Il y a peu ou prou 140 ans, le président Cleveland posa les bases d'une amitié maroco-américaine discrète, un lien renforcé par Trump dont la réélection réaffirme cette alliance stratégique. Flashback. L'Amérique a réélu Trump, ami indéfectible du Maroc qui, dès son premier mandat, avait soutenu la souveraineté marocaine sur le Sahara, rompant ainsi avec la prudence de ses prédécesseurs, et s'affichant comme un allié engagé pour la stabilité de la région. Les relations américano-marocaines, souvent influencées par les oscillations de la politique mondiale, retrouvent ainsi sous Trump un souffle de proximité et de confiance, échos d'une amitié ancestrale qui, malgré des périodes de silence, a toujours gardé un noyau intact. Mais pour bâtir un tel échafaudage diplomatique entre les deux pays, il a fallu que, bien avant les gestes audacieux de Trump, cette amitié soit née dans les échanges sobres et symboliques entre un Sultan d'Afrique du Nord et un autre président américain. Cleveland fut cet homme qui, malgré l'ombre d'un silence diplomatique, a su redonner souffle et mémoire à une amitié que l'on croyait presque effacée. L'allusion est ici faite à la période de quasi-divorce diplomatique entre 1802 et 1830, marquée par des troubles mondiaux et un éloignement progressif, qui mena les deux nations à suspendre leur dialogue, le Maroc sous le Sultan Moulay Slimane observant alors avec prudence l'influence croissante des puissances européennes dans la région, tandis que les Etats-Unis, encore fragiles et absorbés par leurs propres conflits intérieurs, ne semblaient plus accorder une priorité aux relations avec cette terre lointaine, pourtant amie. Puis vint cet homme singulier qui répondait au nom de Sir Grover Cleveland. Cleveland, seul président américain à avoir accompli deux mandats non consécutifs, entama son premier en 1885, alors que le Maroc se trouvait sous le règne du Sultan Moulay Hassan Ier. C'était une époque empreinte de paradoxes, de silences et de signes implicites. Cleveland incarnait une vision pragmatique de la politique étrangère américaine, loin des ambitions coloniales de l'Europe. Loin d'être un interventionniste, il chérissait la doctrine Monroe (une doctrine anti-colonialiste, ndlr) et préférait éviter les implications militaires en dehors du continent américain. Le Maroc sous Moulay Hassan Ier (1873-1894), quant à lui, connaissait des transformations notables. Le Sultan tentait de moderniser le pays et d'assurer sa souveraineté face à une Europe de plus en plus pressante. Sous le ciel de Fès, les émissaires marocains suivaient avec une certaine curiosité l'évolution politique en Amérique, percevant dans les choix de Cleveland une vision du monde alignée, quoique lointaine, avec les intérêts marocains. À la fois prudente et observatrice, cette période diplomatique permettait de renforcer le respect mutuel entre deux Etats, même sans échanges diplomatiques frénétiques, pourrait-on lire dans l'historiographie. Cleveland et Moulay Hassan partageaient une approche discrète et respectueuse de la diplomatie. Le président américain, préoccupé par les questions sociales internes de son pays (les luttes ouvrières, les affaires des terres amérindiennes et la montée du capitalisme industriel), n'oubliait pas pour autant le Maroc. Bien que la relation bilatérale ne se manifestât pas par des accords écrits, elle demeurait présente, comme un fil invisible qui ne demandait qu'à être renoué lorsque le moment serait venu. Ainsi, sous la présidence de Grover Cleveland, le Maroc et les Etats-Unis entretenaient une relation à la fois distante et respectueuse, presque une contemplation mutuelle. Ce n'était ni le froid du désintérêt, ni la chaleur d'une amitié active, mais quelque chose d'indéfinissable, une amitié sous-jacente, silencieuse et pleine de potentialité. Loin des projecteurs, elle témoignait d'une diplomatie d'observation, où chaque partie attendait le moment propice pour renouer des liens plus actifs. Ce temps était d'ailleurs marqué par un souci partagé pour l'indépendance et la neutralité. À la réélection de Trump, la continuité de l'amitié américano-marocaine semble résonner comme un hommage moderne à cet héritage du respect mutuel initié par Mohammed III et George Washington, ravivé par Cleveland et Moulay Hassan Ier, et aujourd'hui magnifié par les actions directes et symboliques de Donald Trump. Contrairement aux approches d'autrefois, où les gestes diplomatiques mesurés à la règle