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Projet de réhabilitation de l'ancienne médina de Casablanca
Rattraper le temps perdu
Publié dans L'opinion le 02 - 12 - 2011

Une étude sur la mobilité au sein de la médina intra-muros de Casablanca vient d'être réalisée dans le cadre du projet de réhabilitation de cette partie historique de Dar el-Beida. On y indique qu'un grand nombre d'habitants circulent à l'intérieur de la médina, que 70% des déplacements hors de l'enceinte de la médina se font vers le centre de la ville tout proche, donc à pied, qu'une faible motorisation est enregistrée avec une moyenne de 12 véhicules par mille habitants contre 120 véhicules au centre de la ville et 90 véhicules en moyenne par mille habitants pour le tout Casablanca.
De plus, 23% des déplacements empruntent des transports de masse (Bus), 3% des véhicules automobiles et 4% des engins deux roues, le reste, 70%, se déplace à pied. Il ressort des résultats de cette étude que la médina de Casablanca est un espace piéton par excellence et elle gagnerait à préserver cette identité, laquelle pourrait être menacée par cette tendance d'implantation de parkings sauvages pour voitures sous la pression de la crise aiguë du stationnement qui gangrène tout le centre de Casablanca.
L'ancienne médina, de par ses caractéristiques, se prête justement à la marche à pied pour ceux qui la visitent pour différentes raisons : pour faire le marché à Bab Marrakech ou au cœur du Mellah qu'on gagne par la rue des synagogues ou encore les boutiques du vestimentaire rue Hansali, Derb Gnaoua et autres kissarias d'articles d'artisanat ou tout simplement pour la promenade en se perdant dans le dédale des ruelles aux noms évocateurs de Sidi Bousmara au quartier Tnaker en passant par Lalla Taja, Sidi Allal Karouani, Sqala et Arsat Zerktouni, en bifurquant vers Sidi Fateh, visitant des lieux d'intérêt architectural et historique, des maisons comme celle de Haj Mohamed Benjelloun, l'un des fondateurs du célèbre club de foot Wydad, le 8 mai 1937, symbole à l'époque d'identité et de résistance des Marocains, la maison du grand musicien Mohamed Kibbou dit le Maréchal, compagnon du grand chanteur Bouchaïb Bidaoui, témoin d'un passé artistique glorieux de la vieille cité, passé aussi de résistance proprement dite avec les résistants célèbres Zerktouni, Rachidi, s'arrêtant devant des fours publics nombreux et des petits ateliers d'artisans.
Le projet de réhabilitation dont la médina fait l'objet depuis la visite historique de SM le Roi Mohammed VI en août 2010 est donc de nature à renforcer cette identité d'espace piétonnier tout en améliorant la qualité de l'environnement marqué par les ordures et la vétusté des infrastructures de base et du patrimoine bâti en améliorant aussi le cadre de vie de la population évaluée en 2010 à 43.527 habitants, soit 10.759 ménages dans un espace intra-muros de 47 hectares. En réalité, une toute petite tache sur la carte pour l'ensemble du territoire de la ville de Casablanca s'étendant sur plus d'un millier et demi de kilomètres carrés.
Dans cette agglomération toute particulière, on pénètre par des portes au nombre de 7 : Bab Lakbir, Bab Rkha, Bab Lakdim, Bab Lmarsa, Bab Jdid, Bab L'afia et enfin Bab Marrakech en venant des extra-muros rues Tahar Alaoui, Moha Ousaïd, rue des Anglais et Goulmima (Botwil).
