Les juridictions financières de la Cour des Comptes peinent à examiner correctement le patrimoine des personnes assujetties à la déclaration obligatoire faute d'un modèle efficace. Détails. Au moment où la probité et la déontologie parlementaires refont surface dans le débat public, les députés et les Conseillers ont pris acte du nouveau rapport de la Cour des Comptes qui, comme chaque année, dresse un bilan parfois alarmant de la gestion des établissements publics. Devant les membres des deux Chambres du Parlement, réunis à l'Hémicycle, la présidente de la Cour a présenté, mardi, les grandes lignes de son rapport de 113 pages, dont une partie importante consacrée aux aspects relatifs à la moralisation de la vie publique. Perçue comme une pierre angulaire de la transparence des élus et des agents publics, la déclaration obligatoire de patrimoine évolue dans la pratique sans atteindre les objectifs escomptés. C'est ce qui ressort du rapport qui fait état de plusieurs carences techniques.
Un modèle à revoir ! En gros, le modus operandi fait défaut. En effet, sur la base du suivi des déclarations, la Cour des Comptes a conclu que "le modèle actuel de déclaration ne permet pas un suivi efficace de l'évolution du patrimoine". Zineb El Adaoui l'a fait savoir haut et fort à l'Hémicycle. Le problème réside dans la défaillance du modèle de la déclaration, jugé lacunaire et que, par conséquent, il faudrait revoir. Ceci dit, les déclarations, telles que déposées, ne permettent pas d'évaluer correctement le patrimoine des personnes concernées. Ce constat est le fruit d'un examen scrupuleux d'un échantillon au cours des années 2022 et 2023. En fait, la Cour a pris un échantillon de 172 déclarations déposées, afin de savoir si ces déclarations, en leur forme en vigueur, fournissent assez d'éléments nécessaires pour permettre à la Cour de relever des incohérences entre l'évolution du patrimoine de l'intéressé et celle de ses revenus. "Cet examen a révélé que les informations contenues dans lesdites déclarations ne permettent pas de tirer des conclusions fiables", explique le rapport, soulignant que "cette situation est due au manque de clarté des concepts utilisés dans le modèle en vigueur, ou d'erreurs et d'imprécisions commises par le déclarant en renseignant les données requises". Nécessité d'une révision profonde Pour combler les lacunes actuelles, la Cour présidée par Zineb El Adaoui s'apprête à revoir le système de déclaration du patrimoine dans sa globalité en vue d'augmenter son efficacité. C'est en tout cas l'objectif fixé. Pour ce faire, la Cour a besoin d'une vision exhaustive sur le fonctionnement du système en vigueur. Raison pour laquelle les services de la Cour s'emploient à réaliser un rapport global destiné à fournir une feuille de route claire et concise.
Le verre à moitié plein Toutefois, en dépit des complications, le nombre des déclarations de patrimoine est en constante évolution grâce au suivi des personnes assujetties. Preuve en est que les mises en demeure prises à l'encontre des retardataires, et parfois des récalcitrants, donnent leurs fruits. Force est de constater que 80% des personnes assujetties à la déclaration obligatoire, qui ont manqué à leurs obligations déclaratives, ont fini par régulariser leur situation. Selon les chiffres dévoilés par Zineb El Adaoui, il s'agit de 4.563 assujettis de la catégorie des fonctionnaires et agents publics, et 3.711 de la catégorie des élus des Conseils locaux et Chambres professionnelles. Cependant, il reste encore une trentaine de fonctionnaires qui n'ont pas encore déclaré leur patrimoine dans les délais impartis, et ce, malgré les nombreuses sollicitations des juridictions financières qui ont d'ores et déjà notifié les rappels aux départements gouvernementaux dont ils relèvent. A cet égard, pour pouvoir traquer les "réfractaires", la Cour compte beaucoup sur l'appui de la Direction Générale de la Sûreté Nationale, jugé crucial. Dans son rapport annuel, Zineb El Adaoui estime que "la mise en œuvre du protocole de coopération entre la Cour des Comptes et la Direction Générale de la Sûreté Nationale a été déterminante en la matière, en permettant de disposer de données actualisées et plus fiables portant sur les adresses des assujettis concernés".
Les recommandations de l'INPPLC La révision de la conception du modèle de la déclaration obligatoire de patrimoine est une priorité aux yeux de l'Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC) qui plaide pour la révision du mode actuel. Dans son dernier rapport annuel au titre de 2022, l'instance présidée par Bachir Rachdi recommande une meilleure définition et un meilleur ciblage des catégories concernées et des personnes assujetties. La formule préconisée est simple, elle consiste à définir ce qu'est un agent public sur la base de deux critères essentiels. Selon le document, le premier critère porte sur la compatibilité. Cela signifie qu'il faut une liste claire et scrupuleusement élaborée de sorte à inclure toutes les personnes assujetties à la déclaration obligatoire de patrimoine. Pour ce qui est du deuxième critère, il concerne la flexibilité. Là, l'instance préconise d'ouvrir la possibilité de compléter la liste par d'autres personnes, à la demande d'instances et d'institutions nationales. Toujours sur ce point, il est vivement recommandé de la part de l'instance de rester ouvert sur les législations internationales pour bénéficier de leur évolution et inclure d'autres personnes concernées par les conflits d'intérêts.
La probité publique réinvestit le débat parlementaire Le débat sur la transparence des élus et des agents publics n'a jamais été aussi ancré dans le débat public qu'aujourd'hui après les nombreuses affaires judiciaires dans lesquelles sont impliquées des personnalités publiques. La lutte contre la corruption au sein des assemblées élues est devenue un enjeu national et cristallise les débats au sein du Parlement, surtout sur la question de l'enrichissement illicite. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a été interpellé sur la pénalisation de l'enrichissement illicite, dont la proposition de loi qui était censée être votée lors de la précédente législature, est passée à la trappe après avoir été retirée. Pour sa part, l'Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption demeure favorable à ce que cette loi voie le jour. C'est ce que nous a confirmé son président, Bachir Rachdi, lors d'une interview précédemment accordée à "L'Opinion".