millimétrique, régnaient en maître, la diplomatie de Trump est directe, souvent teintée d'une admiration sans réserve pour l'alliance historique entre les deux pays. Un pont est, donc, à nouveau solidifié, étant fait de promesses concrètes et de vision partagée pour un avenir plus stable dans la région. Diplomatie : George Washington et Mohammed III, instigateurs d'une amitié de longue date En 1777, alors que les Etats-Unis naissaient à peine, un soutien inattendu émergea du Maroc faisant du Sultan Mohammed III le premier chef d'Etat étranger à reconnaître cette jeune nation, ce qui a marqué les débuts d'une relation diplomatique unique entre deux mondes séparés par l'Atlantique. Dans un contexte où les alliances étaient surveillées de près par les puissances européennes, ce geste audacieux suscitait l'étonnement : un pays du Maghreb osait tendre la main à une République lointaine, bien avant les alliés traditionnels des Etats-Unis. En ouvrant ses ports aux navires américains, Mohammed III leur offrit une protection précieuse contre les pirates méditerranéens et renforça les routes commerciales. Ce soutien se concrétisa en 1786 par le Traité de paix et d'amitié, toujours en vigueur aujourd'hui et considéré comme l'un des plus anciens traités américains. George Washington, premier président des Etats-Unis, salua la générosité et le courage du Sultan qui, sans avoir jamais visité l'Amérique, contribua à assurer la sécurité et la prospérité de cette nouvelle république. Ce traité garantissait aux navires des deux pays une navigation sûre et établissait des échanges commerciaux fructueux. La lettre de Washington au Sultan est devenue une pièce d'Histoire, célébrant le rôle visionnaire du Maroc sur l'échiquier diplomatique. Washington y exprimait sa profonde gratitude pour l'audace et l'ouverture du Souverain marocain, qui avaient permis de fonder un partenariat sincère et durable. Aujourd'hui, cette amitié singulière, fruit d'une diplomatie indépendante et visionnaire, perdure depuis plus de deux siècles, symbolisant le respect et l'ouverture mutuels. À une époque dominée par les empires européens, Mohammed III offrit au Maroc un rôle unique sur la scène internationale, jetant les bases d'une alliance qui continue de s'épanouir à travers les échanges culturels, économiques et stratégiques. Espionnage : Quand les alliances invisibles renforcent les liens fraternels... Les relations entre le Maroc et les Etats-Unis sous le règne de Feu Hassan II furent marquées par une alliance pragmatique teintée d'une certaine admiration mutuelle. Le Défunt Hassan II, fin stratège et architecte du Maroc contemporain, cherchait à ancrer le Royaume dans le bloc occidental, voyant dans les présidents américains, de Kennedy à Reagan, des partenaires clés pour maintenir la stabilité au pays et pour contrer les influences communistes en Afrique du Nord. Washington, de son côté, appréciait le rôle du Maroc comme allié stratégique en Méditerranée. Malgré des tensions, des coopérations discrètes, notamment en matière de renseignement et de défense, se sont développées, consolidant cette alliance maroco-américaine. En filigrane de cette relation, des figures singulières, telles que Maria Aline Griffith Dexter, alias la comtesse de Romanones, ancienne espionne américaine, ont révélé que les Etats-Unis ont toujours défendu le Maroc, même en temps de crise et même dans les histoires d'espionnage. Diplômée en journalisme, Griffith est recrutée par la CIA durant la Seconde Guerre mondiale pour opérer en Espagne. Sans formation classique en espionnage, elle a néanmoins acquis une expertise dans les cercles diplomatiques, surtout après son mariage avec José Antonio Girón, futur ministre du régime franquiste. Ses missions l'ont rapprochée naturellement du Maroc, où elle a pu développer des liens importants avec des personnalités influentes du Royaume. Dans les années 1970, Maria Aline Griffith Dexter revenait fréquemment au Maroc, devenue une émissaire officieuse entre le Royaume et les Etats-Unis, et d'ailleurs, dans ses mémoires, «The Spy Wore Silk», elle relate un épisode significatif. Lors d'une visite au Maroc, elle avait reçu des informations sur un coup d'Etat imminent. Inquiète, elle n'a pas hésité à avertir l'ambassade américaine à Rabat, mais son rendez-vous, obtenu via son cercle de complices, a très vite tourné au fiasco, car le diplomate chargé de la recevoir, un certain Henry Rice, a sous-estimé ses informations, rejetant ses mises en garde. Ce