L'une des portes les plus célèbres est sans doute Bab Lakbir qui avait été rasée à maintes reprises pour laisser l'espace à la grande place actuellement désignée du nom des Nations Unies (anciennement place de France et place Mohammed V) et au passage de l'Avenue des Forces Armées Royales vers Oued El-Makhazine. Cette porte, par jeu de métonymie, avait fini, dans le passé, par se confondre, dans l'esprit des visiteurs anciens de la ville, venus de toutes les régions du Royaume, avec le centre de Casablanca, la ville dite européenne. Comme si cette dernière, non contente de grignoter l'espace de la médina, par agressions successives depuis le début du XXème siècle, lui prend même le nom de sa porte. Aujourd'hui, les habitants des quartiers périphériques pour désigner le vieux centre urbain, où un certain nombre de bus en provenance des principaux grands quartiers populaires continuent à avoir leur terminus, disent « Lmdina », autre nom usuel de la médina qu'on lui chaparde sans crier gare. Il y aurait eu mille et une manières de snober la médina, à commencer par ses anciens habitants qui l'avaient quittée pour aller s'établir ailleurs dans des quartiers huppés.
A une époque récente, on avait reconstruit la porte Bab Lakbir (et aussi la tour de l'Horloge) pour en faire une sorte de vitrine de la vieille ville historique (d'aucuns disent pour cacher les signes affreux de déchéance de la médina) avec des matériaux (briques et ciment), ce qui fait de cette muraille et de cette porte un monument postiche qu'on peut voir aujourd'hui. Une « anomalie » qui ne manquera pas de ressortir davantage avec le travail de mise à niveau des infrastructures en cours avec justement la réhabilitation des murailles qu'on voudrait restaurer dans les règles de l'art en faisant appel à des maâllemine en art de restauration du patrimoine. Cela d'autant plus qu'on s'achemine vers le classement de la médina intra-muros comme patrimoine national, rompant ainsi définitivement avec une ère d'oubli, d'amnésie et d'abandon.
« Il y a question de refaire cette façade dans le respect des normes patrimoniales, mais pour l'instant rien encore n'est fixé… », confie une source proche de l'Agence urbaine.
Rue Anfa
C'est justement par cette porte Bab Lakbir que les promeneurs pénètrent dans la médina, venant de la place des Nations Unies, passant par Smatt, le complexe de gargotes, très ancien, où l'on mange fritures de poisson, tagine de pattes d'agneaux ou de bœuf, plats de féculents, etc. Il arrive que le promeneur en déambulant atteigne une rue Anfa en enfilant la célèbre rue marchande de vestimentaire El Hansali, ex-Commandant Provost. Cette petite rue Anfa a la qualité hautement symbolique de porter le nom initial de la ville de Dar el-Beida alors que d'autres ruelles portent des noms d'autres villes marocaines : Tanger, Essaouira, Salé, Settat, Fès, El Jadida, Azemmour, Larache, Safi, Rabat, Marrakech. Anfa, nom d'origine amazigh, signifiant colline, c'était le nom de la ville ancienne, capitale de Tamesna au temps des Berghouata détruite par les Portugais en 1468 pour se venger de ses corsaires qui écumaient les mers jusqu'à la ville de Cadix pour prendre revanche des Ibériques après la défaite des musulmans dans la bataille de Tarifa en 1340 où périrent de nombreux soldats et notables originaires de la Chaouia. Sidi Allal Karouani, saint patron de la ville le plus ancien, marin émérite serait venu de Kairouan au lendemain de la bataille pour apprendre la navigation aux habitants d'Anfa. La médina actuelle est construite sur le même emplacement de cette ville antique. La rue Anfa débute par le cinéma Impérial, au coin, fermé depuis des années, aux murs lézardés et à l'autre coin à droit le très vieil édifice successivement ancienne poste et ancienne délégation de l'Artisanat. Rue très paisible, pas très passante, comme en retrait, loin des mouvements de foules et des trépidations du Mellah, troublée à peine par le bruit d'une très ancienne scierie. Des travaux de renouvellement de réseau d'assainissement viennent d'y être effectués dans le cadre du Projet de Réhabilitation de l'Ancienne Médina (PRAM) comme il en a été de même dans des rues avoisinantes et l'on pataugeait dans la boue et les flaques d'eau après les récentes pluies diluviennes parce qu'il n'y a pas eu encore de travaux de bitumage. Au bout de cette ruelle qui est prolongée par la rue Mediouna et rue Bousmara menant toutes les deux vers le jardin Sidi Bousmara aux centenaires ficus, il y a un épicier au coin qui se souvient de l'Histoire de cette rue, des bribes de mémoire qui lui ont été léguées par l'ancien propriétaire du hanout qui y avait passé plusieurs décennies avant de mourir.
