Titulaire d'un Doctorat en Droit économique de l'Université Mohammed V de Rabat, Hafsa Achour a été récompensée par le Conseil de la Concurrence pour l'excellence de sa thèse. A travers de cette entrevue, la jeune chercheuse partage son parcours jalonné de défis, révélant, au passage, une passion et une détermination qui ont marqué son engagement dans la recherche scientifique. * Parlez-nous de votre expérience en recevant le premier Prix pour votre thèse de doctorat sur « La Sanction Négociée en Droit de la Concurrence : Modèle des Procédures Négociées » ?
Recevoir le premier Prix du Conseil de la Concurrence de la recherche scientifique dans les domaines du droit, de l'économie et la gestion de la concurrence, est évidemment un honneur pour moi. C'est le fruit de plusieurs années de recherche concernant un thème qui m'a réellement inspirée, et qui est finalement récolté. Ce n'est, d'ailleurs, que le début d'un long parcours dans le domaine de la recherche scientifique.
* Qu'est-ce qui vous a inspiré à choisir ce sujet de recherche spécifique pour votre thèse ?
J'ai commencé le travail sur cette thèse en 2017 lorsque ce thème n'était pas d'ordre d'actualité pour la grande majorité des entreprises et établissements publics. Déjà, aborder la sanction négociée en droit de la concurrence paraît au premier aspect paradoxal, d'autant plus que la sanction est une notion à connotation négative qui incarne radicalement l'image parfaitement hiérarchique de la justice imposée. Le fait de rassembler deux notions totalement différentes : « sanction-négociation » m'a bien interpellée et a suscité mon intérêt pour en faire ma thèse de recherche.
* Quels défis avez-vous rencontrés lors de la réalisation de votre thèse et comment les avez-vous surmontés ?
La réalisation de cette étude n'était pas sans difficultés, il m'a fallu d'abord dépasser la carence documentaire en la matière, particulièrement en droit national, et puis la raréfaction des décisions et jurisprudences. Face à toutes ces difficultés, si la motivation personnelle et l'orientation de mes professeurs n'étaient pas au rendez-vous, je n'aurai pas réussi cette étape si importante dans le parcours de chaque chercheur. Etant donné que le thème de ma recherche relève du droit des affaires et nécessite une méthode de recherche et d'analyse plus pratique et pragmatique, j'ai dû faire recours à des outils d'analyse économique, tout en veillant au respect de l'assiduité juridique. Un enjeu de taille pour le chercheur en droit économique.
* Comment envisagez-vous que votre travail puisse influencer la recherche future dans le domaine du droit de la concurrence ?
Mon travail de recherche n'est qu'un préambule. C'est avec la pratique du Conseil de la Concurrence que vont apparaître d'autres pistes de réflexions qui participeront à l'efficacité, voire même l'efficience des outils régulateurs de « Soft Law ». Donc, la mécanisation de ces procédures ouvrira un terrain propice à des recherches très pertinentes dans ce domaine. Face à la carence de références, particulièrement dans ce domaine, je crois que ma thèse constituera une brique, à côté d'autres travaux, pour construire une connaissance concernant le droit économique.
* Partant de votre expérience, le Maroc est-il, aujourd'hui, un terrain propice à la recherche en droit et en économie ? Dans un contexte d'ouverture académique, nombreux sont les juristes qui s'orientent vers le domaine de l'économie et vice versa. Le terrain est propice à la recherche en droit économique, grâce à des formations de masters spécialisés s'intéressant au droit du marché et au droit économique en général. Il ne reste que la nouvelle génération de chercheurs s'intéresse à ces thématiques de grande actualité et s'aventure, pourquoi pas, dans des domaines prioritaires où la recherche fait défaut. Le juriste chercheur est appelé, quant à lui, à s'ouvrir sur le domaine de l'économie afin d'enrichir les travaux et les rendre mieux adaptés aux exigences pratiques.
* D'après vos observations, comment se comporte le jeune chercheur marocain dans le contexte actuel ?
Plutôt mal. Le chercheur au Maroc fait face à des défis sérieux. Cela pousse de nombreux chercheurs à abandonner ce chemin, si long et si difficile. La carence de références, notamment dans le domaine du droit économique, pèse lourdement sur le chercheur et risque bien évidemment de perturber le processus de sa recherche. Le financement de la recherche scientifique constitue un enjeu réel. Dans la plupart du temps, c'est le chercheur qui supporte les frais d'un déplacement à l'étranger pour une recherche biographique de quelques jours.
* Que recommandez-vous, du coup, pour les dépasser ?
A mon sens, il est important de développer le partenariat entreprise-université en vue d'orienter la recherche scientifique vers les besoins du marché. L'idée étant de favoriser une recherche à très grande valeur ajoutée et de lutter contre la répétitivité de thèmes. Face au défi de la documentation, il est nécessaire de renforcer le partenariat entre les universités marocaines et les bibliothèques de renommée internationale en vue de faciliter le processus de la documentation pour le chercheur. Au sein de l'Université, je recommande de renforcer l'encadrement pédagogique des chercheurs tout en veillant à les coacher dans leur aventure qui dure au minimum 5 ans. Il faut savoir que coacher les chercheurs, c'est booster leur performance. De plus, malgré sa richesse, le programme du cycle doctoral reste très rigide avec des cours magistraux moins attrayants pour les chercheurs. Ces derniers sont particulièrement intéressés par des séances plus dynamiques basées sur les soft-skills, ingrédient important pour un parcours de recherche réussi.
* In fine, quels sont vos projets futurs de recherche ou domaines d'intérêt que vous aimeriez explorer à la lumière de votre expérience et votre expertise actuelles ?
Les décisions du Conseil de la Concurrence constituent une matière intéressante pour soulever les problèmes de mise en pratique des mécanismes de régulation déployés et les pistes nécessaires pour leur développement. A présent, des chercheurs et moi travaillent ensemble sur un ouvrage qui rassemble deux travaux de recherche sur la régulation de la concurrence au Maroc.