Les Egyptiens savourent leur nouvelle liberté acquise depuis le départ du président Hosni Moubarak en poursuivant mercredi les mouvements de grève pour réclamer une hausse des salaires, malgré les appels du nouveau pouvoir militaire à reprendre le travail. Des arrêts de travail et des rassemblements ont été signalés dans le delta du Nil, les villes le long du canal de Suez, au Caire et dans la deuxième ville du pays, Alexandrie (nord). Le secteur bancaire était aussi perturbé, obligeant la Bourse du Caire, fermée depuis le 27 janvier, à rester le rester encore jusqu'à dimanche au moins. Nombre des conflits sociaux ont débuté ces derniers jours, dans le sillage de la révolte qui a chassé M. Moubarak du pouvoir après trois décennies de règne, et fait 365 morts et 5.500 blessées en 18 jours (25 janvier-11 février) selon un bilan publié mercredi par le ministère de la Santé. L'armée, à laquelle M. Moubarak a remis le pouvoir, a mis en garde mardi contre les conséquences "désastreuses" de nouveaux mouvements sociaux. Elle s'est dite "consciente" des problèmes sociaux et économiques tout en soulignant qu'ils "ne pouvaient être résolus avant la fin des grèves et des sit-in". Les employés de la plus grande usine d'Egypte, Misr Filature et Tissage (24.000 employés) ont repris leur grève à Mahallah, dans le delta du Nil, pour réclamer hausses de salaires et meilleures conditions de travail. Une grève a aussi paralysé une autre grande usine textile à Helwan, dans la banlieue sud du Caire. A Ismaïliya, sur le canal de Suez, des employés des services publics de l'irrigation, l'éducation et la santé ont protesté devant le gouvernorat pour demander de meilleurs salaires, selon des témoins. Cette situation sociale difficile s'ajoute à la crise du tourisme, au point mort depuis des semaines alors que cette période de l'année correspond à la haute saison. Le tourisme rapporte environ 13 milliards de dollars par an au pays. Il représente 6% du PIB et, directement ou indirectement, près de 10% de l'emploi. Environ 40% de la population égyptienne vit en-dessous du seuil de pauvreté, établi à deux dollars par jour et par personne. Le salaire minimum, fixé en 2010 à environ 70 dollars, est proche de ce seuil. L'Egypte a appelé la communauté internationale à soutenir son économie. Au plus fort de la révolte, l'économie a perdu au moins 310 millions de dollars par jour, selon une note du Crédit Agricole, qui a abaissé ses prévisions de croissance 2011 pour l'Egypte de 5,3% à 3,7%. La chef de la diplomatie de l'Union européenne, Catherine Ashton, est attendue le 22 février en Egypte, l'UE ayant d'ores et déjà offert son aide économique au Caire. Sur le plan politique, un membre de la commission chargé de modifier la Constitution a confirmé que les amendements seraient prêts dans une dizaine de jours et soumis à référendum d'ici deux mois. Cette révision était l'une des principales revendications des manifestants, pour qui la Constitution était taillée sur mesure pour l'ex-président. Le référendum doit être suivi dans plusieurs mois d'élections législatives et présidentielle. Dans ce contexte, les Frères musulmans, le plus influent mouvement d'opposition, ont assuré qu'ils ne chercheraient pas à avoir la majorité dans le prochain Parlement. Des responsables américains du renseignement ont estimé que les Frères musulmans ne constituaient pas une organisation "monolithique", jugeant floues leurs positions sur l'évolution politique du pays. Parallèlement, le plus haut gradé américain, l'amiral Michael Mullen, a estimé que réduire l'aide militaire américaine (1,3 milliard de dollars par an) à l'Egypte serait "inconscient", jugeant que la coopération militaire bilatérale avait une valeur "incalculable", face aux élus républicains qui veulent tailler dans les dépenses de l'Etat fédéral.