« Cette rue était le centre du Maroc, c'était bien avant que je voie le jour, il y avait tout ici, l'administration, la poste, le tribunal, le consulat d'Espagne, des maisons de notables, la maison de Moulay Hafid Alaoui, oncle du Roi Hassan II, c'était une rue très animée, mais c'était il y a longtemps, aujourd'hui cette ruelle n'est plus rien, tout a été oublié, personne ne se souvient plus qu'elle existe, elle passe inaperçue… le monde a changé, Lmdina a changé, les gens aussi… ».
La quarantaine, portant une barbe fournie, sourire inextinguible, il dit en observateur averti à propos des travaux entamés depuis quelques mois dans les ruelles :
« Les travaux seront particulièrement difficiles dans les rues étroites et commerçantes comme Derb Gnaoua, là où les grosses machines ne peuvent pas pénétrer, ça sera difficile surtout si l'on ne fait pas preuve de célérité, les marchands s'impatientent pour leur gagne-pain…».
Dans cette même rue, à l'hôtel Ennasr adossé au vieux cinéma, le réceptionniste d'un certain âge témoigne, pessimiste :
« On ne voit rien de ces grands travaux de réhabilitation dont on parle, à part ces creusages pour les canalisations, mais est-ce que cela aura un effet sur l'économique, les hôtels souffrent, surtout nous qui avions été contraints par l'ancien Wali, début des années 2000, de restaurer, nous continuons à payer des dettes générées par l'investissement déboursé pour retaper et équiper avec du neuf ».
La nuitée dans ces hôtels non classés ne dépasse pas 60 DH par chambre. A peine le coût du SMIG d'une journée de labeur.
Entre 2002 et 2003, en effet, plusieurs hôtels de la médina avaient été fermés par ordre des autorités de la ville pour cause de délabrement des équipements et le manque d'entretien des édifices.
A l'hôtel Central, place Ahmed Bidaoui du nom du célèbre chanteur compositeur, ex-Amiral Philibert, face à Bab el-Marsa, Abdelmalek, réceptionniste, se plaint de ce que les travaux de canalisation ne soient pas suivis aussitôt de réfection de la voirie, ce qui entraîne des désagréments pour les passants.
« Jusqu'à quand on va continuer à patauger dans la boue et les crevasses, les gens à la fin en ont marre et se demandent si cela va continuer ainsi pendant deux ans encore ?! Normalement, une fois les travaux de pose de canalisation achevés, la chaussée doit être refaite… ».
Selon lui, cependant, les choses changent de manière positive malgré tout, cela se voit sur l'hôtel, l'un des monuments apparemment les mieux conservés de la médina datant de 1927. En réalité, le bâtiment abritant l'hôtel a été scindé en deux par les héritiers, la partie demeurant comme hôtel est celle qui donne sur la place Ahmed Bidaoui. L'autre, qui comportait des suites, est devenue immeuble à usage d'habitation avec, au rez-de-chaussée, un café très exotique bruyant de 4 postes de télé, nommé al-Jazeera du nom de la chaîne qatarie et donnant sur la place du Commerce.
L'hôtel Central avait été fermé par les autorités de la ville en 2003 pour réfection et n'a été rouvert qu'en 2005. Cela avait rendu un fier service au propriétaire puisque ça a permis d'évacuer de nombreux anciens locataires qui payaient depuis de longues années de modiques loyers mensuels dans l'hôtel délabré ! Depuis quelques mois, dans la foulée de l'exécution du projet de réhabilitation, les services concernés du Tourisme ont accordé à l'hôtel deux étoiles, ce qui en fait actuellement l'unique hôtel classé de la médina qui en compte treize au total.
Abdelmalek aime la médina.
