Nous sommes à Bouznika en cette journée à l'atmosphère ramadanesque par excellence. Ici, les affaires vont bon train et les vendeurs rivalisent d'énergie pour attirer l'acheteur indécis. Au cœur de Bouznika, le marché central s'anime dès les premières lueurs du jour, et plus encore à l'arrivée du mois sacré du Ramadan, où les effluves d'épices, de coriandre fraîche et de poisson grillé se mêlent à la clameur, incessante, des marchands qui se frottent les mains en pensant aux gains qu'ils escomptent générer, et des clients en quête de bonnes aubaines. À perte de vue, les étals regorgent de denrées essentielles : lentilles, pois chiches, dattes, miel ambré, la semoule de blé pour le sacro-saint baghrir, et bien sûr, la farine et l'huile, indispensables pour les msemmen et la harira du f'tour. Un client, un quinquagénaire au regard vif, pose fièrement son couffin bien rempli sur le comptoir d'un vendeur de légumes. « Avec 100 dirhams, on peut encore bien s'en sortir, à condition de ne pas acheter n'importe quoi, de savoir jongler avec les quantités et de ne pas céder aux envies superflues », lance-t-il à une cliente qui se plaignait de la cherté de la vie. «Au Maroc, l'inflation n'est pas aussi grave qu'ailleurs», enchaine-t-il avec le même sang froid, soupesant un bouquet de menthe. Mais une femme, d'un certain âge, ne partage pas son optimisme : « Avant, on pouvait manger des tagines de sardines à la tomate tout au long de l'année, surtout pendant le Ramadan. Aujourd'hui, c'est devenu un luxe », soupire-t-elle, les bras chargés de sacs trop légers à son goût. Et pourtant, un passant glisse une information qui fait sourciller tous les amateurs de poisson ici présents : un vendeur de sardines du marché propose son kilo à 20 dirhams, bien en deçà des 25 ou 30 affichés dans les grandes villes voisines. Jeudi, c'est jour de joutia à Bouznika. Des files kilométriques prennent la direction de l'ancienne place du souk où les marchands ambulants étendent, occasionnellement, leurs tréteaux de fortune. Ici, pas de vitrine éclatante ni de balance électronique, mais une effervescence brute et authentique. Les cageots de tomates rouges éclatantes affichent 8 dirhams le kilo, les oranges juteuses commencent à 5 dirhams. Une femme à l'accent chantant du sud feuillette une botte de coriandre avant de la remettre en place : « Le Ramadan devrait être le mois de la sobriété. Mais aujourd'hui, il est surtout celui de la surenchère», constate-t-elle avec un brin d'amertume. Et pourtant, Bouznika garde cette atmosphère si particulière, entre effervescence marchande et traditions culinaires préservées. Si les prix grimpent et les nostalgiques soupirent, l'esprit du Ramadan, lui, résiste dans les allées du marché et autour des tables où, chaque soir, la rupture du jeûne rassemble familles et voisins dans un rituel immuable, car la sobriété ne tient pas qu'au prix des tomates ou des sardines, mais à l'amour du partage et à la définition de la vraie richesse. Houda BELABD Une ville atypique... Bouznika a ce quelque chose que bien des villes n'ont pas. C'est, justement, sa capacité à s'adapter à chaque saison de l'année. Si ses plages attirent les amoureux de la Dolce vita dès que la température dépasse les 20°C, ses marchés, pendant le Ramadan, attirent à la fois les amoureux du poisson, de la mer, du calme et du farniente pendant le weekend. Son centre-ville, quant à lui, séduit les nombreux fans du méchoui et ce, tout au long de l'année. Dans ce marché proche de la gare ferroviaire de cette cité balnéaire, l'odeur envoûtante du pain tout juste sorti du four se mêle aux effluves épicées des préparations ramadanesques. Entre les bousculades bon enfant et les discussions animées sur la cherté de la vie, un sentiment partagé flotte dans l'air : celui d'une effervescence à la fois familière et précieuse où le mois sacré reste un moment où l'on perpétue avec ferveur les rituels ancestraux, malgré les contraintes économiques.