S.E. Mme Véronique Petit, Ambassadrice de Belgique au Maroc, depuis août 2021, nous éclaire sur l'impact concret des élections européennes et la coopération bilatérale entre les deux pays. * Actualité oblige, nous souhaitons d'abord revenir sur les résultats des élections européennes, marquées par la montée en puissance des partis populistes et de l'extrême droite, qui sont le nouveau visage du parlement européen. Quelle lecture faites-vous ? - Tout d'abord, je suis ravie de répondre à vos questions. Effectivement, les élections européennes ont montré une montée des partis populistes et de l'extrême droite dans plusieurs pays européens. Dans le même temps, ce n'est pas non plus le raz de marée qui avait été annoncé. Par exemple, les partis traditionnels, notamment le Parti populaire européen (PPE), ont augmenté leur représentation et ceux qui formaient l'ancienne coalition sont toujours à même de faire une majorité aujourd'hui. Bien entendu, ces résultats doivent être regardés et analysés de manière approfondie. Je pense que cette montée des partis populistes et de l'extrême droite traduit aussi un sentiment d'inquiétude et d'insécurité d'une partie de la population européenne. Il faudra répondre à ces inquiétudes. En même temps, je suis confiante qu'on pourra, au sein du Parlement Européen, trouver une majorité qui sera relativement semblable à la précédente et qu'il y aura une continuité, notamment dans la relation entre l'Union Européenne et le Maroc.
* Les élections européennes de 2024 sont un moment clé pour le partenariat politique Maroc-UE. Quel en pourrait être l'impact sur les relations entre le Maroc et la Belgique ?
- En ce qui concerne les relations entre l'UE et le Maroc, je pense qu'il y aura certainement une continuité, parce que les enjeux restent les mêmes, des enjeux auxquels nous devons faire face ensemble : la transition énergétique, la sécurité, la lutte contre le terrorisme, la coopération économique... La Belgique est attachée à la stabilité et à la continuité de ce partenariat stratégique entre l'UE et le Maroc. Au niveau bilatéral, notre relation est encore beaucoup plus dense que la relation entre l'UE et la Maroc parce que nous avons des liens d'abord humains extrêmement importants.
Quand notre Premier Ministre, Monsieur Alexander De Croo, était au Maroc en avril dernier, il a rappelé qu'une personne sur vingt en Belgique a des relations familiales avec le Maroc. C'est cinq pour cent de la population. Tous les jours je rencontre des personnes dans tous les milieux, ayant soit travaillé ou étudié en Belgique, qui ont leurs enfants ou des membres de leur famille en Belgique. Tout cela c'est le terreau de notre relation bilatérale, qui lui donne un caractère particulier.
Là-dessus, nos gouvernements tissent et développent des liens qui continueront à se renforcer tout au long des années à venir. C'était tout le sens de la récente tenue de la Haute Commission Mixte au moment où nous commémorons le 60ème anniversaire de l'accord de migration de travail entre le Maroc et la Belgique qui a donné à cette relation cette dimension si spécifique. - Vous venez de rappeler les nombreux dossiers dans lesquels la coopération est nécessaire entre la Belgique et le Maroc. Quelles sont les priorités aujourd'hui ?
- Nos deux chefs de gouvernement, qui se sont rencontrés lors de la 3ème réunion de la Haute Commission Mixte de partenariat Maroc-Belgique, ont établi un cadre commun pour les domaines dans lesquels nous allons travailler de manière prioritaire ensemble dans les années à venir. Au premier rang, il y a le renforcement de notre coopération économique, qui n'est pas conforme au niveau de nos ambitions et à la densité de nos relations, que ce soit dans le domaine des infrastructures, de la santé, du digital, de la construction durable, ... Il y a clairement du travail à faire, que ce soit pour renforcer le niveau de nos échanges commerciaux ou pour les investissements de part et d'autre.
L'autre domaine prioritaire est la transition énergétique. Nos deux pays ont d'ailleurs signé un mémorandum d'entente sur la coopération dans ce domaine à l'occasion de la Haute commission mixte, avec l'idée de renforcer notre partenariat en matière d'énergie verte.
A côté de cela il y a énormément d'autres secteurs. Je mentionne également la coopération au niveau socio-économique. Un nouveau programme a été récemment signé et sera lancé cette année pour cinq ans et qui se focalise notamment sur les domaines de l'autonomisation économique des femmes et le travail décent. Ce sont des priorités également reprises dans le Nouveau Modèle de Développement adopté sous l'impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
L'idée de notre partenariat est d'appuyer ces efforts, pour avoir un nombre accru de femmes marocaines qui travaillent et qui sont autonomes financièrement. Nous coopérons dans des domaines aussi divers que la sûreté nucléaire ou au niveau de la coopération académique et culturelle...laquelle relève dans notre système institutionnel davantage du niveau des entités fédérées.