manque de considération, selon elle, révèle une certaine arrogance des services américains, convaincus de leur omniscience et incapables d'imaginer un complot échappant à leur radar. Cet épisode symbolise la beauté paradoxale de certaines relations, par nature hostiles, complexes et souvent difficiles à cerner, où l'amitié et les intérêts bilatéraux finissent pourtant par l'emporter sur les soupçons et la méfiance. À travers des échanges parfois empreints de défiance, de non-dits et de calculs stratégiques, émerge une forme de respect réciproque, comme le cas d'Aline Griffith qui incarne avec maestria cette alchimie subtile. Flashback : Relever la pente après la mésentente Le Maroc fut, certes, l'un des premiers pays au monde à reconnaître l'indépendance des Etats-Unis, un geste audacieux qui symbolisait l'ouverture du Royaume vers de nouvelles alliances. Cependant, après cette reconnaissance historique, les relations entre les deux pays traversèrent une phase de refroidissement. Ce climat de méfiance atteignit son apogée sous le règne du Sultan Moulay Slimane, au point que la période allant de 1802 à 1830 est souvent considérée par les historiens comme l'une des plus sombres de l'Histoire des relations maroco-américaines. Durant ces années de tension, Moulay Slimane expulsa même le consul américain, soulignant la détérioration des liens entre les deux nations. Mais ce passage difficile prit fin grâce au Sultan Moulay Abderrahmane, qui s'engagea à restaurer les relations avec les Etats-Unis. Soucieux de renouer des liens solides, il travailla à rétablir les relations diplomatiques dans l'esprit de l'amitié initiée par Mohammed III. Depuis cette réconciliation, les présidents américains se sont succédé en considérant le Maroc comme un partenaire fiable et loyal, malgré les tempêtes géopolitiques qui ont marqué plus de trois siècles d'histoire commune. Malgré les tensions et les malentendus qui ont parfois teinté leurs relations, le Maroc et les Etats-Unis ont également partagé des périodes de rapprochement marquées par la reconnaissance et la coopération, car dans les moments d'accord, ces deux pays se sont trouvé des intérêts communs, unissant leur influence dans des partenariats durables. Quand le contexte international l'a permis, les échanges commerciaux et diplomatiques ont pu fleurir, et les deux nations ont su tirer profit de leurs complémentarités, ce qui signifie que l'Histoire entre les deux pays, aussi bien jalonnée d'épreuves, montre une résilience particulière, celle d'un lien qui, au gré des alliances et des défis, s'est toujours redessiné sans jamais vraiment se rompre. Soft power : Opération Torch En ce mois de novembre le Royaume célèbre le 236ème anniversaire du Traité d'amitié maroco-américain, signé en 1788 sous Benjamin Franklin, une occasion, parmi tant d'autres, pour se rappeler l'importance stratégique des côtes marocaines pendant la Seconde Guerre mondiale, sous Franklin D. Roosevelt. «Si l'opinion publique internationale a la mémoire courte et sélective, il convient de rappeler que les Américains avaient bien saisi la valeur stratégique des côtes marocaines dès 1942», explique le Professeur Noureddine Belhaddad, spécialiste des relations internationales. L'Opération Torch, menée par les Alliés avec un débarquement massif au Maroc, a démontré leur volonté de sécuriser ce couloir maritime essentiel pour les opérations en Méditerranée. «Roosevelt voyait les côtes marocaines comme un bouclier contre les incursions nazies», poursuit l'universitaire. Ce déploiement américain marqua un tournant décisif dans la guerre, car, dès novembre 1942, les forces américaines avaient infligé un revers majeur au nazisme. «Les Américains ont verrouillé l'espace maritime marocain», souligne Belhaddad, garantissant ainsi aux Alliés une base arrière solide pour la suite du conflit. La rencontre historique entre le Sultan Mohammed Ben Youssef et le Président Roosevelt à Anfa symbolisa le début d'une coopération stratégique. «Cette conférence a ouvert une nouvelle ère dans les relations navales américano-marocaines», indique l'expert, ajoutant que Roosevelt, en soutenant les aspirations marocaines à l'indépendance, jetait les bases d'un partenariat durable. Cette alliance stratégique, bien au-delà d'une protection militaire, marquait une coopération qui influença l'issue du conflit. «Sans ce verrou américain au Maroc, la guerre en Méditerranée aurait pu suivre un tout autre cours», conclut Professeur Belhaddad.