Moderniser le réseau électrique ne se résume pas à une simple question de mise à niveau technologique. Une réglementation intelligente et une planification rigoureuse sont essentielles pour garantir l'intégration efficace des énergies renouvelables. Sensibiliser le public est également crucial. La transition énergétique ne peut se faire sans l'adhésion et la participation des citoyens. Explications avec Mme Rim Berahab, Economiste principale au Policy Center for the New South (PCNS). * Vous venez de faire une analyse sur le : « Réseau électrique : le talon d'Achille de l'électricité verte ? », un thème d'actualité. Quel regard portez-vous sur ce secteur en l'état actuel des choses ? - Alors que l'urgence climatique s'intensifie, l'expansion des énergies renouvelables et de l'électrification s'accélère dans de nombreuses régions du monde. Cependant, un élément crucial de la transition énergétique est souvent négligé : le réseau électrique.
Si les technologies d'énergie renouvelable sont en plein essor, l'infrastructure nécessaire à leur intégration à grande échelle accuse un retard considérable dans certaines régions. Le manque de capacité des réseaux risque donc de freiner la transition et de menacer les objectifs climatiques internationaux.
L'Agence Internationale de l'Energie tire la sonnette d'alarme : à l'échelle mondiale, plus de 80 millions de kilomètres de réseau électrique devront être construits ou rénovés d'ici 2040 pour respecter les engagements climatiques. Un défi colossal qui exige des investissements massifs et des innovations technologiques.
Moderniser le réseau électrique ne se résume pas à une simple question de mise à niveau technologique. Une réglementation intelligente et une planification rigoureuse sont essentielles pour garantir l'intégration efficace des énergies renouvelables. Sensibiliser le public est également crucial. La transition énergétique ne peut se faire sans l'adhésion et la participation des citoyens.
Face à l'ampleur du défi, l'optimisme est de rigueur. Les solutions existent, à condition de mobiliser tous les acteurs du secteur : gouvernements, entreprises, investisseurs et citoyens. En conclusion, je ne pense pas que le réseau électrique soit le talon d'Achille de l'électricité verte, mais plutôt un chantier colossal à mener de front pour garantir une transition énergétique réussie. Un défi à la mesure de l'enjeu climatique.
* Selon vous, les technologies renouvelables sont dorénavant compétitives en termes de coûts par rapport aux combustibles fossiles pour la production de l'électricité. Cependant, la transition vers des sources d'énergie plus propres est confrontée à un défi majeur, à savoir : l'insuffisance des infrastructures électriques nécessaires à leur intégration. Comment expliquez-vous cela ? - Effectivement, les énergies renouvelables ont atteint un coût compétitif face aux combustibles fossiles pour la production d'électricité. Cependant, il ne s'agit pas uniquement de produire de l'électricité renouvelable, il faut également l'acheminer vers les centres de demande. Leur intégration à grande échelle se heurte donc à un obstacle majeur : le manque d'infrastructures électriques adéquates. En Afrique, à titre d'exemple, les pertes dans les réseaux électriques sont élevées, et se sont élevés en moyenne à 15 % en 2020, contre une moyenne mondiale de 7 %.
S'agissant de l'introduction des énergies renouvelables dans le réseau électrique, plusieurs facteurs contribuent à ce défi :
L'intermittence des sources renouvelables : La production d'énergie éolienne et solaire dépend des conditions météorologiques, ce qui peut créer des fluctuations et des déséquilibres sur le réseau ; Le besoin de technologies spécifiques : L'intégration des énergies renouvelables nécessite des technologies d'adaptation, comme des batteries de stockage et des convertisseurs, qui sont encore en phase de développement et d'optimisation ; La gestion flexible des réserves : La variabilité des sources renouvelables impose une gestion dynamique des réserves d'énergie pour garantir la stabilité et la sécurité du réseau électrique ; Le maintien de la sécurité et de la fiabilité : L'intégration des énergies renouvelables doit se faire en veillant à ne pas compromettre la sécurité et la fiabilité du réseau, qui sont des priorités absolues.
