A droite comme à gauche, les candidats à l'élection présidentielle française rivalisent de propositions pour taxer davantage les plus riches, une option symbolique financièrement mais lourde de sens politique. En proposant d'imposer à 75% les revenus au-dessus d'un million d'euros annuels, François Hollande a pris une longueur d'avance sur Nicolas Sarkozy, qui venait de proposer la semaine dernière l'interdiction des «parachutes dorés» et «retraites-chapeau» des cadres supérieurs et grands patrons. Il était déjà question à gauche de faire passer le taux d'imposition maximal sur les revenus de 41% à 45% pour les foyers «moyennement» riches, de supprimer les stock-options et de plafonner autoritairement les rémunérations des dirigeants de sociétés publiques. Ces diverses propositions fiscales, si elles étaient mises en œuvre, apporteraient des recettes relativement négligeables au budget de l'Etat, de l'ordre de quelques centaines de millions d'euros au maximum, mais le débat marque une notable évolution idéologique par rapport à 2007. Le débat portait alors sur la valorisation du travail et de son produit, même pour les très riches, et Nicolas Sarkozy avait pu défendre avec succès le projet du «bouclier fiscal», parfait contraire de la surtaxation. Pour le politologue Stéphane Rozès, président de la société de conseil Cap et enseignant, cette évolution tient au bilan du chef de l'Etat autant qu'au contexte de crise. «Nicolas Sarkozy n'a pas tenu ses promesses aux Français sur le triptyque ‘travail, mérite, pouvoir d'achat'», a-t-il dit à Reuters. «Les rémunérations des grands patrons et de la finance ont continué d'exploser et la crise de la dette souveraine a ceci de spécifique que, pour l'opinion, le système financier semble mettre à genoux le pays», a-t-il dit à Reuters. Frapper les «très riches» serait donc populaire, surtout qu'ils ne sont que quelques milliers en France. Selon un rapport du Sénat, 3.523 foyers fiscaux français ont déclaré des revenus supérieurs à 1,2 million d'euros au titre de 2009 et 352 des revenus supérieurs à 4,2 millions. Il s'agit d'abord des cadres supérieurs ou des dirigeants de très grandes entreprises. Une récente étude a montré que les rémunérations des dirigeants des sociétés du Cac 40 avaient augmenté de 34% en moyenne en 2010, Jean-Paul Agon de L'Oréal étant le mieux payé (10,7 millions d'euros). Cet univers est fait aussi de sportifs de haut niveau, notamment quelques dizaines de joueurs de Ligue 1, comme l'Argentin Javier Pastore, transféré l'été dernier au Paris Saint-Germain et qui toucherait un salaire d'environ 400.000 euros par mois, selon la presse sportive. L'entraîneur du PSG, l'italien Carlo Ancelotti, gagnerait 500.000 euros par mois. Les projets de François Hollande toucheraient aussi des personnalités du show-business comme l'acteur Jean Dujardin, premier Français à décrocher un Oscar et comédien le mieux payé du pays en 2009 avec 4,4 millions d'euros. La semaine dernière, Nicolas Sarkozy a vitupéré contre les excès prêtés aux financiers et grands patrons. «Il y a une infime minorité, qui a beaucoup choqué les Français en faisant vraiment n'importe quoi», a-t-il dit sur France 2. Pourtant, le camp UMP voit des limites à cette politique et a tiré mardi à boulets rouges sur l'idée d'une taxe à 75% au-dessus du million d'euros, comme l'extrême-droite et le centre. Ce débat gagne les rangs du patronat. Seize dirigeants et grandes fortunes françaises ont publié l'été dernier un appel où ils proposent de payer une «contribution exceptionnelle». Selon les gestionnaires de fortunes, d'autres choisiraient une option autre que de payer plus, celle de l'exil fiscal. «Depuis plusieurs mois, nous sommes sollicités par des personnes fortunées sur la possibilité de quitter le pays à cause des hausses d'impôts déjà survenues et de celles qui pourraient venir», a dit à Reuters Stéphane Jacquin, qui s'occupe de «l'ingénierie patrimoniale» à Lazard frères. La Belgique, destination traditionnelle des exilés fiscaux français, ferait recette. «Depuis le début de l'année, il y a une augmentation du nombre de Français qui cherchent davantage d'informations sur les opportunités», a dit à Reuters Bertrand Marot, de la banque belge Petercam.