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Robert Zoellick fait le point sur les grands dossiers mondiaux
La flambée des prix alimentaires, un enjeu de taille pour les pays en développement en 2011 L'Afrique peut être un pôle de croissance mondial dans les années à venir
Publié dans L'opinion le 01 - 02 - 2011

L'année 2010 a vu des marchés émergents tels que la Chine, l'Inde et le Brésil continuer à jouer un rôle moteur dans la croissance de l'économie mondiale, tandis que les pays développés, notamment les États-Unis et une partie des pays européens, restaient englués dans les problèmes de dette et de chômage. À la veille du Forum économique mondial de Davos, le journal américain Newsweek a interviewé le président de la Banque mondiale, Robert B. Zoellick, au sujet des perspectives de l'économie mondiale.
Lire ci-dessous de large extrait des grandes lignes de cette interview.
Ainsi, pour le président de la Banque mondiale, le plus gros problème auquel aient à faire face les pays en développement en 2011 est le risque de forte poussée des prix alimentaires. L'alimentation représente une part importante et de plus en plus fluctuante du budget des familles pauvres qui vivent en milieu urbain dans ces pays. Lorsque les prix des denrées de base s'envolent, ce sont les pays à faible revenu et les pauvres qui en pâtissent le plus. Le président français Sarkozy, qui préside cette année le G-8 et le G-20, a qualifié à juste titre ce problème de dossier prioritaire.
Répondant à la question suivante : Comment le monde peut-il assurer la sécurité alimentaire face à la montée des prix ?, Robert B. Zoellick souligne qu'on est face à deux problèmes qui sont liés entre eux. Le premier problème est comment accroître les niveaux de productivité et de production alimentaire dans les pays en développement, surtout en Afrique subsaharienne et au niveau des petits exploitants.
« Pour cela, il faut régler les problèmes qui se posent à tous les niveaux de la chaîne de valeur : droits de propriété, effort de recherche-développement en matière de semences et d'intrants, irrigation, engrais, vulgarisation agricole, crédit, infrastructures rurales, stockage, accès aux marchés. Le Groupe de la Banque mondiale administre un Programme mondial pour l'agriculture et la sécurité alimentaire, auquel contribuent actuellement six pays ainsi que la Fondation Bill et Melinda Gates, pour aider à promouvoir les investissements au niveau des petits exploitants. J'espère que nous pourrons obtenir d'autres contributions en 2011. Par ailleurs, le Groupe de la Banque a entrepris de porter à 6 ou 8 milliards de dollars par an son effort en faveur de l'agriculture sous forme d'activités de prêt et de projets d'investissement », indique-t-il.
Le second problème soulevé par l'interviewé a trait à la volatilité des prix alimentaires, qui tient souvent à des facteurs sur lesquels les pays pauvres n'ont pas de prise. Toute une conjugaison de mesures coordonnées pourrait contribuer à faire en sorte que les pays et populations les plus vulnérables aient accès aux ressources nutritionnelles dont ils ont besoin. Il y a moyen, par exemple, d'accroître l'information publique sur le niveau de qualité et de quantité des stocks de céréales, afin de rassurer les marchés et de tempérer les flambées des prix résultant de mouvements de panique.
« On peut améliorer le travail de surveillance et de prévision météorologique à longue échéance, surtout en Afrique, pour mieux parer aux dangers. Et comme les mesures de restriction sur les exportations ne font qu'accroître l'effet de panique sur les prix, il nous faut un code de conduite qui permette au moins aux achats de produits alimentaires effectués à des fins humanitaires d'échapper à ces mesures. On peut contribuer à faire une plus grande place pour les petits exploitants agricoles, dans les mesures prises pour apporter une solution au problème de la sécurité alimentaire, par le biais des appels d'offres lancés par les organismes humanitaires qui achètent des produits agricoles, tels que le Programme alimentaire mondial. Nous avons besoin d'outils financiers et autres pour aider les agriculteurs et les dirigeants de leurs pays à gérer les risques découlant notamment des intempéries ou des prix des facteurs de production tels que l'énergie. Il nous faut peut-être aussi établir de petites réserves régionales de produits alimentaires d'ordre humanitaire dans les zones faiblement dotées en infrastructures et sujettes aux catastrophes. Nous devons également veiller à ce que des filets de protection sociale effectifs et ciblés soient en place, de manière à protéger les groupes de population les plus vulnérables, tels que les femmes enceintes ou allaitantes et les enfants de moins de 2 ans. Conclusion : il incombe aux membres du G-20 de s'entendre pour faire de l'alimentation la priorité numéro un ».