« Je suis ici depuis douze ans. Malgré la saleté, la misère, la violence et la délinquance, le tapage nocturne des ivrognes, la surpopulation dans certains quartiers, la médina de Casablanca exerce comme un charme irrésistible. Rares sont ceux qui peuvent la quitter pour aller dans un quartier de la périphérie. A n'importe quelle heure de la journée, même au beau milieu de la nuit, on peut trouver de quoi manger au coin de la rue, tout est à votre portée en médina, je connais des gens de Sid Sofi qui ont été logés à Sidi Maârouf et qui ne peuvent jusqu'à présent se défendre d'une nostalgie de la médina comme s'ils ne se sont jamais habitués à leur nouveau quartier…».
Un mouvement de réhabilitation timide a donc bien commencé depuis le début des années 2000 comme le montre l'exemple des hôtels sous la poussée des autorités, mais aussi de manière spontanée puisque des boutiquiers, par esprit d'émulation semble-t-il, ont procédé à des réaménagements de l'intérieur et des façades de leurs commerces en investissant des fonds importants. La cote des commerces a grimpé en flèche. Durant près de dix ans, donc, un mouvement souterrain existe qui semble avoir pris son branle doucement mais sûrement depuis quelques actions phares de restauration intervenues sur les jardins Boussmara, Arsat Zerktouni, place Bidaoui et le site historique de la Sqala. En un mot, l'ancien circuit touristique, long de près de 2 kms qui évite le quartier populeux de Tnaker au Nord-Ouest de la ville intra-muros, là où la densité de la population atteint le pic de 3000 habitants à l'hectare en faisant le quartier chaud.
Premier CIP pour Dar el-Beida
Sur l'itinéraire du même circuit, on observe le même phénomène de « résurrection » du côté de la rue de la Douane avec des cafés et un restaurant qui ont ouvert à l'instar d'autres ruelles. Mais c'est surtout l'ancien siège de la Douane datant du début du XXème siècle qui attire l'attention. Restauré récemment, il abrite provisoirement jusqu'à fin 2013 le comité de pilotage du projet de réhabilitation de la médina (PRAM). Ce comité rassemble des bénévoles chargés de superviser la réalisation du projet en veillant à l'instauration d'une « démarche participative » des habitants et association de quartier. Le but c'est de faire que la population de la médina s'approprie le projet mais jusqu'à présent nombre de personnes disent ne pas avoir connaissance du comité de pilotage ni de ses prérogatives. Le quartier général du comité est un édifice faisant toujours partie du patrimoine immobilier de l'Administration des Douanes, mais depuis longtemps désaffecté. D'anciens cadres de la Douane se souviennent d'y avoir été formés. Il est probable qu'il abritera le premier Centre d'Interprétation du Patrimoine (CIP) de Casablanca comme nous l'explique Najwa Ilham Bekri, Secrétaire générale du Comité de pilotage chargée de la supervision de la réalisation du PRAM.
« Pour le siège du CIP, il y a deux choix en réalité, soit cet ancien siège de la Douane, soit l'Ecole Abdellaouia attenante de la mosquée Ouled Hamra mais rien pour l'instant n'a été décidé en ce sens», précise-t-elle. Elle souligne aussi que la phase actuelle du PRAM est une phase de « mise à niveau et non pas de réhabilitation » car le PRAM se décline en trois phases. Pour l'instant, on en est encore à la première avec des travaux d'envergure de renouvellement d'infrastructure de base (canalisation d'assainissement, adduction à l'eau potable, électricité, éclairage public, réseau télécom), un travail qui n'a jamais été effectué de cette manière sur une médina abandonnée depuis de si longues décennies. Un budget de 300 millions de dirhams a été déjà débloqué pour ce premier programme, le maître d'ouvrage étant l'Agence urbaine et une date butoir est fixée fin 2013. Ce travail s'accompagne de la suppression des bidonvilles en relogeant les habitants qui y résidaient ainsi que d'autres ménages occupant des édifices publics, la résorption aussi du problème des bâtisses menaçant ruine. Trop de retard à rattraper.
