Meknès a vécu, à l'heure de la prière du vendredi 19 février, l'événement le plus douloureux de ces dernières décennies, un terrible drame: 41 personnes sont mortes et 75 blessées dont 18 sont toujours en observation. Tel est le bilan de l'effondrement du minaret et d'une partie de la mosquée Lalla Khenata Bent El Bakkar, au quarter Bab Berdieyinne. Un bilan que l'on craint provisoire tant que les blessés graves dont l'état est jugé très critique par les médecins, n'ont pas encore quitté l'hopital. Nous leur souhaitons un prompt rétablissement, comme nous présentons aux familles des décédés nos condoléances les plus attristées. «Alors que l'imam venait de faire son entrée dans l'enceinte de la mosquée et qu'il allait entamer le prêche de vendredi, nous avons entendu un bruit assourdissant avant d'être complètement engloutis dans un nuage de poussière asphyxiante. Je n'ai pas eu le temps de comprendre, tout le monde s'est précipité vers les portes de la mosquée en criant Allah Akbar» a déclaré à L'Opinion un rescapé de la catastrophe, admis à l'hôpital Mohammed V pour traumatisme crânien, encore sous le choc. «Ce sont certes des «chouhadas» (martyres), aimés de Dieu, rendant l'âme un vendredi, dans la maison de Dieu et s'apprêtent à accomplir un devoir religieux entre les mains du Seigneur, mais cela ne doit pas masquer la réalité ;ce sont aussi des victimes de négligences par certains responsables qui n'ont pas anticipé en prenant les décisions qui s'imposent», hurlait le président de l'association du quartier qui prétend avoir alerté les responsables du danger qu'encourait la mosquée, devenu visible à l'œil nu. En plus des fidèles, venus accomplir la prière du vendredi, on s'apprêtait à observer la prière du mort en hommage à un défunt du quartier décédé le même jour. Son cercueil a été déposé à l'intérieur de la mosquée, dans un lieu réservé à cet usage. Sa famille, ses proches et plusieurs personnes accompagnaient le défunt à sa dernière demeure. La mosquée est donc bondée de fidèles, «pleine à craquer» selon un témoin. Elles étaient plus de 300 personnes réunis dans l'enceinte de la mosquée au moment du drame. C'est trop pour un lieu du culte, très ancien et de surcroit recensé parmi les constructions menaçant ruine de la cité ismaïlienne et dont la capacité ne dépasse guère 200 personnes. En effet, la mosquée Lalla Khenata Bent El Bakkar, appelée à l'origine Mosquée Bab Berdieyinne, a été construite en 1709, sous le règne du Sultan Moulay Ismail. Deux particularités pour cette mosquée vieille de trois siècles, selon le «Nadir» des Habbous: une grande partie de la mosquée était construite en pisé et son minaret, considéré comme l'un des plus hauts de Meknès (entre 40 et 45 m), est aussi en pisé avec une structure en bois. Bien que les causes de l'effondrement du minaret n'ont pas été, jusqu'à maintenant, officiellement précisées, les pluies diluviennes qui se sont abattues dernièrement sur Meknès et ses environs sont d'ores et déjà montrées du doigt par certains responsables. Mais pour les habitants et les habitués de la mosquée, la pluie n'explique pas tout. Il ya à peine trois mois, un atelier de menuiserie jouxtant la mosquée avait pris feu, les flammes auraient atteint le minaret brûlant sa structure en bois. «Jai vu de mes propres yeux le minaret enflammé» racontait Lalla Aicha, venue au chevet de son mari, blessé et évacué vers l'hôpital Mohammed V. Cet incident aurait fragilisé la structure du minaret et sa stabilité. Les pluies et les vents violents qu'a connu Meknès dernièrement auraient précipité un effondrement inévitable mais pour certains «prévisible». Il aurait fallu plus de 20 heures aux secouristes, aidés dans un élan de solidarité exceptionnel des habitants du quartier, des associations, des citoyens, pour venir à terme des opérations de déblaiement et dégager des décombres rescapés et corps de victimes. Le dernier corps retiré l'a été vers 3h30, samedi. Les efforts de secours menés par les pompiers, les forces de l'ordre, et 480 militaires appelés en renfort, dans des conditions extrêmes, vu l'étroitesse des ruelles, le risque d'effondrement des constructions avoisinantes, très fragiles du tissu ancien de la Médina et la pression des familles, angoissées, cherchant un parent ou un voisin, furent titanesques. «C'est une nuit d'angoisse, de deuil, de pression psychologique et de course contre la montre pour retirer le maximum possible de vivants» nous confie un pompier. En effet, les secours ont été au début très gênés par des mouvements de foule très