Le mois de Ramadan est la période faste pour le commerce. Déjà, à quelques jours du mois sacré, des activités saisonnières voient le jour comme les confiseurs de chabbakia et autres gâteaux de pâtisserie marocaine qui ouvrent un peu partout dans des locaux employés pour d'autres activités pendant le reste de l'année, notamment des laiteries. Mais c'est l'activité des marchands ambulants ferrachas qui prend à cette occasion le plus d'ampleur. Cette activité anarchique, qui doit être organisée pour atténuer ses débordements sur le domaine public au détriment de la fluidité de circulation, prend au mois du jeûne des proportions phénoménales. Que de débats suscités par les marchands ambulants. Ceux-ci souvent sont, pour une bonne partie d'entre eux, plutôt sédentaires. Et l'on pense qu'il serait plus approprié de parler d'activités économiques informelles. En plus de l'aspect de concurrence déloyale pour le secteur formel, il y a l'occupation du domaine public, trottoirs et chaussées, ce qui entrave la circulation piétonne et automobile. Il est vrai que c'est loin d'être leur spécialité propre puisque la cohorte de cafés, ateliers, commerces formels patentés prospèrent en rognant chaque jour davantage le domaine publique. Les autorités locales sont tenues pour responsables en partie du statu quo étant habilitées à gérer le commerce dans la proximité: on a laissé depuis très longtemps les choses empirer, en développement spontané, sans trouver de solutions pour organiser une activité longtemps et jusqu'à maintenant tenue pour illégale alors qu'elle a tendance à prendre le dessus quantitativement sur l'activité économique légale. Difficile voire impossible de remonter la pente dit-on surtout que l'activité en question, d'illégale sur le plan du droit, s'impose comme légitime comme ressource sociale. De temps en temps, on a droit à des «opérations coup de point» de la part des autorités locales, consistant à raser les baraquements (tables) en usant de la force. D'autres fois on prétend «organiser» le secteur, soit en essayant de recaser des ambulant dans des «marchés témoins», soit en usant de conciliation et esprit de médiation improvisé, histoire de sauvegarder la fluidité de la circulation. A chaque fois c'est un coup d'épée dans l'eau et poudre aux yeux car il y a toujours absence de vision et pas une seule étude sérieuse du phénomène pour pouvoir trouver des solutions de fonds sur des bases de données fiables. On croit connaitre le marchand ambulant avec deux points de vue opposés extrêmes et sans nuances: soit la culpabilisation de l'accapareur du domaine public, soit sa victimisation. Chaque fois, le vendeur est une abstraction car on ne fait pas la différence entre le vrai marchand saisonnier, les marchands nantis qui écoulent de la marchandise non facturées, voire périmée, les loueurs de «places», la femme sans ressources, le jeune chômeur en détresse, le père de famille qui perd son travail etc. Voie publique accaparée «Libérer l'espace public des marchands ambulants, des cafés et autres commerces» voilà ce que répètent les Casablancais qu'ils soient automobilistes ou piétons. De plein droit, il faut le reconnaitre. «Sommes-nous encore dans une ville, la notion de ville pour Casablanca tient-elle la route, on est plutôt dans une agglomération où des quartiers ressemblent à l'urbain sans plus» déclare ce jeune commerçant patenté dans une kissaria de Garage Allal. Teint clair, barbe clairsemée, originaire de Tafraout, ce marchand vendeur d'articles électronique estime que le «marché parallèle» est tout simplement inacceptable, ne peut aucunement être justifé parce que la notion de voie publique s'est perdue. «La notion de voie publique, cet endroit appartenant à tout le monde pour pouvoir circuler n'existe plus car il a été accaparé illégalement par des catégories de personnes pour des intérêts personnels au mépris de la loi». Par contre, chez ce jeune marchand ambulant qui vend des articles vestimentaires étalés à même le bitume au boulevard Mohammed VI (ex-Route Médiouna), c'est un autre discours qui est tenu: «Nous ne sommes en réalité que des marchands de quatre saisons, des saisonniers, voilà ce que nous sommes et nous n'avons pas d'autres ressources, c'est une activité qui a existé de tout temps et partout dans le monde, ça ne date pas d'aujourd'hui, nous travaillons au gré des saisons, des fêtes, Ramadan, Aid Saghir, Aid Lkbir » Sur le boulevard Mohammed VI, entre l'angle de la rue D'Abyssinie et jusqu'au boulevard El Fida, pour ne prendre que ce cas, c'est toujours la foule des ferrachas qui bloquent certains jours la grande artère ex-Route de Médiouna. C'est un des endroits frappants du phénomène d'occupation de l'espace public, phénomène général dans la capitale économique mais aussi au niveau national. Il a fait couler beaucoup d'encre du fait que les responsables n'ont pas pu trouver des solutions pour organiser ces marchands. La région de derb Soltane, une des plus grandes concentrations commerciales au niveau nationale avec Garage Allal et ses kissarias de gros et de détail, la célèbre kissaria Haffari, derb Baladia, attire le plus grand nombre de ferrachas investissant trottoirs et chaussées. Pour l'instant, on semble, côté autorités locales, avoir dû surseoir à la manière forte, procédé primaire dont on usait dans le passé. Les Mokhaznis ont rengainé leurs matraques, pour une période indéterminée, suite au «printemps arabe» répète-t-on. Les Mokhaznis, à part quelques éléments entassés dans un fourgon en stationnement pour une présence de dissuasion sans plus, sont invisibles. Sur ce tronçon du boulevard, des dizaines de marchands