« On comprend l'impatience des habitants, commerçants mais les désagréments sont dus au fait qu'il y a d'autres travaux, en plus des canalisations d'eaux usées comme l'adduction à l'eau potable des maison qui en sont dépourvues, l'électricité et la téléphonie avant de passer à la réfection définitive des chaussées », souligne S.I. Bekri en affirmant par ailleurs que la pleine mesure de l'identité de la médina sera prise en compte dans le projet, en particulier la relation étroite, intime avec le port.
« Aucune ville au Maroc n'a cette relation essentielle avec le port comme l'a été Casablanca et il faudrait qu'on en tienne compte».
La SG du comité de pilotage souligne aussi l'Histoire originale d'une cité tolérante, œcuménique.
« Nulle part ailleurs où l'on puisse trouver mosquée, église et synagogue dans une telle proximité géographique sauf peut-être au Caire…».
La réhabilitation contenue dans la deuxième partie du programme concerne notamment des édifices publics. Elle semble rejoindre ce mouvement entamé des années auparavant mais cette fois-ci de manière plus systématique et réfléchie. Pour les édifices publics qui doivent être réhabilités, il s'agit de les rendre fonctionnels. Ce sera le cas de l'ancienne église espagnole Buenaventura située rue de Tanger, angle rue Larache. Une fois réhabilitée, elle doit abriter une maison de la culture avec une bibliothèque, nous dit-on. Pour cela, le bâtiment a été vidé de ses occupants. Ces locataires avaient commencé à habiter cette ancienne église probablement des années après 1968, date où elle avait été désaffectée. En 43 ans, la bâtisse, du fait de l'absence d'entretien, n'est plus qu'une masure qui menace ruine. Le projet de réhabilitation intervient donc in extremis avant qu'elle ne s'effondre totalement sur ses occupants. Avec d'autres habitants de logements bidonvillois implantés dans un terrain domanial situé entre la Sqala et l'école Fihria et donnant sur le boulevard des Almohades, et d'autres encore occupant dans des dépendances d'édifices publics dont l'arrondissement Bousmara, ce sont au total 150 ménages dont 61 viennent d'être relogés dans la préfecture de Hay Moulay Rachid dans le cadre du programme Idmaj Sakan.
D'autres édifices publics feront l'objet de restauration comme l'établissement scolaire primaire école Omar Ibn Abdelaziz, ex-consulat allemand situé Place de Belgique. A ce propos, cette rentrée 2011-2012, l'école n'a pas ouvert ses portes et ses élèves ont été dispatchés entre les deux écoles avoisinantes Ibn Roumi et Fatima Fihria.
« Nous avons reçu 5 classes des élèves de l'école Omar Ibn Abdelaziz et l'école Fihria en a reçu 9, nous avons entendu dire que cette école qui est un monument historique deviendra une sorte de musée, mais rien de vraiment officiel », nous confie Mohamed Chatouani, directeur de l'école primaire publique Ibn Roumi. Ce dernier dit avoir été contacté par des personnes du comité de pilotage pour un « projet d'école écologique » une seule fois mais sans aucune suite.
« C'était à la rentrée, on nous a donné un fichier à remplir mais par la suite aucun signe de vie ».
Les mosquées dont Ouled Hamra et Jamaâ Chleuh qui datent du XVIIIème siècle feront l'objet de soins de la part des Habous ainsi que les mausolées Sidi Belyout, Sidi Bousmara, Sidi Allal Karouani et les zaouias.
Le programme de réhabilitation touchera aussi des Bâtiments privés dont le Palais Toscan, un édifice monumental d'architecture né-mauresque appuyé sur la muraille (Bd des Almohades) dont une façade donne sur le jardin Bousmara. C'est un bâtiment comprenant des appartements à usage d'habitation en copropriété.
Maisons vétustes : bout du tunnel ?
