Difficile de comprendre le raisonnement des dirigeants algériens. Vingt-quatre heures après la publication du désormais fameux communiqué de la présidence algérienne sur l'organisation d'une présidentielle anticipée, APS, l'agence de presse gouvernementale, réplique par une dépêche se voulant explicative de la surprenante décision de la veille. La longue dépêche de l'agence officielle de presse qui semble vouloir répondre aux multiples interrogations suscitées par la fameuse annonce et apporter un éclairage tant souhaité par l'opinion publique en général et les nombreux observateurs en particulier, n'a, finalement rien apporté. Elle n'a fait qu'ajouter à l'opacité qui entoure habituellement les grandes décisions prises en haut lieu. Il est bon de rappeler que les décideurs de l'ombre, véritables détenteurs du pouvoir en Algérie, ne communiquent jamais directement ou de manière franche. Ils recourent, toujours, à des relais médiatiques qui leurs sont proches. Qu'ils soient des médias publics ou privés. C'est ce qui préserve le ton impersonnel de la communication, faisant dégager toute responsabilité et évitant toute identification de l'auteur. C'est ce qui se confirme dans le communiqué de la présidence de la république annonçant l'élection anticipée. « Il a été décidé d'organiser une élection présidentielles anticipées le 7 septembre 2024 », li-t-on. Cela n'engage nullement le président de la république et laisse la porte ouverte à toutes les spéculations sur le ou les auteurs de la décision. Ce « il » est comme le « on », ce pronom indéfini qui remplace « l'inconnu ». Le « il » adopté dans le communiqué de la présidence n'a aucune identité politique, ni de valeur juridique. Il est immoral et contraire à toute éthique. Un communiqué, porteur d'une grande décision qui conditionne l'avenir de tout un pays, écrit sur un ton impersonnel et ne se référant donc à aucun texte constitutionnel, bien que la constitution dans son article 91, alinéa 11 confère au président de la république l'organisation d'une élection présidentielle anticipée. Un article ajouté dans la constitution de 2020 certainement pour préparer Tebboune à la sortie bien avant l'échéance de son mandat. Ce communiqué laconique et imprécis a ouvert la porte à toutes les supputations et les spéculations. C'est immoral et irrespectueux à l'égard du peuple algérien. Ce dernier ne sait plus à quel saint se vouer et comme tous les observateurs de la scène politique algérienne, on ne peut que rester dubitatif devant tant d'incohérences dont l'auteur reste inconnu. Vingt-quatre heures ne s'étant pas écoulées sur l'annonce qu'une dissertation de l'APS, donc à l'auteur inconnu, attribue au président Tebboune la décision de la veille. « Le Président de la République, dans son souci de transparence, a déstabilisé ses adversaires, mais également un peu ses alliés par cette annonce », commente l'agence de presse. L'auteur, qui n'est autre que le ministre de la communication, Mohamed Laagab, selon une source proche de lui, est connu pour être l'un des affidés de Tebboune. Il fonce tête baissée pour justifier l'injustifiable, sans prendre de gants. Son écrit intitulé « Présidentielle anticipée : les raisons d'une annonce », ne donne pourtant aucune raison. Plutôt, il tire des enseignements qu'il déduit de la lecture qu'il a voulu faire de ce communiqué dont le rédacteur est Kamel Sid Saïd, le directeur de la communication à la présidence de la république. Prétendre que cette annonce est là pour témoigner de la maîtrise de la situation par Tebboune en allant jusqu'à lui prêter des pouvoirs que l'intéressé, lui-même, n'a jamais revendiqué, c'est, franchement excessif. « Qui contrôle le timing, contrôle la situation. Le Président Tebboune a toujours été un "maître des horloges", souvent déroutant, mais jamais submergé ». On est en plein flagornerie contreproductive. On ne savait pas que Tebboune était horloger. Quant à dire « Le premier enseignement de cette annonce d'une élection anticipée est le retour à la normalité », c'est tout simplement un aveu que durant quatre années l'Algérie était hors normalité. Il en aura fallu du temps pour que le président se réveille. Du coup, l'article de l'APS révèle les incohérences d'un système qui a toujours vécu dans le déni de la normalité, alors qu'il baignait dans la crise depuis l'avènement de « l'Algérie nouvelle » comme le confirme l'APS, qui nous dit « L'annonce du Président Tebboune est donc le signal, officiel, d'une sortie de crise ». Si l'Algérie est sortie de crise et a retrouvé la normalité, cela signifie qu'il n'y a plus besoin de fraude électorale et qu'on laissera le peuple élire en toute liberté son président de la république et son parlement. C'est également ce que confirme le même écrit « Le deuxième enseignement est l'éternel retour au peuple ». Cependant, le dernier enseignement que tire l'APS de l'annonce de la présidentielle anticipée, semble tout remettre en cause. « L'Algérie a un Président qui travaille. Il a un job à faire et à un seul patron : le peuple. Et tant qu'il n'a pas réalisé ses objectifs entièrement, ses promesses solennelles, ses engagements inébranlables, il demeurera complètement focalisé sur le parachèvement de son pacte avec les Algériens ». Implicitement, Tebboune compte rempiler pour un deuxième mandat pour « parachever son pacte avec les Algériens ». Donc, on n'est pas prêts de renouer avec la normalité. Un président, qui écourte de deux mois son mandat sans invoquer la moindre raison, cherchant dans la foulée à briguer un second mandat, ce n'est guère normal et cela risque de faire sombrer l'Algérie dans une crise multidimensionnelle. De quoi désespérer de voir le peuple algérien accéder au droit à l'élection libre de ses représentants à tous les niveaux hiérarchiques. Du maire de la commune au président de la république, le peuple est souverain pour élire la femme ou l'homme qu'il croit apte à servir les intérêts du pays et du peuple et non pas les intérêts sordides d'une quelconque caste. Autrement dit, 62 ans après l'indépendance, le peuple algérien n'a pas encore accédé au droit à l'autodétermination qu'il croyait avoir acquis en se libérant du joug colonial, au terme de sept longues années de lutte armée.