C'est un mouvement d'allure plus militante qu'attacha son nom Saiyid Ahmad de Bareilly (1786-1831), qui préconisa le recours à la guerre sainte : l'Inde étant devenue territoire de guerre (dâr harb) du fait de la conquête anglaise, c'était un devoir pour tous les musulmans que de combattre l'envahisseur. C'est surtout à partir de 1818 que Saiyid Ahmad de Bareilly s'employa à répandre ses idées de l'Inde du Nord, descendant même jusqu'à Patna et Calcutta, mais remportant ses plus grands succès dans le Bengale, s'efforçant d'installer des agents et des collecteurs de taxes dans les villes où il passait, jetant ainsi les premiers fondements de l'Etat qu'il rêvait d'instaurer. En 1831, il se rendit en pèlerinage à La Mecque ; à son retour, il lançait l'appel à la guerre sainte contre les Sikhs et se faisant reconnaître comme imam. C'est en combattant contre les Sikhs qu'il trouva la mort en 1831 (voir sur Saiyid Ahmad de Bareilly, cf. sh. Inayatu Allah, EI, 29, et sur Karamat Ali, A. Youssouf Ali, EI, II, 797-799). Ses successeurs se divisèrent. Son ancien compagnon de lutte, Nasr Al Dine Ilyas Ali, qui, en 1839, prit le parti de Dûst Mohammad, répandit l'idée que le Saiyid de Bareilly était le « Mahdi attendu » dont le retour devait présager le rétablissement de la domination musulmane dans l'Inde. Karâmat Ali (M. 1873) se refusait à voir en lui le Mahdi attendu et se bornait à le considérer comme un simple réformateur. Ce n'est que vers 1863 que l'agitation était définitivement brisée. L'appel à la guerre sainte lancé par les mujâhidiya (al-moujahid) était loin de rallier l'unanimité des docteurs de la loi, qui, dans le sunnisme (al sounniya), appartenaient, pour la plupart, à l'école hanafite. Beaucoup, en effet, tout en reconnaissant que l'Inde avait perdu, du fait de la conquête britannique, sa qualité de terre d'Islam (dar al-islam), rejetaient l'obligation du jihad, en faisant valoir que les conditions requises par Abou Hanifa Alno âme pour la justifier ne se trouvaient pas réunies. Les Musulmans n'avaient pas la possibilité d'entreprendre la guerre sainte avec quelques chances de succès. Il n'étant pas mis, par la nation occupante, dans l'impossibilité de s'acquitter de leurs obligations religieuses. La Grande-Bretagne enfin, directement reliée par la mer de l'Inde, ne pouvait être considérée comme étant séparée de cette dernière par d'autres territoires de souveraineté musulmane. C'est dans une autre direction que s'orientait, d'autre part, l'action de Siddiq Hassan Khan, mort en 1890, qui vécut de longues années au Hedjaz et au Yémen, où il s'intéressa aux idées d'Ibn Taïmiya et d'Al-Shaukani (sur Seddiq Hassan Khan (m.1307/1890) et les ahl al-Hadith, cf. sh. Inayat-Allah, EI, I, 267-268 (avec importante bibliographie). Rentré en 1861 dans l'Inde, où il épousa la princesse du Deccan, il consacra une partie de sa fortune à encourager la publication des œuvres de ces deux auteurs et d'autres représentants de l'Islam traditionaliste. Lui-même, fort érudit, écrivant en arabe, en persan et en urdu, laissa plusieurs ouvrages de doctrine, dans lesquels il se faisait le théoricien de l'ijtihad, de la nécessité de retrouver, au-delà des écoles constituées, la véritable doctrine qui ne pouvait avoir d'autres sources que le Coran et le hadith. Avec lui se renforçait, dans de nombreux milieux, l'école des gens de la tradition (ahl al-hadith), souvent accusés, par leurs adversaires, d'avoir voulu acclimater dans l'Inde le wahhabisme d'Arabie. Loin cependant de se lier à la seule doctrine d'Ahmad Ibn Hanbal ou de tout autre imam fondateur d'école, les ahl al-hadith entendaient ne prendre pour guides que le Coran et la Sunna et n'acceptaient l'accord de fait des Musulmans, sur quelque point que ce fut, que dans la mesure où cet accord reposant sur un texte explicite du Coran et du hadith. Bien d'autres idées, auxquelles Ibn Taïmiya avait attaché son nom, furent en honneur dans leur école, qui défendit une théodicée de type traditionaliste, condamna le culte des saints et mena combat contre les innovateurs jugés inacceptables. Ce réformisme traditionaliste, qui souvent compta, dans ses rangs, des hommes d'un grand talent et d'une vaste érudition, et qui contribua à remettre en honneur les sciences du hadith, mériterait de faire l'objet d'une étude approfondie. (A suivre).