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Rétro-verso : Il était une fois, l'Oulja de Salé
Publié dans L'opinion le 07 - 08 - 2024

La démolition des ateliers de l'Oulja n'est pas un sacrilège. Salé évolue, nécessitant leur déplacement. Ces lieux, devenus chaotiques, méritent pourtant un regard rétrospectif sur leur riche histoire.
Salé, joyau au bord de l'Atlantique, porte en son sein une histoire millénaire qui murmure les échos des Phéniciens, premiers bâtisseurs de ses fondations, en passant par les fastes des Romains, jusqu'aux régences glorieuses des Almoravides, des Almohades et des Mérinides. Chaque pierre de cette cité vénérable semblait imprégnée des récits d'antan, de conquêtes et de prospérité.

Non loin de ses remparts séculaires, la plaine de l'Oulja déployait, naguère, ses terres fertiles, richement nourries par des siècles de sédiments. Depuis l'aube des civilisations, ces terres généreuses avaient servi de berceau à l'agriculture et à l'artisanat, perpétuant un savoir-faire ancien où la nature et l'Homme tissaient une harmonie. Les premières cultures, irriguées par les eaux généreuses du Bouregreg, prospéraient ici, donnant naissance à une véritable mosaïque de vie artisanale.

L'Oulja rayonnait par ses ateliers d'artisanat. Les mains des potiers y façonnaient la terre avec une grâce héritée des ancêtres, transformant l'argile brute en chefs-d'œuvre utilitaires et décoratifs. Chaque vase, chaque plat, chaque carreau de céramique naissait d'une alchimie séculaire, où l'argile locale, patiemment extraite et préparée, prenait vie sous les doigts habiles des artisans. Avant de connaître la chaleur du four, ces créations étaient ornées de motifs enchanteurs, arabesques et entrelacs qui racontaient l'âme de l'art marocain.

Ces lieux qui, bientôt, ne seront qu'un pâle souvenir, étaient, à eux seuls, un héritage jalousement transmis de génération en génération. Les ateliers bourdonnaient de l'activité incessante des artisans, dont la dextérité et la créativité séduisaient visiteurs et connaisseurs du monde entier, apportant ainsi une manne économique à la région. Cette vitalité artisanale, reflet d'un passé glorieux, se retrouvait également dans les souks de Salé, où les produits de l'Oulja étaient prisés pour leur authenticité et leur qualité exceptionnelle.

L'Oulja se trouvait pourtant à la croisée des chemins. Les défis modernes, la concurrence des produits industriels et l'érosion des techniques traditionnelles menaçaient cette symbiose ancestrale. Mais, face à l'adversité, des initiatives fleurissaient, portées par des coopératives et des programmes de formation qui œuvraient pour préserver ce patrimoine inestimable. Des jeunes artisans, formés aux secrets de la poterie traditionnelle, insufflaient un souffle nouveau dans ces ateliers, mariant tradition et innovation pour garantir la pérennité de cet art millénaire.

Tel un témoignage vibrant de la résilience et de la richesse de la culture marocaine, ces lieux ont rendu à l'artisanat local toutes ses lettres de noblesse. Ces ateliers, à l'image des phares anciens, ont éclairé la voie d'une tradition millénaire, offrant à chaque génération un lien tangible avec son passé et une promesse d'avenir. En visitant ces ateliers, on ne pouvait s'empêcher de ressentir une profonde admiration pour ces artisans dont les gestes précis et répétitifs semblaient dialoguer avec l'Histoire. Leurs créations, parées de couleurs vives et de motifs élégants, incarnaient l'essence même de l'art marocain, un art qui puisait sa force dans le respect des traditions et l'innovation continue.

Aujourd'hui, ces terres autrefois vivantes et fertiles sont en train d'être démolies, cédant la place à de nouveaux développements urbains. Les ateliers, autrefois débordants de vie et de créativité, avaient cédé à une certaine anarchie, offrant une vue désordonnée depuis la Tour Mohammed VI. Les souvenirs de cette époque dorée de l'artisanat marocain ont commencé à s'estomper peu à peu, emportés par le vent du changement. Les derniers artisans, gardiens de ce savoir-faire ancestral, regardent avec mélancolie les ruines de leurs ateliers, conscients que la fin d'une ère approche inexorablement.

