Al Mahdiya (2). Son successeur, le calife Abd Allah (1885-1899), était un arabe soudanais de Dar-Fûr qui avait pris part au mouvement insurrectionnel depuis 1881. Bien que la sincérité de ses convictions ait été parfois mise en doute, le calife ‘Abd Allah apparaît, de toute évidence, comme un homme animé d'une foi profonde dans la mission du Mahdi et dans la sienne. Il s'attacha, tout à la fois, à jeter au Soudan les bases d'une organisation étatique embryonnaire et à diffuser la religion musulmane à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, allant jusqu'à inviter le Khédive Tawfiq, le sultan ‘Abd al-Hamid et la reine Victoria à adopter la foi mahdiste. (voir sur le calife ‘Abd Allah : les notes de Becker, EI, 1,28 – S. Hulelson, EIe 50-51 et sur « Uthmân Abû Bakr Digna, Dietrich, in EI, III, 1080 – J-A Reid. Some notes on the Khalifa Abdullahi, dans Sudan Notes and Records, 1938). Le calife ‘Abd Allah s'appuyait avant tout sur les gens du Dar-Fûr et, plus particulièrement, sur la tribu des Baqqâra à laquelle lui-même appartenait. Il utilisait, comme hommes de confiance, de préférence ses parents ; son frère Yâ Kub (Yâ Koub) fut un de ses collaborateurs les plus sûrs. Il semble même avoir voulu faire de son fils Uhham Shaïkh Al-Dîne (Ottman cheïkh Al-Dîne) son successeur. La plupart de ses émirs étaient des Arabes ou des hommes d'origine arabe. Le seul non-Arabe de la Mahdiya qui ait joué un rôle important, ‘Utham Abû Bakr Digna, mena la lutte contre les forces anglo-égyptiennes basées à Sawakim. Le calif ‘Abd Allah se heurta bien vite aux Egyptiens aidés par les Anglais. Il fit, sans difficulté, la conquête de Dongola et, en 1889, projeta celle de l'Egypte, sans disposer des moyens nécessaires à une telle entreprise. La défaite de Toski, le 3 août 1889, mit un terme à cette ambition et marqua le commencement de son déclin. Les mahdistes, tout en renonçant à la marche sur Le Caire, n'en continuaient pas moins de faire peser une fois, de s'emparer de Sawâkim et se heurtaient aux Abyssins. La reconquête du Soudan, liée au nom de Kitchener, fut entreprise avec des troupes égyptiennes que renforçaient contingents anglais et hindous. Commencée au printemps de l'année 1896, elle se terminait, le 2 septembre 1898, par la victoire d'Omdusman' et la reprise de Khartoum en 1899, le calife ‘Abd Allah se faisait tuer à Omm Debrikat à la tête de ses partisans. La doctrine du Mahdi (le mahdisme) mériterait de faire l'objet d'une étude approfondie qui s'attacherait, non seulement à en décrire la structure et les applications, mais aussi à en chercher les sources, dans le soufisme, sans exclure celui d'Ibn ‘Arabi, le chiisme et le Wahhabisme. Se présentant comme le Mahdi – attendu, désigné par Dieu, Mohammad Ibn Abd Allah donnait, entre autres preuves, à l'appui de sa mission, sa descendance, elle aussi providentielle, qui, par ses ascendances paternelles et maternelles, le rattachait non seulement à Husaïn et à Hassan (Al Hassan wa Al Hosaïn), les deux fils de Sayda Fatima et de Saïdouna Ali, mais encore à Al Abbâs, l'oncle du Prophète (Prière et salut d'Allah sur Lui !). Adopter la foi mahdiste, c'était donc reconnaître sans doute d'abord l'unité de Dieu et la mission de son Prophète, mais aussi affirmer que « Mohammad Ibn Abd Allah était le mahdi de Dieu et le calife du Prophète ». (Voir pour la doctrine mahdite : Ernst 1.Dietrich, Der Mahdi Mohammad Ahmed nach arabischen Quellen, dans Der Islam, 1925 (1-90) – Mandr, I, 497 et II, 561 – Târikh al-ustadh al-imam, I, 370-382). Appelé à refaire l'unité de l'Islam, le Mahdi avait pour mission d'appeler à lui (al-hijra) tous ceux que révoltaient les régimes corrompus dans lesquels ils vivaient et de les inciter à combattre ensemble (al jihad) pour le triomphe de la vérité. Il était ainsi, à la fois, l'interprète qualifié des sources traditionnelles de la Loi, le Coran et le hadith, et, à l'exemple du Prophète, le chef religieux et politique de la communauté des croyants qu'il lui appartenait de conduire au succès dans ce monde et au salut dans l'autre. Comme le Prophète, il tint à grouper autour de lui quatre califes, investis de son entière confiance, sans s'interdire pour autant de consulter (Shoûra) ses autres compagnons. Le Mahdi était aussi le défenseur par excellence de la Loi révélée. La prière faite en commun, supérieure en mérites à la prière individuelle, restait l'obligation fondamentale de l'Islam. Le jihâd, comme chez certains docteurs wahhabites, avait le pas sur le pèlerinage. L'aumône légale (Zakât) était théoriquement le seul impôt dont l'obligation incombât aux croyants. La lutte contre les innovations condamnables était de rigueur, en particulier contre le culte des saints et la sorcellerie. Le puritanisme de la doctrine, qui rappelle, par certains côtés, le Wahhabisme, frappait d'interdiction les parures, la musique, le tabac et la célébration trop luxueuse des noces. La doctrine mahdite avait un caractère social très accusé. Le Mahdi s'attachait à rappeler que tous les croyants étaient égaux devant Dieu, que le pauvre était l'égal du riche. Cet aspect de la doctrine contribua pour beaucoup aux succès du mahdisme dont bien des dignitaires étaient de modeste origine et qui refusait à faire combattre, dans ses rangs, des esclaves et des marchands d'esclaves. (A suivre)