Dans l'étude qu'il a consacrée à la libéralisation des prix dans la filière sucrière, le Conseil de la Concurrence estime qu'une telle libéralisation ne pourrait être que partielle ou relative du fait qu'il s'agit d'un secteur qui couvre l'agriculture, au même titre que la filière de blé tendre, et l'industrie. En effet, l'agriculture peut admettre des restrictions à la libéralisation à travers le maintien de barrières tarifaires de manière à préserver la production locale. Ceci est d'autant plus important qu'il s'agit de produits de consommation de base. L'étude du Conseil a défini le modèle de libéralisation de la filière sucrière pris en compte dans le premier scénario retenu et estimé ses implications sur les prix, le budget de l'Etat, la compétitivité ainsi que ses impacts socio-économiques. Changer la situation monopolistique Ce scénario est basé sur la libéralisation de la filière à travers la suppression de toutes les subventions à la filière sucrière et la mise en oeuvre de réformes structurelles visant à créer les conditions propices à la libre concurrence au niveau de tous les segments de la filière. Néanmoins, le sucre étant un produit stratégique pour lequel les pouvoirs publics tentent d'améliorer le taux d'indépendance au niveau national, le maintien de certaines exemptions au niveau de l'amont agricole resterait conforme aux dispositions des accords de l'OMC. Ainsi, et pour protéger voire contribuer au développement des cultures sucrières, les prix de référence pour les cultures sucrières devraient être maintenus au profit des agriculteurs. Ces prix ont été fixés à 330 DH/T pour la canne à sucre et à 455 DH/T pour la betterave à sucre en 2012, et varient annuellement en fonction du niveau de la production.Concernant les droits à l'importation du sucre brut, ce scénario est basé sur leur maintien aux taux actuels. Toutefois, pour le reste de la filière, il faudrait aboutir à une libéralisation totale, particulièrement au niveau du segment industriel pour lequel les conditions réelles d'une libre concurrence doivent être mises en place, notamment par l'incitation à l'investissement de nouveaux opérateurs pour changer la situation monopolistique actuelle.Quant aux importations de sucre raffiné, elles resteraient soumises à des droits de douane élevés pour maintenir l'industrie sucrière locale. S'agissant de la fiscalité sur le sucre, ce scénario prévoit le maintien de la TVA à la consommation fixée à 7% actuellement. Les impacts de la libéralisation sur les prix à la consommation Sur la base des données fournies par la Caisse de Compensation relatives aux prix de référence des productions agricoles et aux prix des importations du sucre brut, nous avons estimé le prix de vente moyen du sucre qui résulterait de la libéralisation définie dans ce scénario. Précisions cependant que ces calculs supposent que les frais et marges d'importation et de distribution, tout comme le niveau de consommation, restent inchangés malgré la libéralisation. Quant aux droits de douane, nous appliquons une charge moyenne à toutes les formes de sucre, granulé ou en morceaux. Les calculs ont été réalisés pour les années 2010 et 2011, montrant une évolution importante des prix entre les deux années liée à la hausse des cours mondiaux du sucre brut. La hausse des prix qui résulterait de cette libéralisation est très sensible, quelle que soit la fiscalité retenue. Cependant, elle serait moins prononcée en cas de suppression des droits de douane seuls, avec une hausse de 54,5% en 2011, que dans le cas du maintien de la fiscalité actuelle où les prix augmenteraient de +82%. Les impacts budgétaires Le scénario de libéralisation étant basé sur la suppression des subventions directes de la filière et le maintien de la fiscalité en vigueur, son impact budgétaire est équivalent à une économie du montant de la subvention globale de la filière (hors subventions agricoles) et qui s'est élevée à plus de 5 milliards de dirhams en 2011. La hausse des prix engendrée par ce scénario de libéralisation pourrait mettre en concurrence le sucre produit localement avec le sucre importé raffiné si les cours mondiaux de ce dernier venaient à baisser. Ainsi, si l'on considère l'estimation du cours mondial moyen du sucre raffiné en 2011 tel que réalisée par la FAO65 à environ 500 US$/T, et que l'on y ajoute les frais d'importation (frais d'approche, fret, assurance et acconage) d'environ 63 US$/T, la valeur à l'importation serait de 4.785,5 DH/T (avec un taux de change de 1US$ = 8,5 dirhams). Ce prix est inférieur au prix sortie usine du sucre produit au niveau national, même avant subvention forfaitaire, qui est de 7.211 DH/T. L'application des droits de douane actuels (droits à l'importation de 42%, taxe parafiscale à 0,25% et TVA à l'importation de 20%) ramènerait ce prix du sucre importé raffiné à 8.175 DH/T, ce qui resterait moins élevé que le prix de la production nationale en cas de maintien de la fiscalité actuelle et notamment des tarifs douaniers sur le sucre brut. Cette situation, qui pourrait être évitée par la modulation de la fiscalité à l'importation du sucre raffiné pour préserver la filière tant à l'amont agricole que sur le plan industriel, pourrait néanmoins inciter l'industrie nationale à améliorer sa productivité. Les impacts socio-économiques de la libéralisation La hausse des prix à la consommation qui résulterait de la libéralisation de la filière aurait des impacts directs sur les consommateurs et des impacts indirects sur les industries utilisant le sucre comme intrant (confiseries, biscuiteries, industries des boissons...). Sur la base de la distribution des avantages tirés de la subvention du sucre évaluée par le Haut Commissariat au Plan66, et de la variation des prix qui résulterait de la libéralisation du sucre telle que présentée précédemment, nous avons estimé les dépenses supplémentaires par personne et par an et selon les catégories socio-économiques définies par le HCP et pour les prix de 2011. La suppression de la subvention impliquerait donc, pour les 20% de la population les plus défavorisés (Q1), une dépense annuelle moyenne supplémentaire par personne pour le sucre de 106 dirhams. Si l'on considère la consommation moyenne de sucre au niveau national qui est d'environ 36,4kg par personne et par an (équivalente à la consommation de Q3 dans le tableau suivant), la libéralisation engendrerait une hausse des dépenses de l'ordre de 150 dirhams par personne et par an. Impacts indirects sur les secteurs industriels Si l'on considère que les industries agroalimentaires consomment environ 300.000 tonnes de sucre granulé par an68, le coût supplémentaire annuel que leur engendrerait ce scénario serait de 1,2 milliard de dirhams selon les prix de 2011. Ces hausses des prix pourraient altérer la compétitivité de certaines industries déjà soumises à une forte concurrence des importations. Mais elle pourrait également les inciter à rechercher d'autres formes de sucre qui pourraient être plus compétitives en cas de hausse des prix du sucre granulé.