropriété, on s'est rendu compte de l'existence de plusieurs choses pas conformes comme par exemple certains matériaux de construction bon marché et les tuyauteries d'eau potable en fer. Il fallait attendre quelques trois ou quatre ans pour se rendre compte que l'eau du robinet était d'une couleur suspecte. Chaque matin tout le monde se rend compte que les eaux sont d'une couleur sombre. Quand il y a coupure d'eau c'est pire, l'eau au retour de fonctionnement est pratiquement noire, il faut laisser couler l'eau pendant un moment, quelques minutes pour qu'enfin l'eau revienne à une couleur plus claire. Il fallait faire appel au plombier pour changer les tuyaux et les remplacer par d'autres en caoutchouc. Plus on est situé sur les étages, plus les travaux sont coûteux car il faut creuser les murs, ce qui n'est pas une mince affaire. Beaucoup de gens n'ont pas les moyens et certains peuvent attendre des années dans la même situation avant de pouvoir agir ». Mais il y a aussi et surtout, au-delà du domicile, les canalisations d'eau potable qui dépendent de Lydec et qui n'ont pas été changés depuis des décennies. Les programmes de renouvellement ne sont pas exécutés partout, ce qui explique aussi la suspicion sur la qualité de l'eau et des fameuses eaux rouges. La réputation de l'eau du robinet est écornée et sa réhabilitation totale est tributaire de la mise à niveau du réseau de canalisation rénové et maintenu. Embellie de l'eau embouteillée La dépréciation insidieuse de l'eau du robinet soit pour son goût fort de chlore (eau de javelle injectée en excès), pour sa dureté du fait de forte teneur en calcaire, en sels minéraux, voire en métaux en cas de canalisations vétustes, etc., joue le jeu des marchands d'eau. Chez l'épicier du quartier, les eaux minérales et autres eaux de table ont de plus en plus de succès et commencent à susciter un engouement sensible même dans des quartiers dits populaires où l'eau du robinet est celle qu'on boit tous les jours. Le succès de l'eau embouteillée est dû soit au peu de confiance et à la hausse relative du niveau de vie, soit encore à la répulsion du goût. Il arrive que l'épicier soit en rupture de stocks de même que les grandes surfaces, du moins pour certaines marques en vogue. On assure que le consommateur est en course vers l'eau embouteillée dont les chiffres avaient explosé effectivement durant ces dernières années atteignant les 450 millions de litres vendues par an, soit une moyenne de consommation annuelle de 15 litres par habitant et un chiffre d'affaires global de 1,5 milliard de dirhams. Ce qui fait dire que la réputation de l'eau du robinet quelque peu écornée du fait de son goût qui a changé et dernièrement de son odeur, sa couleur aussi due aux canalisations vieillies, cette réputation donc favorise à terme une tendance vers la consommation massive de l'eau embouteillée et entraîne, en le forçant, un changement d'habitude de consommation. Dans les cafés à Casablanca, on vous vend le verre de café entre 12 Dh et 15 Dh, voire plus, en vous offrant une petite bouteille d'eau de table dont les cinq litres se vendent chez l'épicier entre 9 et 10 dirhams. Ça crée du « prestige » dans tel café, une table avec une petite bouteille bleue toute neuve. Rien à voir avec le sempiternel verre d'eau du robinet servi dans un café où la consommation est facturée entre 6 et 8 Dh, mais eau avec goût du chlore parfois si prononcé qu'il en devient imbuvable. Se mettant au goût du jour, des cafés font appel à des machines pour filtrer l'eau du robinet avant de la présenter au consommateur dans le fameux verre accompagnant la consommation. De l'eau de table sans pub. D'aucuns font le calcul en plaisantant entre l'eau du robinet facturée par Lydec à 9 Dh le mètre cube et l'eau de table embouteillée qui est de l'eau du robinet traitée et qu'on facture entre 1800 Dh et 2000 Dh le mètre cube en partant de la base de 9 Dh à 10 Dh la bouteille de 5 litres. De plus en plus, les épiciers de quartiers, même dans les quartiers populaires, vendent quantités d'eau embouteillée toutes marques confondues. Avec des conditions de stockage pas très regardantes sur les principes de sécurité de la qualité de l'eau denrée périssable puisqu'on peut voir des stocks de bouteilles exposés directement au soleil brûlant, ce qui est très déconseillé du fait de l'interaction entre le plastique et l'eau. Les changements de comportement n'empêchent pas la persistance de quelques résidus caducs du passé. Dans la médina de Casablanca la capitale économique ville moderne, ville des contrastes où modernité criarde peut voisiner avec archaïsme, il y a encore quelques porteurs d'eau qui la distribuent dans des bidons remplis dans la fontaine publique et transportés à bord de petites charrettes. Ce sont les tout derniers descendants d'une corporation en voie de disparition. L'un d'eux affirme distribuer l'eau jusqu'à l'avenue Prince Moulay Abdallah où curieusement quelques abonnés de Lydec créchant dans des immeubles Art Deco n'ont probablement pas encore réglé quelques factures d'eau anciennes, d'où la coupure qui ne se fait pas attendre. Le porteur dessert aussi des familles ne disposant pas d'eau courante en Ancienne médina parce que pas encore touchées par les « branchements sociaux » de même une multitude de boutiquiers. Le bidon de 12 litres est vendu à 1 Dh et la charrette transporte entre 7 et 8 bidons. « Mais cela dépend de la distance si on veut tout le chargement des 7 bidons quelque part, c'est entre dix dirhams et plus ». Un boutiquier dit ne pas résister en voyant le porteur d'eau s'amener avec ses bidons métalliques brillants qui n'en portent pas moins quelques traces de rouille : « J'apprécie cette eau de la fontaine de Boutwil, je la bois avidement, bon sang quelle fraicheur ! ». La fraîcheur c'est quand on peut asperger le devant de la boutique avec quelques brassées d'eau. Rien à voir avec une quelconque rokia propitiatoire contre le mauvais œil.