Sanae Akroud, qui garde plus d'un tour à son arc en tant qu'actrice, scénariste, réalisatrice et productrice, est également reconnue pour ses projets cinématographiques engagés en faveur de la cause des femmes. Pour garantir l'émancipation des femmes, elle revendique une justice sociale égalitaire et l'abolition du système de tutelle masculine, afin de mieux protéger leurs droits et leur liberté. * Chaque 8 mars, nous célébrons la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Quels sont les acquis réalisés dans ce sens au Maroc et que reste-t-il à faire ? L'émancipation des femmes au Maroc est un parcours semé d'embûches, mais marqué par des avancées qui reflètent la force indomptable de celles qui refusent de se taire. Il est indéniable que de réels progrès ont été accomplis, et les femmes d'aujourd'hui ont su s'imposer grâce aux acquis arrachés de haute lutte, en grande partie grâce à la promulgation du nouveau Code de la famille, expurgé de certaines de ses contradictions. Bien que des progrès notables aient été accomplis, des défis persistent. La culture patriarcale, profondément ancrée dans nos traditions, continue d'influencer notre société, en particulier dans le domaine de l'éducation. Dès leur plus jeune âge, les garçons sont souvent conditionnés à perpétuer la discrimination de genre. C'est là où réside le véritable levier du changement. Il faut investir dans une éducation nouvelle, qui repense le vocabulaire, déconstruit les comportements appris et cultive des mentalités plus respectueuses et égalitaires, capables de façonner une génération résolument tournée vers l'égalité. L'espace de travail doit aussi devenir un véritable terrain d'égalité. Les femmes doivent percevoir des salaires égaux à ceux des hommes et bénéficier de conditions adaptées à leurs spécificités, notamment lors des périodes de transition hormonale.
* Votre film "Les Testaments" s'immisce dans le contexte de la récente réforme de la Moudawana, en traitant des questions sociétales complexes, telles que la garde des enfants après un divorce et les mariages précoces. Qu'est-ce qui a éveillé en vous le désir de mettre en lumière ces réalités sociales au Maroc ? Ce projet a vu le jour à la suite de la réalisation de mon film : « Myopia », qui traite des difficultés des femmes dans les villages reculés du Royaume. En enquêtant sur ce milieu rural, j'ai découvert un taux élevé de mariages de mineures, souvent suivis de divorces précoces. Ces jeunes filles se retrouvent isolées, stigmatisées et sans droits. Face à ce constat, j'ai décidé de créer un personnage féminin radicalement différent de ceux que j'ai rencontrés : une femme éduquée et indépendante, qui se rebelle contre le patriarcat et trouve la force de dénoncer son silence. Un autre aspect de cette réalité est le contrôle exclusif de l'homme sur les documents administratifs relatifs aux enfants, alors que la femme, malgré son rôle indispensable dans leur vie, est privée de toute autorité légale. En s'appuyant sur des histoires fictives ancrées dans la réalité, ce projet cherche à révéler les abus de pouvoir utilisés par certains hommes pour empêcher les femmes d'accéder à la garde de leurs enfants, tout en dénonçant les structures légales qui limitent les droits des femmes et renforcent leur exclusion.
La fin de la tutelle masculine est un prérequis essentiel pour l'émancipation des femmes
* La réalisation du film a-t-elle eu lieu après la révision du Code de la famille ? C'est vraiment une coïncidence, car la préparation de ce film a commencé cinq ans avant la révision de la Moudawana. Mon objectif a toujours été de réaliser ce film pour soutenir et défendre les droits des femmes, en partant de mon entourage jusqu'à la société en général. Il se trouve que ce projet s'inscrit aussi dans la dynamique des actions menées par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, qui lutte activement pour l'arrêt des mariages des mineures, et je me joins à lui dans cette cause. Je tiens également à saluer les activistes qui, jour après jour, combattent les injustices sociales et participent au changement. Mon film fait écho à plusieurs mouvements qui cherchent à résoudre l'inégalité des genres. Achevé à un moment clé de la réforme, il s'intègre donc naturellement dans les débats sur la révision de la Moudawana, en soulignant que les droits des femmes sont essentiels non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour l'équilibre de la famille, et, par conséquent, pour les hommes aussi. Ce projet est ma contribution à cette révolution sociale, mettant en lumière l'importance de l'autonomisation économique des femmes, de leur dignité et de leur indépendance. À travers tous mes projets, vous découvrirez que la condition féminine est au cœur de ma démarche, et je m'engage à continuer à œuvrer pour cette cause.
* Le film met en lumière les fissures dans la législation marocaine concernant les Droits des femmes. En tant que femme, avez-vous été confrontée à des situations qui témoignent de ces inégalités légales ? J'ai moi aussi traversé une période de douleur et de déchirement lorsque j'ai demandé le divorce, car il y avait une grande ingratitude dans ma vie conjugale. La réalité s'est avérée bien plus cruelle que ce que j'avais pu dépeindre dans le film. Cependant, de mon côté, mon mari n'a pas opposé de résistance pour les démarches administratives, cherchant à protéger nos enfants. Par contre, j'ai été témoin de femmes qui ont subi des humiliations après leur divorce, notamment celles ayant des enfants, et c'est profondément accablant. Concernant les mariages des mineures, ces jeunes filles se voient violées dans leurs corps et leurs rêves. Bien que je me sois sentie démunie, j'ai trouvé une façon de contribuer, non pas directement dans la réalité, mais en endossant, à travers le cinéma et les mots, le rôle d'avocate, afin de donner corps et voix à celles qui ne peuvent se faire entendre.
* Quelles ont été vos premières impressions à l'égard des propositions de réforme du Code de la famille ? J'ai été satisfaite car ces propositions résolvent environ 80% des problèmes soulevés pour la réforme de la Moudawana. Elles traitent en majorité des problèmes récurrents dans les tribunaux, qui détruisent les vies des femmes et des familles. Cependant, j'ai été déçue par le rejet de l'utilisation des tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage. La responsabilité financière du père est acquise, mais certaines femmes indépendantes financent seules les besoins de leurs enfants et cherchent simplement à avoir une reconnaissance paternelle pour éviter que l'enfant soit stigmatisé. Il est important d'avoir une reconnaissance juridique, car les deux parents sont responsables du bien-être de l'enfant. Sur un point positif, la garde maternelle après un remariage et la protection de la maison après la mort du père sont des avancées significatives pour l'enfant. Tout changement en faveur des droits des femmes et des libertés individuelles est une victoire.
* Parmi les points les plus polémiques dans la réforme figure la tutelle parentale. Qu'en pensez-vous ? Il faut s'attaquer à la tutelle masculine, vestige d'un passé révolu, qui reste un outil de domination sociale, restreignant les libertés des femmes. Cette tutelle, en totale contradiction avec les évolutions sociales, n'a plus sa place dans une société qui se veut moderne et égalitaire. Selon elle, il est incompréhensible qu'une femme, qui peut occuper des postes influents, soit pourtant privée de la capacité à décider de son propre destin ou de celui de ses enfants. Cette contradiction crée une insécurité profonde et injustifiée. La diabolisation des femmes doit être également dénoncée, car c'est une méthode utilisée par certains hommes pour les manipuler et les réduire au silence. Bien que des progrès aient été réalisés, cette réalité persiste.Ce n'est qu'en instaurant cette véritable égalité légale que l'émancipation des femmes pourra devenir une réalité tangible et complète.