ambulants des deux sexes occupent le trottoir et une bonne partie de la chaussée. Des barrières ont été placées pour éviter que toute la chaussée ne soit occupée par le ras de marée des étaleurs de marchandises. Trois ou quatre files d'étalages avec des petits couloirs où circulent difficilement les passants qui ne font peut-être que passer. «Ce sont les mercredis, samedis et dimanches où il y a les grandes foules avec «lberrani», des gens qui viennent d'autres villes ou régions de Casablanca pour faire emplettes de marchandises chez les grossistes du vestimentaire, épices et c'est à ce moment-là que les étalages débordent» précise un colporteur répondant, lui, plus à l'appélation du terme ambulant vendant des tee-shirts qu'il tient à bout de bras en s'appuyant contre la barrière posée par les forces de l'ordre pour limiter tout débordement vers l'autre partie de la chaussée. Conquête de «places» Ce qui se passe sur le boulevard Mohammed VI comme phénomène d'occupation du domaine public est exactement le même autour de la grande kissaria de Hay Mohammadi ou autour du marché municipal de Hay Hassani etc. L'histoire est archiconnue: une fois les premiers étalages en file installés, d'autres viennent se placer devant eux et puis bientôt une autre file d'étalage se place devant la dernière etc. Chaque marchand, du fait qu'il se place au même endroit depuis quelques jours ou semaines devient «propriétaire» de «sa» place et ses voisins immédiats sont les témoins qui certifient la véracité de sa revendication de proprio. En vertu de cette préséance, il peut arriver qu'il loue sa place à une tierce personne. Bien que cette situation soit très précaire, du fait que du jour au lendemain on pourrait la lui enlever si les autorités locales décident de chasser les marchands des lieux publics occupés. A ce moment-là, on revient à la case départ: plus personne n'a de place reconnue et il faut réoccuper à nouveau. Pourtant on assure que des «loueurs» de «places» ont joui de cette rente (entre 50 et 100 Dh par jour) pendant des années sans problème. Certains affirment que des marchands patentés «louent» des «places» devant leurs magasins quand ils n'étalent pas eux-mêmes leurs propres marchandises assumant ainsi double statut d'activités formelle et informelle. Les vendeurs saisonniers de fruits secs et d'épices qui s'installent à l'occasion du Ramadan sur la voie publique avec de grands étalages seraient parmi les clients de location du domaine public. «Je dois occuper le trottoir avant que d'autres ne viennent s'y installer et me causent des nuisances car on ne sait jamais quel genre de marchandises va être déposée là » confie un marchand d'appareils électroménagers stockant ses réfrigérateurs, cuisinières et autres fourneaux particulièrement encombrants. Le débordement des appareils électroménagers sur le trottoir s'explique moins par l'exiguïté de l'espace de la boutique que par le souci de ne pas laisser d'espace vide devant soi à la merci de la convoitise d'envahisseurs de tout poil en quête d'espace où commercer. C'est ce qui fait dire à ce jeune marchand de kissaria que les boutiquiers du secteur formel sont à leur tour «contaminés par le fléau des marchands ambulants». Un problème n'étant pas réglé, à la longue c'est le pourrissement, la déliquescence. Le plus important dans le phénomène, en plus de la «concurrence déloyale» dirigée contre le commerce formel, il y a comme dit plus haut, la circulation (véhicules et piétons) gravement entravée, un fait visible dans tous les quartiers sans exception. Pour le cas d'espèce, les véhicules venant de Derb Omar, avec des taxis et autobus, trouvent du mal à circuler une fois arrivés à hauteur de cette partie du boulevard Mohammed VI. Avec le Ramadan proche, le phénomène va s'accentuer crescendo. Rues bidonvilloises Si les marchands occupent pendant la journée la voie publique, il faudrait presque se féliciter du fait que le soir ils libèrent l'espace en emportant leurs marchandises. Cela est vrai pour le boulevard Mohammed VI qu'on ne peut presque pas reconnaître en y circulant tôt le matin, mais ce n'est pas toujours vrai partout. Car l'autre phénomène observé d'occupation c'est l'installation nuit et jour des étalages sur le domaine public. Ainsi, au début, des marchands commencent à étaler leurs marchandises de jour pour les enlever la nuit. Mais par la suite, peu à peu, les tables avec marchandises emballées restent sur place la nuit ce qui évite aux marchands le désagrément de déplacement quotidien de la marchandise et la location d'un dépôt pour la nuit. Au lieu de location du dépôt, on paie des veilleurs de nuit en cotisant, ça revient moins cher. Ce sont les loueurs de locaux de dépôts existant en grands nombres dans les quartiers qui perdent des clients. Mais l'autre développement observé pendant l'année 2011 jusqu'à aujourd'hui, c'est la naissance de véritables boutiques en tôle au beau milieu des rues où naguère circulaient encore des véhicules. Ce phénomène observé auparavant avec des kissaria en baraquement dans certaines rues, aurait tendance à pendre de l'ampleur en se généralisant, on dirait un vrai camouflet au slogan de «ville sans bidonville». Les ferrachas font partie intégrante du champ économique et ne sont pas étrangers à son animation de l'avis même de certains marchands patentés qui reconnaissent qu'ils n'est pas du tout question de leur suppression mais plutôt de leur organisation de telle façon que le respect du droit soit sauf, en particulier le droit pour tous de jouir du domaine public. Lequel doit être libéré de l'annexion sauvage qu'en font les cafés, commerces et ateliers.