Ainsi, la transition énergétique ne se limite pas à la production d'électricité renouvelable. Il est crucial de prendre en compte l'ensemble de la chaîne de valeur, de la génération à la transmission et à la distribution, pour garantir un système électrique efficient et durable. Combler le retard des infrastructures électriques exige des investissements conséquents et des innovations technologiques de pointe. Des solutions prometteuses existent, telles que le développement des réseaux intelligents et des technologies de stockage d'énergie, qui permettront d'optimiser la gestion et l'intégration des sources renouvelables.
* Quels sont les investissements nécessaires à faire pour moderniser les réseaux électriques, d'une manière générale ?
- Le financement de la modernisation des réseaux électriques est un défi important. Les gouvernements, les entreprises privées et les institutions financières doivent tous jouer un rôle pour mobiliser les ressources nécessaires. Par ailleurs, ces investissements sont conséquents et varient selon les régions et les pays. L'Agence Internationale de l'Energie estime qu'à l'échelle mondiale, seulement 20% des 770 milliards de dollars investis dans les projets d'énergie propre sont consacrés aux réseaux électriques.
Plusieurs types d'investissements sont nécessaires. Cela implique de remplacer les lignes vieillissantes, d'étendre le réseau pour atteindre les zones rurales et les nouvelles installations d'énergie renouvelable, et d'améliorer les installations de distribution pour mieux gérer les variations de la demande et l'injection d'électricité renouvelable.
Le développement des technologies intelligentes est également essentiel. Cela inclut le déploiement de compteurs intelligents pour un suivi précis de la consommation, la mise en place de systèmes de gestion de la demande pour réduire la consommation pendant les périodes de pointe, et le développement des réseaux intelligents pour une meilleure gestion du réseau en temps réel.
L'intégration des sources d'énergie renouvelable est un autre défi majeur. Le réseau doit être renforcé pour supporter l'intermittence de ces sources, et des technologies de stockage doivent être développées pour pallier ce problème. De plus, les marchés d'électricité doivent être adaptés pour tenir compte de l'intermittence des sources renouvelables.
Enfin, la cybersécurité est un aspect crucial à ne pas négliger. Le réseau électrique étant de plus en plus numérisé, il est essentiel d'investir dans des technologies de cybersécurité et de mettre en place des mesures de protection et de surveillance pour prévenir les cyberattaques et minimiser leurs impacts.
Il est également important de noter que les investissements nécessaires doivent être adaptés aux besoins spécifiques de chaque pays et de chaque région. Des études approfondies doivent donc être réalisées pour identifier les investissements les plus rentables et les plus efficaces.
Qu'en est-il au Maroc avec tous les projets qui sont lancés dans le cadre de sa transition énergétique ?
- Le Maroc a réalisé des progrès considérables en matière de transition énergétique. Le pays a investi massivement dans des projets d'énergie renouvelable, comme le complexe Noor Ouarzazate, l'une des plus grandes centrales solaires utilisant la technologie CSP au monde, et le parc éolien de Tarfaya, l'un des plus grands d'Afrique. Grâce à ces efforts, le Maroc a accompli des progrès significatifs vers son objectif de produire 52% de sa capacité électrique à partir de sources renouvelables d'ici 2030.
Des progrès importants ont également été réalisés en matière d'intégration des énergies renouvelables sur le réseau électrique. Le Maroc a investi dans le renforcement du réseau de transport d'électricité et a mis en place des politiques incitatives pour le développement des énergies renouvelables.
Cependant, des défis subsistent. Le réseau électrique marocain doit être modernisé pour supporter l'intermittence des sources renouvelables et l'augmentation de la demande d'électricité. De plus, des technologies de stockage et d'adaptation du réseau sont nécessaires pour gérer l'injection variable d'électricité renouvelable.
Le Maroc est conscient de ces défis et a mis en place un programme ambitieux pour moderniser son réseau électrique. Le Programme de développement des réseaux de transport d'électricité et d'électrification rurale (PDRTE-ER) vise à augmenter la capacité de transit du réseau national, à garantir l'insertion de la production électrique supplémentaire générée par les sources renouvelables et à contribuer à l'électrification rurale.