* Sur le plan de l'investissement, les entreprises belges semblent être intéressées par le climat des affaires au Maroc. En témoigne l'accord stratégique conclu par le groupe belge John Cockerill avec une entreprise marocaine pour développer la filière hydrogène au Maroc. Quel est l'état d'avancement de ce projet d'envergure, qui ambitionne de créer une gigafactory dédiée à la fabrication d'électrolyseurs, une première dans le genre sur le continent africain ?
- Effectivement, il y a un grand intérêt des entreprises belges pour le Maroc. Et ce, notamment, grâce à la nouvelle Charte d'Investissement et « l'Offre Maroc » pour le développement de la filière de l'hydrogène renouvelable. Ceci s'est traduit par la présence régulière de nos entreprises aux Conférences Power to X et a été à nouveau confirmé lors du forum business qui s'est tenu à la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) lors de la visite de notre Premier Ministre au Maroc.
De nombreuses entreprises, dont celle que vous venez de citer, sont intéressées par la transition énergétique et la production des molécules vertes. Effectivement, John Cockerill a annoncé son partenariat avec Nareva pour le développement de la filière hydrogène. Comme vous le savez, les discussions entre entreprises privées sont de caractère confidentiel. Je n'ai pas leur dernier état de la question. Ce qui est sûr, c'est que des discussions sont en cours entre acteurs belges et marocains dans ce secteur.
Je peux confirmer en tout cas qu'il y a un grand intérêt des entreprises belges, y compris du Port d'Anvers-Bruges qui souhaite aussi se développer en Europe comme un Hub pour l'importation, le stockage et l'exportation des molécules vertes. Il y a des complémentarités très importantes qui existent entre nos deux pays. Je suis sûre que nous en verrons les résultats dans les années à venir. * Les points de vue convergent avec la tenue, il y a quelques semaines, de la 3ème réunion de la Haute Commission Mixte de partenariat Maroc-Belgique. Les deux pays ont affiché leur volonté de coopérer pour une gestion efficace des affaires judiciaires transfrontalières. C'est dire que la Belgique compte sur l'expertise du Maroc dans ce sens ? - Effectivement, que ce soit en matière de coopération policière ou judiciaire, notre partenariat est très ancien et très étroit. Nous avons la particularité ici au Maroc d'avoir un magistrat de liaison. Ses principales fonctions sont de faciliter le contact entre les autorités judiciaires de Belgique et celles du Maroc. Le Maroc est le seul pays avec lequel nous disposons d'un tel canal. Je crois que cela illustre bien le niveau de coopération intense que nous avons. Des Conventions existent depuis des années déjà au niveau bilatéral. Cette coopération est appelée à se renforcer.
* Quid de la coopération entre les deux pays dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue ?
- Au niveau de la lutte contre le terrorisme, nous avons déjà une grande expérience. Maintenant, il y a un nouveau problème qui devient de plus en plus prégnant : la lutte contre la grande criminalité organisée notamment dans le trafic de drogue. La coopération entre nos deux pays est bonne et peut encore être renforcée, notamment dans le domaine de la saisie et de la confiscation des avoirs des criminels identifiés. Je crois que le travail va continuer pour doter nos deux pays des instruments bilatéraux permettant une coopération judiciaire et policière (moderne).
* Autre enjeu, transfrontalier aussi, la main d'œuvre. L'immigration marocaine a contribué à façonner de manière durable le visage de la Belgique sur le plan démographique, économique...? Pouvons-nous avoir une idée sur le profil des Marocains actifs en Belgique ?
- Il y a un grand nombre de Marocains qui sont résidents en Belgique. Sur une population de 11 millions d'habitants, on parle d'environ 75.000 Marocains n'ayant pas acquis la nationalité belge. Quant à la communauté belge d'origine marocaine, elle est beaucoup plus importante, environ 5% de la population. Aujourd'hui, l'essentiel de la migration légale vers la Belgique se fait encore soit au niveau du regroupement familial, soit des études. Par ailleurs, nos deux pays coopèrent également sur les questions migratoires qui constituent un défi commun.
* Terminons notre interview, toujours en beauté, avec le projet de candidature de Bruxelles en tant que capitale européenne de la culture en 2030, co-porté par la Belgo-Marocaine Fatima Zibouh. Quel commentaire en faites-vous ?
Je crois que c'est l'illustration parfaite de ce que j'ai dit précédemment (sourire). Nous avons une communauté belge d'origine marocaine qui est très importante, qui réussit dans de nombreux secteurs. Madame Zibouh a été choisie pour ses compétences et son expérience. En même temps, elle est aussi le visage de Bruxelles, d'une capitale multiculturelle, ouverte, attachée à la diversité. Je suis très heureuse que ce soit une femme qui porte ce projet et qui défende cette candidature.