L'Espagne, inquiète et sans illusions, élit dimanche son Parlement et devrait donner une victoire écrasante à la droite, portée par la colère du pays face à un chômage record et une crise qui a déjà balayé plusieurs gouvernements européens. Trente-six millions d'électeurs s'apprêtent à sanctionner les socialistes, au pouvoir depuis 2004, pour leur politique de rigueur. La crise économique et les cinq millions de chômeurs étaient justement sur toutes les lèvres dimanche, à Madrid comme dans le reste de l'Espagne. «J'ai voté sans illusions. La crise est mondiale et il n'y a pas de solution», assurait à Barcelone Antonio Donono, concierge âgé de 56 ans, sans vouloir dire sur qui il avait porté son choix. Pour la première fois de sa vie, mais sans conviction, Octavio Arginano, un ouvrier madrilène à la retraite de 67 ans, a lui choisi la droite. «Mon fils est au chômage depuis plus d'un an. Ma fille ne gagne que 600 euros par mois en gardant des enfants», confie cet électeur dans le quartier de Lavapies. «Il faut qu'il y ait un changement, mais je ne suis pas sûr que quelqu'un sache quoi faire pour nous sortir de cette situation.» La crise a entraîné une perte de confiance envers les grands partis politiques, une partie des électeurs estimant que ni la gauche ni la droite ne sera capable de remettre le pays sur les rails. À la mi-journée, la participation était inférieure de 2,5 points à celle des dernières législatives en 2008, de 37,87% contre 40,46%. Électeur du Parti populaire, de droite, en 2008, Fernando Javier Alvarez Granero, instituteur de 46 ans, assure qu'il va «voter blanc pour la première fois». «Tous les partis, de droite et de gauche, reflètent les mêmes idées», dit-il avant de voter à Carabanchel, un quartier populaire de Madrid. Le Parti socialiste «a créé cinq millions de chômeurs et nous a menti sur la crise économique. Et je ne pense pas que Mariano (Rajoy) puisse apporter une solution aux grands problèmes de l'Espagne.» 350 députés et 208 sénateurs doivent être élus pour quatre ans au scrutin proportionnel. Le Parti populaire sera en mesure, s'il remporte une majorité absolue, de gouverner seul le pays, sans alliances avec les partis nationalistes régionaux comme c'est le cas aujourd'hui pour les socialistes. Le chef du PP, Mariano Rajoy, 56 ans, devrait malgré son manque de charisme diriger le prochain gouvernement, après une campagne qui n'a laissé aucune chance au socialiste Alfredo Perez Rubalcaba, 60 ans. «L'Espagne se trouve à un carrefour historique», a lancé M. Rubalcaba en votant dans la banlieue de Madrid, appelant les indécis «à aller voter». Mariano Rajoy s'est dit, lui, «prêt pour ce que les Espagnols voudront». Sous très forte pression des marchés financiers, le nouveau chef du gouvernement devra agir vite pour tenter de redresser l'économie espagnole, quatrième de la zone euro, menacée de récession et asphyxiée par un chômage record de 21,52%. Avec ce vote «s'achèvera un processus non écrit ni planifié de remplacement de tous les gouvernements des économies européennes considérées comme périphériques: la Grèce, l'Irlande, le Portugal, l'Italie, en plus de l'Espagne», prévenaient les analystes de Bankinter. Les premières réformes ne seront mises en place qu'une fois installées les deux chambres du Parlement le 13 décembre, puis investi le chef du gouvernement, à partir du 20. Mais les nouvelles mesures de rigueur qui se profilent pourraient attiser la grogne sociale qui s'est installée dans le pays. Le mouvement des «indignés», apparu au mois de mai, s'est mis en sourdine après les grandes manifestations du printemps, mais perdure par exemple en empêchant les expulsions de propriétaires surendettés. Arrivés au pouvoir en plein miracle économique, alors que la croissance espagnole était portée par le boom de l'immobilier, les socialistes n'auront pas résisté à la crise financière mondiale qui a éclaté à l'automne 2008. Depuis mai 2010, les Espagnols sont soumis à une politique d'austérité - baisse de 5% du salaire des fonctionnaires, gel des retraites ou recul de l'âge de la retraite de 65 à 67 ans. Vaincu par la crise, le chef du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, s'était finalement résigné à avancer de quatre mois les élections prévues en mars 2012.