Reste le volet des maisons, un tissu urbain généralement vétuste où 80% des bâtisses ont plus de 50 ans et où 78% sont occupées par des locataires souvent en conflit avec les propriétaires, d'où l'absence d'entretien qui aboutit inexorablement au délabrement. Souvent aussi, les propriétaires refusent d'entretenir la bâtisse du fait des loyers très modestes payés par des locataires installés de longue date. C'est un problème insoluble. Pour ceux qui connaissent ce coin de la ville, le problème est archi-connu : les locataires s'accrochent à leur abri, à leurs grands risques et périls, sous des murs lézardés et les propriétaires ou leurs rejetons attendent que la bâtisse s'effondre sur la tête des locataires pour qu'ils puissent enfin en reprendre possession. Cela au cas où les forces publiques n'auraient pas auparavant évacué les locataires manu militari, dûment munies d'un jugement définitif prononcé au nom de Sa Majesté le Roi sous le prétexte qu'il faut démolir la masure menaçant ruine pour reconstruire. Ces histoires à caractère répétitif, les habitants de la médina les connaissent en long et en large. Histoires redondantes, elles ne reviennent pas moins sur les bouches surtout quand un nouvel effondrement de maison vétuste remet la question au devant de la scène. La vieille ville, depuis toujours, est décrite comme un château de cartes. Le moindre choc, à plus forte raison un séisme, entraînerait des dégâts incalculables, répète-t-on.
Aujourd'hui, du nouveau peut-être pour ce dossier on ne peut plus épineux ? D'après l'agence urbaine, la facilitation des procédures pour le renforcement des bâtisses, avec un guichet ouvert à l'arrondissement Sidi Belyout, est de nature à apporter des solutions au problème ou du moins en atténuer l'acuité.
« Même les locataires ont la permission avec le PRAM de déposer un dossier de renforcement pour procéder à des réfections dans la maison qu'ils habitent alors qu'auparavant seuls les propriétaires avaient ce droit et il leur fallait préparer en ce sens tout un dossier de paperasse, dossier pour autorisation de construire, alors que maintenant il s'agit de se munir tout juste de trois documents », précise Azzeddine Hafif, chargé du dossier de réhabilitation de la médina au niveau de l'Agence urbaine.
Le PRAM permet de prendre en charge les frais d'études de diagnostic sur l'état de la bâtisse tandis que tous les frais de renforcement et de construction sont à la charge du locataire ou propriétaire. Une bonne précision à retenir pour lever toute ambiguïté. Pour ceux qui n'ont pas les moyens apparemment, le statu quo perdurera.
Artisans en intra-muros
Le manque de moyens chez les familles pour subvenir aux dépenses des travaux sera l'obstacle insurmontable. La pauvreté, le chômage élevé dans les rangs des familles de la médina est une réalité tenace bien que la médina offre des possibilités de travail dans divers domaines, artisanat et commerce, domaine que le PRAM se promet de dynamiser.
Mais le désœuvrement et la forte densité pendant des décennies ont participé à entraîner une déchéance, comme l'explique Mohamed. Chrichmi, artisan tailleur officiant dans son atelier très réduit, façonnant du vestimentaire traditionnel, jellabas pour femmes. Son atelier se trouve rue de Safi, où l'on peut arriver de Jamaâ Chlouh par la rue Bine Jouamaâ, appelée ainsi parce qu'elle fait la jonction entre Jamaâ Chlouh et Jamaâ Essamaa Lmgarja en coupant une ruelle Sidi Regragui du nom d'un saint dont le tombeau existe dans cette rue à l'intérieur d'un très ancien msid, l'un des rares préservé sous le mode ancien où officie un fkih avec des enfants de quatre et cinq ans assis sur des bancs à même le tombeau.
La quarantaine, natif de la médina, Si Mohamed le tailleur est sceptique :
« La médina n'est plus ce qu'elle était, dès que je me suis marié j'ai laissé mes parents et je suis allé habiter hors de la médina par peur de l'influence néfaste pour l'éducation des mes enfants, j'ai déménagé mais j'ai gardé ma boutique-atelier de tailleur, c'est mon gagne-pain, je n'ai donc jamais quitté la médina. Quand j'étais jeune, il m'arrivait de me réveiller la nuit au moins deux fois pour assister à des bagarres sanglantes ».
