Des titulaires de masters (BAC+5) et de thèses (BAC+8), toutes matières confondues, des principales universités du pays ont manifesté ce mardi après-midi à Rabat pour la sixième fois consécutive en l'espace de deux mois à peine. Partis de la place de la poste (El Barid), en ordre rangé avec le T-shirt qui correspond à un des quatre groupes qui composent ce mouvement social, ces 500 manifestants se sont dirigés vers le Parlement puis vers la gare de Rabat et enfin à la Wilaya. « Les cadres supérieurs veulent l'intégration directe dans le public ! Les cadres veulent activer le décret ministériel ! », scandent les manifestants. En effet, un décret ministériel de 2010 stipule que tous les étudiants ayant eu leur diplôme en 2011 seront intégrés dans la fonction publique, notamment dans les ministères. La promotion de 2009-2010 a été gratifiée d'un emploi: 4304 postes ont été créées. A l'heure actuelle, 1500 postes ont été promis pour 2012. «Nous allons faire pression », raconte Mehdi, étudiant en master de lettres. Côté ministère, pas de réaction depuis début juillet. Les étudiants chômeurs ont décidé de relever le niveau d'un cran en manifestant 2 à 3 fois par semaine jusqu'à ce qu'ait lieu une négociation avec le ministre de l'Education. Pour Karim, docteur en physique à l'Université Hassan II Mohammedia à Casablanca, beaucoup d'éléments sont à revoir dans la politique éducative : « la thèse que je viens de terminer ne me donne pas accès à un emploi parce que les matières qui m'ont été enseignées ne concordent pas avec la réalité du marché de l'emploi. La recherche et le développement en nano-physique est embryonnaire dans le secteur privé, et dans le public il n'existe pas de telles structures. Nous faisons des études qui débouchent sur rien ». Pourquoi le système éducatif ne s'adapte-t-il pas au marché de l'emploi ?» La question est posée. « Il y a aussi la question de la rémunération, ajoute Brahim, étudiant en master d'histoire et civilisation, qui pose problème. «Je réclame un emploi dans le public car le privé ne m'offre rien de bon à mon niveau d'études. Vous rendez-vous compte qu'avec cinq ans d'études après le BAC, je touchais à peine 1800 dh au Val Fleuri de Kénitra. Les salaires ne reflètent pas nos compétences ». Des incohérences de ce type, il en existe de nombreuses dans le système éducatif actuel. Etudiant en master d'ingénierie des systèmes automatisés industriels à l'université des sciences de Fès, Hicham surenchérit : « En 2007, un nouveau programme éducatif a été mis en place qui stipule que l'informatique est une matière qu'il faut maîtriser mais elle n'a pas été enseignée à son juste niveau. C'est l'excuse toute trouvée pour ne pas nous embaucher ». Nombre de manifestants insistent sur le fait que l'inégalité des chances reste le maître mot de la politique éducative actuelle et que la concurrence n'est pas équitable. Pour Karim, « la corruption ronge les institutions étatiques. Les pots-de-vin remplacent les diplômes. Nous réclamons des concours équitables ». Hicham sourit, le fin mot de l'histoire se trouve là . «Une bonne école privée coûte 50.000 dh par an tandis qu'une école publique coûte en moyenne 50 dh l'année. A cela s'ajoute les relations. La clef de la réussite réside dans ces deux éléments : richesse et pouvoir. Les bons salaires dans le privé sont réservés à une élite», conclut Karim. Pour les autres, ce sont des bas salaires dans le privé ou la tentative d'intégrer le public, quand ce n'est pas le chômage qui les attend. Le cortège des manifestants fait demi-tour, pour finir sa course dans l'avenue Mohammed V. Chacun lève la main avec le V de la victoire, symbole de la paix et de la solidarité et un clin d'œil aux révoltes arabes. Et Hicham de conclure : « Le riche trouve du travail et le pauvre n'en trouve pas, le Maroc doit changer ». Une cinquantaine d'étudiants, entrés dans la Gare, est interpellée par la police, ce qui n'empêche pas les autres étudiants chômeurs de poursuivre leur lutte. « Notre revendication est extrêmement simple: un travail pour tous, respect du décret ministériel, intégration sans conditions dans le service public avec lequel nous sommes en lien», somme Zahdi Azzeddine, secrétaire général du groupe 2011 Daba, un des quatre groupes du mouvement.