hystérique, et surtout des difficultés d'accès au site. La place Bab Berdieyinne, seul accès, était bondée de voitures. La mosquée elle-même est édifiée dans un espace confiné, comme toutes les mosquées de la Médina, entouré de murailles et de remparts de Moulay Ismail. Les équipements nécessaires à ce genre d'opérations furent abandonnés. On a opté pour le seul travail des hommes. Toute la nuit, sous des lumières de projecteurs, les recherches progressaient lentement entraînant hélas à chaque instant un changement de bilan macabre. On a parlé au moment du drame de quatre victimes, et depuis ce moment, le bilan ne cessait de s'alourdir pour s'arrêter au début de l'après-midi, samedi, à 41 décès et 75 blessés dont 57 avaient déjà quitté l'hôpital après avoir reçu les soins nécessaires. La majorité des victimes proviennent des quartiers avoisinants la mosquée, Tizimi, Jnahlaman, Bab Berdieyinne. Certains sont parents, étant donné que des membres de la même famille accomplissent habituellement la prière du vendredi à la même mosquée. La plus jeune victime, Mohammed B. est âgée de quatorze ans. Notons que Les blessés ont été évacués sur les hôpitaux de Meknès, Mohammed V et l'hôpital militaire Moulay Ismail alors qu'un seul cas, nécessitant une intervention de chirurgie vasculaire a été transporté à Fès. A l'hôpital Mohammed V, pris d'assaut dès l'annonce du drame par des centaines de citoyens, venus s'enquérir et prendre des nouvelles de leurs parents et proches présents dans la mosquée lors de l'effondrement, c'était des scènes d'hystérie successives des pertes de connaissances, des cris… Tout en rendant hommage à tous les secouristes, pompiers, militaires, gendarmes, forces de l'ordre, on apprécie à sa juste valeur, les efforts consentis par le personnel de la santé pour faire face, avec professionnalisme et abnégation, à un nombre impressionnant de blessés, de victimes, là aussi dans des conditions difficiles, sous pression. Dès l'annonce du drame, tout le personnel de la santé s'est rué vers l'hôpital, médecins dont certains du privé, infirmiers, soignants… pour aider à faire face à cette situation exceptionnelle. Toute la nuit, les sirènes des ambulances déchiraient le silence transportant les victimes à l'hôpital. Les corps des victimes ont été remis aux familles dans la nuit. L'opération a continué pendant toute la journée du samedi. La question: Pourquoi n'a-t-on pas procédé à la fermeture de la mosquée? Sur les lieux du drame, à l'hôpital, dans les quartiers touchés, une seule question dans toutes les bouches: On savait qu'il y avait un risque, pourquoi personne n'a ordonné la fermeture de la mosquée en attendant sa restauration? Apparemment, tous les services étaient alertés. La «Nidara» des Habbous a lancé une consultation auprès des bureaux d'études pour devis contradictoires afin d'expertiser cette mosquée et proposer les solutions techniques adéquates. Un bureau d'étude meknassi a été choisi mais, surprise, il n'a, jusqu'à maintenant, pas reçu d'ordre de service pour entamer son expertise. Moralité, on savait que la dégradation de la mosquée est devenue très préoccupante nécessitant des travaux de réfection et de restauration, mais on prenait son temps et surtout on n'a pas eu le reflexe logique d'ordonner sa fermeture jusqu'à restauration. Faut-il toujours attendre le pire pour réagir? Et pourtant un cas édifiant a eu lieu à Boufekrane, l'expertise a dévoilé une dégradation de la mosquée qui pourrait rendre son exploitation risquée pour les fidèles. La commission a eu l'anticipation nécessaire et responsable de demander la fermeture de la mosquée. Les travaux ont été effectués et maintenant la mosquée est ré ouverte avec des conditions de sécurité satisfaisantes. Notons que les ministres de l'Intérieur, Taïb Cherkaoui et des Affaires islamiques Ahmed Taoufiq, se sont rendus sur les lieux du drame pour superviser les opérations de secours et à l'hôpital Mohammed V afin de porter soutien aux blessés. Une cellule de suivi psychologique a, en outre, été mise en place afin de conforter blessés et familles. D'ailleurs, ce sont des obsèques émouvantes réservées aux victimes ce samedi, devant la porte historique Bab Bardeaine. Une très grande foule a accompagné à leur dernière demeure les défunts inhumés dans les trois cimetières limitrophes, Bab Berdieyinne, Achouhadda et Cheikh El Kamel en présence du wali de la région Meknès-Tafilalet, des élus et plusieurs personnalités civiles et militaires. Nos condoléances aux familles. Nous sommes à Dieu, et à Lui nous retournons.