Qu'en est-il maintenant de l'économie mondiale ? Pour l'économie mondiale prise globalement, poursuit le président de la Banque mondiale, le problème d'ensemble consiste à gérer et bonifier une reprise à plusieurs vitesses et de niveau modeste tout en évitant toute une série d'écueils, ce qui veut dire : pour les grands marchés émergents, empêcher une surchauffe ou des bulles dans certains secteurs ; pour l'Union européenne, naviguer entre les icebergs constitués par les problèmes de dette souveraine, qui risquent d'ouvrir d'énormes brèches dans le système financier ; pour les États-Unis, créer aujourd'hui des emplois tout en brisant la vague de dépenses structurelles et d'accumulation de dette ; et pour l'ensemble des pays, s'engager sur la voie de réformes structurelles adaptées au besoin de chacun dans l'optique d'une croissance renforcée et d'un rééquilibrage de l'économie mondiale.
Robert Zoellick a affirmé, d'autre part, que la croissance économique affichée par les pays en développement en 2010 a été un motif de satisfaction particulier. De fait, poursuit-il, une différence essentielle entre cette récession et les précédents est que les pays en développement ont comblé le vide grâce à leur performance. Ils représentent aujourd'hui la moitié environ de la croissance mondiale. Notre monde actuel est très différent de celui d'il y a ne serait-ce que dix ans.
« On est certainement aux antipodes des crises économiques mondiales des années 70, 80 et 90, qui résultaient de problèmes au niveau des pays en développement. Aujourd'hui, ces économies constituent un important vecteur de demande pour les exportations des pays développés. Et les pays en développement présentent des opportunités dans le contexte d'une économie mondiale en mutation, sous forme de pôles de croissance nouveaux et multiples, de possibilités d'investissements et de profits, de mains-d'œuvre mieux instruites et à même d'apporter un plus en termes d'innovation et de productivité, de talents supplémentaires pour apporter des solutions aux problèmes, et de moyens de répartir les responsabilités. Cela étant, le processus d'ajustement à un multilatéralisme moderne représentera un défi continu et de tous les instants ».
Robert Zoellick a noté, en outre, que le monde en développement a, dans l'ensemble, été un facteur de solidité, mais les principaux marchés émergents — la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Asie du Sud-Est — commencent à lever le pied pour éviter une surchauffe ou des bulles dans certains secteurs. Dans certains pays, cet ajustement ne sera pas sans poser problème, en raison des incidences de l'économie mondiale ou de goulets d'étranglement au niveau de l'offre intérieure. Au chapitre des éléments positifs, presque tous sont sensibilisés à ces dangers et ils semblent, pour la plupart, à même d'y faire face.
Répondant à la question de savoir comment peut-on réduire les tensions monétaires entre les États-Unis et la Chine, il note que les deux pays sont les deux plus grosses économies mondiales ; l'une est développée, l'autre en développement. « Bien que les Chinois doivent, à mon avis, revaloriser leur monnaie au fil du temps, ce changement ne sera pas une solution miracle. Ce qu'il faut à la Chine, ce sont des changements d'ordre structurel destinés à accroître la demande intérieure par un surcroît de consommation et une baisse de l'épargne, à commencer par les bénéfices non distribués d'entreprises favorisées qui bénéficient de financements à faible coût et d'une concurrence limitée. La Chine s'orientera dans cette direction dans le cadre de son prochain Plan quinquennal (le douzième), mais ce ne sera pas une mutation aisée ».
Pour les États-Unis, poursuit-il, c'est l'évolution inverse qui se profile : ils ont besoin d'un peu plus d'épargne et d'un peu moins de consommation. Pour eux, il va donc falloir des réformes structurelles destinées à réduire les taux d'augmentation des dépenses et de l'endettement publics, tout en encourageant les mesures d'incitation pour la croissance et les gains de productivité, ainsi que l'innovation et les opportunités.