Son ami Abdelhak El Houari, dont la boutique exiguë se trouve à l'intérieur de la très étroite rue Larache angle Derb Larache, juste derrière l'ancienne église espagnole Buenaventura, soutient les mêmes propos sur la médina, notamment le manque d'hygiène et la violence.
« Je suis dans cette boutique depuis 1990, la médina a été délaissée, le manque d'hygiène, les déchets et l'effondrement des canalisations d'eaux usées, ça c'est toujours notre lot quotidien, il y a aussi la violence, les gens se font agresser surtout tôt le matin ».
Les deux tailleurs qui représentent une activité d'artisanat en voie de disparition dans les ruelles de la médina, éloignés des rues commerçantes, disent ignorer totalement qu'un comité de pilotage du projet de réhabilitation de la médina existe siégeant rue de la Douane.
Le même propos est tenu par Rabha Kassi, couturière, mère de trois enfants demeurant Derb Jnawa, et qui a sa boutique rue Sidi Fateh, y travaillant depuis 17 ans.
« Non, je n'en ai pas entendu parler de la réhabilitation de la médina, je serais la dernière à savoir !»(rires).
Selon elle, le métier a périclité en médina.
« Les gens qui sont à l'extérieur vivent mieux, nous travaillons avec des gens pauvres habitant la médina, il y a encore quatre ou cinq femmes couturières qui tiennent boutique dans la médina, le métier connaît des hauts et des bas, des moments ça marche, des moments ça stagne, l'activité est saisonnière ».
A Derb El-Gabbas, autre nom de Derb Dar el-Miloudi à quelques encablures de Bab el-A'fia, il y a dans sa boutique d'artisan fabricant de chaussures Ali El-Ouatar, 64 ans, demeurant, depuis près de 40 ans, rue Azemmour en tant que simple locataire sur la terrasse d'une vieille maison au deuxième étage. Il a eu six enfants, ses filles se sont mariées, l'un de ses fils suit encore sa scolarité, les autres ont arrêté leurs études et sont actuellement au chômage. Si ses enfants pouvaient trouver du travail, il aurait peut-être moins de soucis, dit-il. Il aurait pu quitter la médina et devenir propriétaire d'une maison s'il n'avait pas été escroqué par des vendeurs d'articles d'artisanat, soutient-il. Ali raconte une histoire de disparition de nombreux ateliers d'artisans fabricant de chaussures dans la médina.
« C'est parce que d'autres ateliers sont nés dans d'autres quartiers à Aïn Chok et surtout à Bouchentouf et les marchands qui achètent chez les artisans ne daignent plus venir jusqu'aux ruelles de la médina ».
Ali est obligé de vendre lui-même les produits de son atelier.
« Je dépose une ferracha devant la mosquée ».
Rue Jamaâ Chlouh est connue par un tronçon occupé par des boutiques de marchands et artisans fabricants d'instruments de musique. C'est un lieu de mémoire qui avait vu passer de grands musiciens et chanteurs marocains comme Brahim Alami, Ahmed Bourezgui et bien d'autres nombreux mais qui semble vivre décadence et isolement depuis des lustres. Selon Aziz Lahlou, natif de la médina, 49 ans, qui se dit artisan fabricant et réparateur d'instruments de musique luth, hajhouj, guenbri dans une petite échoppe au n°307, la rue s'est vidée de ses artisans et de marchands d'instruments de musique par manque de relève : « Tous les anciens qui sont morts n'ont pas été remplacés leur boutique a été fermée, sur 11 boutiques il n'en reste aujourd'hui que cinq ouvertes ». Mais il y a aussi d'autres qui ont déménagé pour aller s'installer ailleurs comme ce marchand qui s'est installé rue El Hansali.