Cependant, tout n'est pas perdu. Ces artisans vont migrer vers d'autres lieux, emportant avec eux l'esprit de cette plaine historique. De nouvelles localisations accueilleront ces artisans, leur permettant de perpétuer leurs traditions tout en s'adaptant aux exigences du monde moderne. Les mains expertes qui ont façonné l'argile pendant des générations continueront de créer ailleurs des œuvres qui racontent l'histoire et l'âme de la culture marocaine.

Houda BELABD
Trois questions à Mohammed Es-Semmar : "Ces ateliers ont tour à tour été enrichis, pillés et rénovés"
* Parlez-nous de la genèse des ateliers de l'Oulja.

Les archéologues et historiens marocains pensaient que les ateliers de céramique et de poterie de l'Oulja de Salé étaient d'origine mérinide. Cependant, il y a environ un siècle, il a été prouvé que ces ateliers étaient almohades. Des travaux archivés de cette période en ont apporté la preuve formelle. L'argile était une richesse locale et l'idée d'y avoir recours pour le progrès de ces arts ancestraux était tout à fait naturelle. Au fil des siècles et des dynasties, ces ateliers ont tour à tour été enrichis, pillés et rénovés, mais dans tous les cas, ils ont transporté des richesses ancestrales à travers les siècles.

* Comment ces ateliers ont-ils évolué à l'époque moderne ?

Sous le Protectorat français, il fut jugé sage de laisser ces ateliers en l'état, mais ils furent néanmoins rénovés, dans les règles de l'art. Après l'indépendance du Maroc, les ateliers ont d'abord été marginalisés par leurs anciens gestionnaires, avant que les autorités ne décident de les rénover et de les remettre en ordre à partir des années 1990 et jusqu'au début des années 2000. Après cet épisode, le désordre s'est à nouveau manifesté...

* Comment nous en sommes venus à les démolir ?

Depuis la Tour Mohammed VI, la vue sur ces ateliers n'était pas des plus imprenables. Pour rendre la ville plus attractive au fur et à mesure qu'elle se modernise, il a fallu les déplacer vers d'autres lieux.

Recueillis par Houda BELABD
Zoom-arrière : Quand les pirates d'Outre-mer pillaient les richesses de l'Oulja
Salé, ville millénaire et gardienne des traditions artisanales, a été le théâtre de nombreux épisodes héroïques au cours desquels ses vaillants corsaires ont défendu ses côtes et ses richesses contre les pillages venus d'Outre-mer. Parmi ces trésors, les objets d'artisanat ont occupé une place centrale, représentant non seulement la prospérité économique mais aussi l'identité culturelle de la cité.

Les corsaires de Salé, également connus sous le nom de Salétins, ont constitué une force redoutable en Méditerranée et au-delà, du XVIIe au XVIIIe siècle. "Ils ont formé une espèce de gouvernement de l'ombre où ils ont su organiser une défense efficace contre les incursions étrangères. Ces marins aguerris, issus souvent de familles de pêcheurs et de commerçants, ont défendu avec acharnement leur ville et ses trésors artisanaux", nous apprend l'intellectuel Seddik Maâninou lors d'une récente rencontre dédiée à l'Histoire de la ville.

Parmi les trésors qu'ils protégeaient figuraient les œuvres des artisans de l'Oulja, célèbres pour leur poterie, leur céramique et leur dinanderie. Ces objets, fruit d'un savoir-faire séculaire, étaient souvent la cible des pillards européens, attirés par leur valeur et leur beauté. Les Salétins, conscients de l'importance de ces trésors pour leur patrimoine culturel et économique, ont mené de nombreuses batailles pour les défendre.

"Les attaques venant de l'autre côté de la Méditerranée étaient fréquentes. Les pirates européens, notamment espagnols et portugais, cherchaient à s'emparer des richesses de Salé. Cependant, ces corsaires ont répondu avec bravoure et stratégie, utilisant leur connaissance des eaux locales pour tendre des embuscades et repousser les assaillants. Les récits de ces batailles navales, où la ruse et la détermination l'emportaient souvent sur la force brute, sont encore racontés avec fierté par les descendants de ces pirates", continue notre source.

Ces corsaires ont également organisé des expéditions punitives contre les bases des pirates d'Outre-mer, ramenant parfois des artisans capturés pour enrichir leurs propres rangs. Ils ont ainsi protégé et renforcé leur artisanat, assurant la continuité des techniques et des traditions malgré les menaces extérieures.

