A la faveur de la campagne des élections européennes, la droite et l'extrême droite espagnoles font de Sebta etMellilia une arme politique dans leur bras de fer avec les socialistes. Décryptage. Depuis le revirement historique de l'Espagne sur le dossier du Sahara et son alignement sur le plan d'autonomie, la droite espagnole semble éperdue et en perte de stratégie, d'autant plus que son échec amer dans les élections législatives a plongé le Parti Populaire (PP) dans une sorte de dépression politique. Faute d'arguments pour pourfendre la réussite à la fois politique et économique du gouvernement Sanchez, les camarades d'Alberto Núñez Feijóo tournent leur regard ailleurs en quête de boucs-émissaires : le Maroc fait figure de cible parfaite ! Après avoir tout fait pour contraindre Pedro Sanchez à revenir sur son soutien au plan d'autonomie pour le Sahara, le PP joue pleinement la carte des enclaves de Sebta et Mellilia. Au Sénat, les parlementaires de droite ont réussi à faire passer une proposition destinée à créer une commission interministérielle chargée d'analyser les actions dites "unilatérales" du Maroc à l'égard des deux villes. Les sénateurs du PP ont convaincu quelques élus de la gauche radicale. Pour leur part, les élus socialistes, intransigeants, ont voté contre. Cette initiative est portée par le sénateur Fernando Gutiérrez Díaz de Otazu, un ex-militaire, qui reproche au Maroc de refuser de reconnaître la souveraineté espagnole sur les deux enclaves. "Le Royaume du Maroc, par l'intermédiaire de ses représentants politiques, soulève périodiquement des revendications sur la souveraineté des deux villes", a-t-il déclaré lors d'une séance à la Commission des Affaires étrangères au Sénat. Il a également prétendu que le Maroc prend souvent des mesures unilatérales portant préjudice aux habitants des deux villes. Allusion faite aux douanes commerciales qui n'ont pas encore été rouvertes. Censés rouvrir leurs portes dès janvier 2023, comme annoncé lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères des deux pays aux Nations Unies, les postes douaniers semblent accuser quelques retards. Des tests expérimentaux dits "pilotes" ont été effectués à plusieurs reprises aux premiers mois de 2023 (de février à mai), depuis lors le statu quo persiste. Le gouvernement espagnol, qui gère ce dossier prudemment et en concertation permanente avec les autorités marocaines, tel que convenu dans la feuille de route, évoque souvent des complications techniques qui prolongent le délai de la reprise. Ce retard ne cesse d'inquiéter les dirigeants de la ville de Sebta qui sollicitent souvent des explications de la part du Chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares. Lequel a toujours tenté de les rassurer tout en veillant à gérer ce dossier dans la confidentialité totale, loin des indiscrétions médiatiques. La colère de l'opposition conservatrice a culminé lorsque le Premier ministre, Pedro Sanchez, a visité le Maroc, en février dernier, sans trancher la question. Pour leur part, les autorités marocaines demeurent claires en restant intraitables sur la nécessité que la reprise du commerce terrestre se fasse dans le respect total des intérêts des deux pays, notamment le Maroc qui veille à pallier au risque de renaissance de la contrebande.
La colère des socialistes Les méthodes des conservateurs ne plaisent guère aux socialistes qui leur reprochent de chercher sciemment à provoquer une crise diplomatique avec le Maroc et de se prévaloir du statut de Sebta et Mellilia à des fins politiques et électorales. C'est ce qu'a fait savoir le député et porte-parole du groupe du Parti Socialiste, Sebastián Guerrero, qui a accusé le PP de ne s'intéresser à Sebta et Mellilia que lorsqu'il veut attaquer le Maroc. « Au lieu de travailler pour que l'accord avec le Maroc soit respecté et que les douanes commerciales fonctionnent à nouveau, le PP de Feijóo, avec la complicité de Vivas, s'emploie à critiquer et à mettre des bâtons dans les roues », a-t-il déploré, ajoutant que « le Parti Populaire n'a jamais rien fait pour avancer dans la coopération avec le Maroc ». « Le PP n'a ni projet ni propositions. Sa campagne a été basée uniquement sur le discrédit du Premier ministre », a-til poursuivi.
Le Maroc, variable d'ajustement dans le discours nationaliste des conservateurs Le Parti Populaire se dresse ainsi comme le défenseur du caractère espagnol des deux présides face à la prétendue "faiblesse" des socialistes. Les élus de la droite dure (PP et VOX compris), qu'ils soient parlementaires nationaux, élus locaux ou eurodéputés, accusent tous le gouvernement de Sanchez de faiblesse et font croire à l'opinion espagnole que Madrid ferait preuve de veulerie face au Maroc pour préserver de bonnes relations. L'eurodéputé de Vox, Hermann Tertsch, trahit bien cet état d'esprit. Dans une déclaration publique, le numéro 2 de la liste de Vox aux élections européennes a indiqué que "le Maroc respectera l'Espagne quand l'Espagne se respectera elle-même". "Le jour où les Marocains verront que nous nous défendons solidement, ils verront qu'ils ne peuvent pas abuser de notre bonne volonté comme ils le font", a-t-il poursuivi, lors d'un discours adressé aux habitants de Sebta. De son côté, le président du parti d'extrême droite à Mellilia, José Miguel Tasende, va plus loin en prêtant au Maroc des velléités d'annexion des deux présides et sur les Îles Canaries. Ce genre de déclarations montre à quel point le délire et la paranoïa atteignent des proportions extravagantes dans l'esprit de l'extrême droite espagnole. De l'autre côté, d'autres voix au sein de la droite tentent de pondérer le débat sans aller à l'extrême. C'est le cas de la Secrétaire générale du Parti Populaire, Cuca Gamarra, qui s'est montrée plus modérée en ce qui concerne Sebta. Lorsqu'elle visitait la ville dite "autonome" dans le cadre de la campagne des élections européennes, elle s'est montrée moins virulente tout en accusant Pedro Sanchez de mentir au sujet de la réouverture des douanes commerciales. En effet, cela fait des années que le PP critique la politique de Pedro Sanchez à l'endroit du Maroc. Le parti a progressivement durci son discours au fur et à mesure que Rabat et Madrid améliorent leurs relations après la réconciliation. Cette attitude semble paradoxale compte tenu que le parti de José Maria Aznar a fustigé Pedro Sanchez et son ancienne ministre des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya, pendant la crise liée à l'accueil du chef du Polisario, Brahim Ghali. Des députés conservateurs avaient même à l'époque accusé le gouvernement socialiste de "provoquer la pagaille" dans les relations avec le Maroc. Actuellement, le PP est en mauvaise posture face au gouvernement de Pedro Sanchez qui se porte bien économiquement et politiquement. Le taux de chômage est à son plus bas niveau depuis 2008 au moment où les perspectives de croissance sont optimistes pour 2024. En 2023, le voisin ibérique a réalisé 2,5% de croissance, soit un taux cinq fois supérieur à celui de la zone Euro. Ceci laisse peu de marge de manœuvre à l'opposition qui reste crispée sur les sujets identitaires. Pour sa part, le PP s'est résolu à faire du Maroc un cheval de bataille dans sa croisade antisocialiste qui se radicalise à la veille des élections européennes.