Orpheline. Elle n'a jamais accepté ce mot comme qualificatif. Pourtant, c'est ce qu'elle est. Enfant, elle a perdu son père. Fille unique, elle a été élevée par sa mère, désormais veuve. Pour elle, sa mère est le seul parent, le concept normal de père et mère lui est étranger. Toutefois, elle n'en ressentait pas le manque. Et c'est ce qui l'éloignait de ce mot : orpheline. Pour elle, ce mot caractériserait une personne en manque, qui ressent ce manque et qui en souffre. Ce n'était pas son cas. Elle vivait bien, seule avec sa mère. Orpheline. Ce mot, elle commence à en subir le poids. Maintenant qu'elle a quitté le nid familial, maintenant qu'elle doit payer le loyer, dans une autre ville qui n'est pas sienne, pour y continuer ses études. Et surtout, maintenant qu'elle s'approche de ses 21 ans. Cet âge l'effraie. Selon la Loi n° 011-71 du 12 kaâda 1391 (30 décembre 1971) instituant un régime de pensions civiles, à cet âge, elle n'aura plus droit à sa pension. Une pension que lui a laissée son père après son décès. Une pension qui est sienne de droit, et que la Loi veut lui prendre à 21 ans. Pourquoi cet âge ? Cette loi veut que la pension ne soit accordée aux orphelins des fonctionnaires de l'Etat et agents des collectivités et établissements publics, que jusqu'à 16 ans, et s'ils poursuivent leurs études, à 21 ans. Donc, si l'on en croit cette Loi, à 21 ans, on a un job. Ainsi, si la Loi prend les études comme critère, pas la peine de fixer un certain âge, le certificat de scolarité peut témoigner. Selon la Loi, la pension est divisée entre la veuve et ses enfants. La veuve obtient 50%, à condition qu'elle ne soit pas mariée, et les orphelins 50%. Alors, après sa disparition, où partiront ces 50% que l'Etat ôte à 21 ans? N'étaient-ils pas destinés à cette famille, depuis le début et pour toujours ? Sa mère et elle avaient l'habitude d'évoquer la mémoire de son père, en le remerciant pour la pension qu'il leur avait laissée. Cette pension qui leur a permis de vivre dignement, sans avoir besoin de personne. Une pension qu'un riche dépenserait pour une paire de chaussettes de marque, et dont le montant n'atteint pas le prix du portable dernier cri, vendu en seconde main. Alors, si on en omet 50%, suffirait-elle au moins pour payer 50% du loyer ? Mais pour elles, cette pension, entière, était leur fierté, leur bouée de sauvetage. Cette bouée que l'Etat veut leur arracher. De quel droit ? La LOI ? Orpheline. Cet adjectif ne lui a jamais autant collé à la peau. A l'ère des changements, à l'aube de la nouvelle Constitution, et en attendant la révision de cette Loi, elle regarde son futur qui s'éloigne en s'approchant, avec ses yeux de myope, sans lunettes.