Les murailles de la ville
Pour le promeneur dans la médina, une année et trois mois après la signature de la Convention sur le PRAM entre l'Intérieur, les Finances et l'Agence urbaine de Casablanca en août 2010, à part les travaux de canalisation dans les ruelles, le chantier le plus visible pour le moment ce sont les interventions sur quelques parties de la muraille. Dans deux tronçons, les travaux sont très en avance, celui entre la Sqala et Arsat Zerktouni qu'on voit du boulevard des Almohades et celui entre Bab Jdid et Bab Afia, rue Tahar Alaoui. Ces deux tronçons font partie du même marché public. Près de la Sqala, occupant une bonne partie de l'espace vert bordant la muraille, un chantier est toujours visible protégé par des palissades. Dans ce chantier officie Haj Saber, un ancien maâllem maçon maître d'œuvre spécialiste en réhabilitation du patrimoine, ex-fonctionnaire du ministère de la Culture. Il encadre des travailleurs artisans pour veiller à retaper la muraille, du moins dans cette partie du programme de réhabilitation, dans les règles de l'art. Dans le passé, les travaux effectués sur la muraille étaient du replâtrage à l'occasion de festivités.
« On ajoutait des couches de revêtement sur d'autres couches alors qu'il faudrait tout enlever, dénuder le mur jusqu'à atteindre la roche dure », précise Haj Saber.
Il avait travaillé au sein du ministère de la Culture depuis le début des années 70 du siècle passé jusqu'à 2010 où il a pris sa retraite. Il y a beaucoup de travail en principe dans le domaine de la réhabilitation du patrimoine, mais très peu de relève dans les générations montantes. « Les jeunes ne s'intéressent qu'à gagner la journée de travail sans s'inquiéter du reste, c'est-à-dire maîtriser et aimer ce travail», dit-il.
Parmi les remarques qu'il retient du travail sur la muraille de Casablanca, c'est qu'elle a été grignotée par les édifices qui s'y appuient au point de n'avoir comme épaisseur que quelques centimètres dans certains endroits ! Les habitations ont eu tendance à gagner de l'espace vital au fil du temps au détriment de la muraille. Pour dire qu'il n'y a pas seulement les injures du temps, mais aussi l'agression non seulement sur le domaine public mais aussi sur le patrimoine. Par contre, dans des endroits restés intacts, on observe une épaisseur de la muraille de l'ordre d'un mètre et demi, un chemin de ronde telle qu'il avait dû être à la fin du 18ème siècle à la fondation de la nouvelle ville avec ses murailles par Sidi Mohammed Ben Abdallah.
« Allez voir du côté de Bab Jdid, il y a là-bas une maison avec des tuiles vertes, là il y a un petit tronçon de la muraille intact qui témoigne de ce qu'elle était dans le passé ».
D'aucuns pourront dire que le programme de réhabilitation de la médina est loin d'être fait pour les beaux yeux des habitants et que la médina est « retapée » pour juste atténuer le contraste hyperbolique entre misère et opulence qu'elle ne manquerait pas de susciter par sa proximité avec des grands projets touristiques qui l'environnent comme la Marina. On ne ferait, dirait-on, qu'un lifting ponctuel, histoire de ne pas choquer les touristes avec les ruelles taudifiées, noyées sous les déchets. Il pourrait y avoir du vrai dans cette analyse si, du moins, le PRAM n'est pas mené jusqu'au bout, s'il s'arrête en chemin et là les exemples traumatisants de projets laissés en plan ne manqueraient pas comme celui de l'Avenue Royale de la Sonadac avec chantier suspendu, cela fait plus de vingt ans. Par contre, il est indubitable que le programme de réhabilitation tel qu'il est décrit pourrait permettre à cette partie de la ville de se faire restituer son véritable statut qui est d'être « l'âme de la métropole » avec des atouts majeurs occultés. Pour ce faire, il faut que le PRAM soit conduit dans les règles et jusqu'au bout avec l'aboutissement au classement de la médina comme patrimoine nationale et l'élaboration d'un plan de sauvegarde comme indiqué pour les derniers programmes.


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