Le Maroc a également l'opportunité d'intégrer les nouvelles technologies numériques dans ses systèmes électriques. Les réseaux intelligents peuvent améliorer la gestion du réseau et optimiser la consommation d'électricité, grâce à des conceptions d'autoréparation, des systèmes de contrôle de l'approvisionnement, de la consommation et des mécanismes de surveillance à distance, en plus du stockage de l'énergie par des moyens intelligents, fiables et durables.
* Quel est le scénario probable de l'Afrique durable de l'Agence Internationale de l'Energie ?
- Le scénario de l'Afrique durable (SAS), publié dans les Perspectives Energétiques en Afrique 2022 de l'Agence Internationale de l'Energie, propose une vision ambitieuse pour un avenir énergétique propre et durable en Afrique. Ce scénario prend en compte les besoins spécifiques des différents pays et secteurs du continent et vise à atteindre tous les objectifs de développement liés à l'énergie en Afrique.
L'accès universel à l'énergie moderne d'ici 2030 est au cœur du SAS. Cela répond à l'Objectif de développement durable n° 7 (ODD7) et permettra d'améliorer considérablement la qualité de vie de plus de 600 millions de personnes qui n'ont actuellement pas accès à l'électricité et de 990 millions qui n'ont pas accès à des moyens de cuisson propres. Le scénario SAS prévoit également une croissance économique importante en Afrique, ce qui entraînera une augmentation de la demande d'énergie dans tous les secteurs. Cette demande devrait augmenter de près de 40 % d'ici 2030.
Le SAS met l'accent sur les technologies les plus rentables et facilement disponibles sur le continent. L'offre d'énergie primaire moderne devrait augmenter d'un tiers d'ici 2030, tandis que la consommation d'énergie par habitant devrait rester inférieure à un tiers de la moyenne mondiale.
Les ménages continueront d'être les plus gros consommateurs d'énergie finale en 2030. Le nombre de climatiseurs, de ventilateurs et de réfrigérateurs devrait plus que doubler, mais leur impact sur la demande d'énergie sera atténué par des normes minimales de performance énergétique.
Selon ce scénario, la demande d'électricité sur le continent devrait augmenter de 75 % entre 2020 et 2030. La production d'énergie renouvelable, principalement à partir de l'énergie solaire photovoltaïque, représentera la majeure partie de cette augmentation, grâce à la baisse des coûts et à l'adoption rapide de ces technologies à l'échelle mondiale.
En 2030, l'énergie solaire et l'énergie éolienne devraient représenter ensemble 27 % de la production d'électricité du continent, soit huit fois plus qu'aujourd'hui. Le scénario SAS montre que l'Afrique peut atteindre ses objectifs de développement énergétique tout en s'engageant sur la voie d'un avenir durable et à faible émission de carbone.
Ce scénario ambitieux nécessitera des investissements importants dans les infrastructures énergétiques, le développement des technologies et le renforcement des capacités. La collaboration entre les gouvernements, les entreprises et les organisations internationales sera essentielle pour réaliser le plein potentiel du scénario SAS et transformer l'avenir énergétique de l'Afrique.
Bon à savoir Rim Berahab est Economiste principale au Policy Center for the New South (PCNS), qu'elle a rejoint en 2014. Elle travaille actuellement sur des thèmes liés aux questions énergétiques et à leurs impacts sur la croissance économique et le développement à long terme. Ses domaines de recherche couvrent également les défis du commerce et de l'intégration régionale en Afrique. Auparavant, elle a également travaillé sur les questions liées aux inégalités de genre sur le marché du travail des pays d'Afrique du Nord. Rim a passé trois mois au Fonds Monétaire International (FMI), en 2016, dans l'unité matières premières du département de recherche. Elle est titulaire d'un diplôme d'ingénieur d'Etat de l'Institut National de Statistique et d'Economie Appliquée (INSEA). Quant au Policy Center for the New South (PCNS), il est un groupe de réflexion marocain visant à contribuer à l'amélioration des politiques publiques économiques et sociales qui remettent en question le Maroc et le reste de l'Afrique en tant que parties intégrantes du Sud global. Le think tank plaide pour un « nouveau Sud » ouvert, responsable et entreprenant qui définit ses propres récits et cartes mentales autour des bassins méditerranéens et de l'Atlantique Sud, dans le cadre d'une relation tournée vers l'avenir avec le reste du monde.