Concernant la question de savoir si le retour de l'étalon-or serait-il bénéfique, la réponse de M. Zoellick est la suivante : « Je pense que l'or est déjà considéré comme un avoir monétaire de rechange, en raison des perspectives aléatoires que les détenteurs d'avoirs monétaires perçoivent au niveau de l'ensemble des pays et des monnaies, abstraction faite de la Chine, et du fait que le renminbi ne se prête pas aux opérations de change et d'investissement. Pour les grandes économies, l'antidote à cela consiste à mener des politiques durables de promotion de la croissance fondées sur des réformes structurelles, un système commercial ouvert et une gestion avisée de leur monnaie. Ce n'est pas la même chose qu'un étalon-or, et je ne recommanderais pas non plus un retour à cet étalon ou à l'ancien système de Bretton Woods. Nous devons aller dans le sens de taux de change souples et de politiques monétaires autonomes pour les principales économies, dans le contexte d'une nouvelle économie multipolaire. Il faut s'attendre à ce que cette économie mondiale évolue elle-même dans le sens d'une multiplicité de monnaies de réserve, le dollar des États-Unis continuant d'occuper une place dominante mais pas exclusive. Ce système aura besoin de règles de conduite sur le plan monétaire et, plus largement, économique, avec le FMI pour « arbitre » ; quant à l'or, il pourrait être un outil non pas opérationnel mais informationnel permettant de jauger le degré de confiance des marchés à l'égard des politiques monétaires et de croissance sous-jacentes », indique-il.
Quels sont les pays destinés à être les grandes économies émergentes de demain ?
La réponse de M. Zoellick est que « …toutes les régions en développement présentent des possibilités à cet égard. À l'appui de cet argument, j'ajouterai que l'Afrique peut, à mon avis, être un pôle de croissance mondial dans les années qui viennent. Les pays d'Afrique subsaharienne ont déjà connu une croissance supérieure à la tendance mondiale en 2010, avec un PIB en progression de 4,7 %, contre 3,9 % pour le PIB mondial. Et pour l'année qui vient, la croissance en Afrique subsaharienne doit être de l'ordre de 5-6 %, selon les projections ».
Dans le même ordre d'idées, il a souligne que l'Afrique est un continent qui présente une grande diversité, et il est donc difficile de généraliser, mais nous avons en gros trois groupes qui sont à présent en jeu. Tout d'abord, un tiers environ de la population connaît une bonne croissance. Pour ces habitants, les enjeux du moment sont l'accès à l'énergie, davantage d'investissements en infrastructure et en agriculture, une plus grande intégration régionale en rapport avec les marchés mondiaux, et un renforcement du secteur privé. Un autre tiers de la population vit dans des pays riches en ressources énergétiques. Pour ces pays, il s'agit d'instituer une meilleure gouvernance, des mesures de lutte contre la corruption et des politiques de croissance solidaires, tout en évitant de tomber dans le piège des économies enclavées. Enfin, un dernier tiers vit dans des pays paralysés par un conflit. Ce dont ces gens ont besoin, c'est d'un surcroît de sécurité, d'une meilleure gouvernance, et d'un appui à plus long terme pour favoriser une situation de paix et contribuer à rétablir un processus de développement stable.
Avant la crise, les économies africaines ont connu durant une dizaine d'années une croissance de 5 % par an, qui est passée à plus de 6 % les trois dernières années. La pauvreté y était en recul d'environ un point de pourcentage par an, soit un rythme supérieur à celui de l'Inde. Avant la crise, les taux de scolarisation primaire y progressaient plus vite que partout ailleurs. Et en quatre années seulement, les taux de mortalité infantile ont diminué de 25 % dans environ 13 pays.
Bien entendu, il y a un revers à ce tableau : les 400 millions d'Africains ou presque qui ont seulement 1,25 dollar par jour pour subsister, ou l'énorme déficit d'infrastructure qui fait qu'un habitant sur quatre seulement a accès à l'électricité, et encore moins pour ce qui est de l'eau potable et de l'assainissement. Et il y a d'autres problèmes d'ordre politique et en matière de sécurité, comme par exemple la crise qui a récemment éclaté en Côte d'Ivoire.
L'interviewé fait savoir en fin que l'Afrique, moyennant les politiques appropriées et une bonne gouvernance, un appui pour son infrastructure et le renforcement de ses compétences, peut attirer l'investissement, ce qui sera au bénéfice de tous. Grâce à un ensemble de politiques judicieuses, le secteur privé a investi plus de 56 milliards de dollars dans les réseaux de téléphone mobile sur le continent africain, ce qui a porté le nombre d'abonnés dans la région de 4 millions à plus de 400 millions.


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