Aujourd'hui, l'histoire des corsaires de Salé reste une source de fierté et d'inspiration. Leurs exploits témoignent de la détermination de la ville à protéger son patrimoine et ses richesses contre les envahisseurs. Les objets d'artisanat de l'Oulja, sauvegardés grâce à ces actes de bravoure, continuent de raconter l'histoire d'une cité qui a su défendre son identité et sa culture avec passion et courage.
Rétrospective : L'artisanat aux portes du Bouregreg, des origines jusqu'à nos jours
Aux portes du Bouregreg, l'artisanat a vu le jour dès l'Antiquité, façonnant l'identité de Salé à travers les âges. Les Phéniciens, premiers bâtisseurs de la ville, ont introduit des techniques artisanales sophistiquées, enrichissant les échanges commerciaux et culturels avec les civilisations voisines. Les Romains, ayant ensuite occupé la région, ont consolidé ces savoir-faire, intégrant de nouvelles influences et perfectionnant les techniques existantes.

Sous les dynasties des Almoravides, des Almohades et des Mérinides, l'artisanat slaoui a connu un essor remarquable. Les artisans ont développé des compétences variées, allant de la céramique à la poterie, en passant par la dinanderie. Ils ont tiré parti des ressources naturelles de l'Oulja, une plaine fertile adjacente, pour produire des œuvres d'une grande finesse. Les potiers ont extrait et préparé l'argile locale, créant des objets utilitaires et décoratifs ornés de motifs traditionnels.

La céramique de Salé, avec ses carreaux, ses plats et ses vases, a acquis une renommée durable grâce à la qualité des matériaux et à la maîtrise des techniques de décoration. Les ateliers de l'Oulja ont été des lieux de création et d'innovation, où les artisans ont perpétué des traditions tout en s'adaptant aux influences culturelles et aux exigences des différentes époques.

Au fil des siècles, l'artisanat de Salé a joué un rôle crucial dans l'économie et la culture de la région. Les produits de l'Oulja ont attiré des visiteurs et des commerçants, contribuant à la prospérité de Salé. Malgré les défis posés par la modernisation et la concurrence industrielle, les artisans ont su préserver et transmettre leur savoir-faire, assurant la continuité de cette tradition ancestrale.

Aujourd'hui, l'histoire de l'artisanat aux portes du Bouregreg demeure un témoignage vivant de la richesse culturelle de Salé. Les objets créés au fil des siècles reflètent l'ingéniosité et la créativité des artisans, et continuent d'inspirer admiration et respect, rappelant l'importance de préserver ce patrimoine unique.
Patrimoine : La dinanderie, un savoir-faire pluriséculaire
Les ateliers de dinanderie de l'Oulja, ces sanctuaires de cuivre, où chaque artisan insufflait une part de son âme dans le métal, ont désormais disparu, laissant derrière eux un silence lourd de nostalgie et de souvenirs.

Il y a à peine quelques mois, les ateliers de l'Oulja résonnaient des sons mélodieux des coups de marteau sur les plaques de cuivre. Les maîtres dinandiers, héritiers d'un savoir-faire pluriséculaire, façonnaient des objets d'une beauté saisissante. Des théières délicates aux plateaux gravés de motifs arabesques, chaque pièce témoignait de l'ingéniosité et de la patience de ces artisans.
Les visiteurs, en arpentant ces ruelles, avaient l'impression de remonter le temps, plongés dans une atmosphère où l'Histoire et l'artisanat se mêlaient harmonieusement. Les gestes précis des dinandiers, leur regard concentré, leur murmure aux apprentis, tout cela racontait une histoire de transmission et de passion.
Mais les défis de la modernité ont frappé à la porte de l'Oulja. Les artisans ont vu leurs métiers menacés par une ère de consommation rapide et impersonnelle.
À l'instar des potiers et des vanniers, les dinandiers de l'Oulja ont, à leur tour, été condamnés à disparaître. La décision, inévitable, a été un coup de massue pour ceux qui avaient consacré leur vie à la dinanderie. Les bâtiments, témoins muets de siècles de création et d'efforts, ont été démolis. Les outils ont été rangés, les fours éteints, et les artisans se sont éparpillés, emportant avec eux leurs histoires et leur savoir-faire.


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