Pour un journaliste, la disparition d'un journal est toujours une mauvaise nouvelle. Celle du Journal Hebdomadaire en est une. Je ne vais pas verser sur cet évènement des larmes de crocodiles. Mon hypocrisie n'atteindra pas ce seuil. Mais j'ai fait mienne depuis toujours la position de Allal El Fassi: même dans l'adversité, je défendrai la liberté d'expression de mon adversaire. Parce que je considère d'abord que la divergence est un bon stimulant pour le développement des idées. De ce point de vue, nous avons perdu un pacemaker. J'ai suffisamment croisé le fer, sur ces colonnes et ailleurs, avec la ligne éditoriale monolithique du magazine disparu pour avoir vraiment besoin d'en rajouter aujourd'hui. Tous ceux qui se rangeaient dans cette tranchée avaient été qualifiés de néo makhzaniens, sans savoir vraiment ce que ce terme recouvrait, et traités de «capo» dans ce que ce grade a de subalterne et de dégradant. Je vais donner l'impression de faire dans la prétérition, mais dans ses deux phases d'existence, celle de la lune de miel avec le pouvoir et celle du divorce consommé, le Journal Hebdo a essentiellement pêché par excès: ton péremptoire, positionnement systématique en contre-pied, fausse profondeur des analyses, approches sans nuance, jugements sans appel. Aucun espace pour le doute, fut-il méthodique. Dès lors, en supposant aujourd'hui que sa posture de victime soit fondée, n'est-il pas dérisoire de s'étonner qu'on ne lui passe rien? Même son vénérable compagnon de route, le quotidien français le Monde, ne peut s'empêcher de l'évoquer en journal «volontiers donneur de leçons». C'est un choix. Encore fallait-il que le comportement qui en découle soit conséquent. Il est inconcevable de s'autoproclamer «incorruptible» au plan des idées et jouer avec les impôts qui sont la clé du droit à la citoyenneté et, dans ce cas, aussi seule voie d'accès à l'invulnérabilité. On ne peut dénoncer à longueur de titres la politique anti-sociale de l'Etat et priver ses propres employés de leurs retraites. Il n'est pas cohérent non plus d'imputer tout cela à une histoire de «mauvaise gestion» quand on a passé son temps à décrier l'Etat économiquement et politiquement comme un gestionnaire débile. L'immunité a un prix. Et lorsque la femme de César qui se doit d'être insoupçonnable prête le flanc, elle serait mieux inspirée de s'abstenir par pudeur, une fois face à son miroir, de crier au scandale.