Certes, le jour de l'exposition des œuvres est un grand jour pour l'artiste peintre. Le vernissage, les invités, les amis, les médias et les félicitations procurent beaucoup de plaisir et un bon sentiment d'aboutissement. Mais le mot « aboutissement » porte en lui, quelque chose qui semble définitive, qui ne laisse aucune place à l'attente, à l'espoir, au progrès ! L'aboutissement qui rime avec orgueil, doute ou tentations, est le pire ennemi du progrès. Les gens qui aiment l'action et la vie pleine de nouveaux événements éclatants, qui arrivent de nulle part, commettent une erreur double, à mon sens. D'abord, ils ne se rendent pas compte à quel point le cheminement est enrichissant, ensuite ils prennent le risque de n'aboutir à rien d'important. En effet, rien n'est sûr dans la vie, et ce que l'on attend, l'on souhaite ou l'on appréhende n'arrive pas obligatoirement. Si l'aboutissement est le seul souci, comment savoir alors si l'on a pris le bon chemin ? Comment peut-on se passer de toutes ces petites réussites intermédiaires qui accompagnent le cheminement naturel des choses ? Sans les succès partiels, il ne peut y avoir de progrès. Imaginez la différence entre le fait de prendre un moyen de transport pour aller d'un endroit à un autre, et y aller à pied, pas à pas, en observant chaque petit détail sur la route, en s'attardant à chaque endroit attachant. L'on se rend compte alors que chaque étape est importante et que le voyage est souvent plus captivant que l'arrivée. La nostalgie des semaines, voire des mois, passés dans l'atelier à créer, à œuvrer, à préparer les peintures, interpelle habituellement les artistes qui aiment peindre. C'est dans le cheminement que les choses se font ou se défont. Atteindre un but est un bon sentiment, mais le vrai délice se trouve dans tous ces petits plaisirs que l'on rencontre le long du chemin. Le cheminement, est le temps présent, l'avance hésitante, comme l'a dit Franz Kafka (sur notre photo Kafka vu par Crumb). « Il y a un but, mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation. » C'est l'avance progressive avec un but, une attente, un projet, un espoir de s'améliorer. Le cheminement, c'est ce qui peut nous changer en cour de route. Car, chemin faisant, sans s'en apercevoir, l'on découvre que certaines choses d'apparence anodine peuvent être vitales, alors que celles que l'on croyait importantes peuvent, éventuellement, l'être beaucoup moins. La compréhension chemine avec le processus. En respectant le temps que nécessite le cheminement naturel des choses, l'ont peut changer de direction en cour de route, prendre de nouveaux sentiers, expérimenter de nouvelles choses, faire de nouvelles rencontres et peut-être aboutir à de meilleurs résultats. « ... une œuvre d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l'art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur, une première fois, s'est ouvert » Albert Camus (L'envers et l'endroit, Préface). *Artiste peintre, chercheur