Lors de son passage devant la première Chambre, lundi 8 janvier,le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a présenté les nouveautés apportées par son département au système judiciaire marocain. Interrogé sur autant de maux qui rongent le code pénal marocain et les autres lois en vigueur, le ministre a révélé, lundi 8 janvier, les contours des nouveaux textes qui fixent par de grandes vues plusieurs phénomènes sociétaux majeurs, tels que les crimes commis contre les enfants, le cyber-harcèlement des femmes ou encore l'anarchie numérique.
Cyber-harcèlement : absence de loi pour absence de plaintes ?
Interrogé sur la montée en puissance de la cyber-violence faite aux femmes, le ministre de la Justice a reconnu le vide juridique persistant, l'attribuant à l'absence de plaintes. Le ministre a affirmé dans ce sens "qu'une bonne partie des femmes victimes de ces actes criminels choisissent de les endurer en silence au lieu de porter plainte". Rappelons à ce titre que l'enquête nationale sur la prévalence de la violence à l'égard des femmes, réalisée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP), a montré que la cyber-violence touche près d'1,5 million de femmes (13,8%) au Maroc.
Le Maroc a promulgué, depuis 2018, la loi n° 103.13 relative à la lutte contre la violence à l'égard des femmes. Ce texte a permis au Royaume de disposer d'un cadre juridique complet pour lutter contre la violence à l'égard des femmes, mais des lacunes subsistent, particulièrement en ce qui concerne les nouvelles formes de violence numérique, tant que les réseaux sociaux et les différentes applications de communication ne sont pas utilisés à bon escient. Il est à rappeler que le chapitre 1-447 de la loi précitée stipule que "quiconque, délibérément, par quelque moyen que ce soit, y compris les systèmes d'information, recueille, enregistre, transmet ou distribue des déclarations ou des informations communiquées à huis clos ou en secret, sans le consentement de leurs propriétaires, est passible d'une peine de six mois à trois ans de prison et d'une amende de 2.000 à 20.000 dirhams".
Pour faire bonne mesure, "le nouveau code pénal a instauré des sanctions sévères pour mettre fin au chaos du cyber-harcèlement, qui sévit de plus en plus sur les réseaux sociaux et autres plateformes en ligne", a assuré Ouahbi, selon qui "il n'y a pas de recette miracle pour contrer ce phénomène que de casser le silence et de recourir à la justice". Des peines strictes ont été établies dans la nouvelle législation pour protéger la vie privée des femmes, y compris la diffusion de leurs images ou enregistrements sonores. "Le harcèlement sexuel numérique est désormais passible de sanctions, tout comme l'exploitation d'images et la diffusion de déclarations ou d'informations sur une personne sans son consentement", a expliqué le ministre. Il a rappelé également que le Maroc, en adhérant à la Convention de Budapest sur la cybercriminalité et en signant son premier protocole le 12 mai 2022, a pu renforcer son arsenal juridique en la matière. Très conscient de ce qu'il a qualifié d'"anarchie numérique", Ouahbi a promis de s'attaquer de front à ce problème qui découle d'une utilisation irresponsable, à mauvais escient, du pouvoir délégué par les nouvelles plateformes de réseaux sociaux. "Le temps est révolu où certains écrivent ce qu'ils veulent, d'autres accusent comme ils veulent", a dit Ouahbi, sur un ton différent, plus ferme. "Nous gardons l'œil ouvert sur tout ce qui porte atteinte à la vie privée des gens", a-t-il poursuivi. Pourquoi ne pas établir un Code de la justice pénale des mineurs ?
Lors du même passage, Abdellatif Ouahbi a été interpellé sur la recrudescence alarmante des crimes et des viols visant les enfants. Malheureusement, les chiffres parlent d'eux-mêmes : le nombre de crimes commis contre les enfants est passé de 4.828 cas en 2020 à 6.314 cas en 2021, dont près de 2.998 cas d'agressions sexuelles, selon le rapport annuel du Ministère public. Selon le même rapport datant de 2021, les filles sont davantage victimes de crimes sexuels : 2640 filles contre 472 garçons.
En riposte, le responsable a souligné que les tendances globales n'ont pas changé, mais, grâce aux "supers pouvoirs" des réseaux sociaux, ces actes criminels sont de plus en plus médiatisés.
Pour faire face à ces défis, le nouveau code pénal a été élaboré avec la volonté ferme de durcir les sanctions contre les agresseurs, a assuré le ministre. Il a souligné, par ailleurs, les efforts consentis pour garantir une forte protection aux mineurs, que ce soit dans les cas de viols ou d'attentats à la pudeur.
"Pour la première fois, nous avons ouvert aux enfants l'accès à la justice", a annoncé le ministre, soulignant que "tout mineur victime peut désormais porter plainte lui-même". Cependant, il a précisé que la présence d'un avocat est désormais obligatoire pour garantir la préservation des droits et des intérêts de l'enfant lors de sa comparution devant la police.
"Le nouveau code pénal a également pris des mesures strictes en criminalisant le mariage forcé des mineures et en traitant de nombreuses questions liées à l'exploitation sexuelle des enfants, notamment dans la prostitution et la pornographie", a ajouté le ministre.
Face à la complexité de la situation, le ministre a suggéré l'établissement d'un code de la justice pénale des mineurs, une démarche déjà adoptée par plusieurs pays. Cette initiative vise à regrouper toutes les dispositions spécifiques aux enfants dans un ensemble juridique cohérent tout en renforçant les sanctions contre les criminels qui violent les droits des enfants.
Comment Ouahbi s'y prend-il pour digitaliser le secteur ?
Dans le même contexte, les députés ont abordé la problématique de l'accès à la justice, avec l'usage à profusion de l'Internet et des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Un chantier sur lequel s'est attardé le ministre de tutelle, qui s'est dit totalement engagé dans la dématérialisation des procédures judiciaires, le cas actuellement du casier judiciaire et de l'usage des moyens technologiques. Dans ce sillage, Abdellatif Ouahbi a révélé que son département offrira bientôt une possibilité d'obtenir un certificat de nationalité marocaine par voie électronique. A cette fin, désormais, une plateforme électronique pour la demande de la nationalité marocaine devait être lancée mardi 9 janvier.
Cependant, Ouahbi a évoqué quelques défis majeurs au sein de son département, notamment "le manque de culture technique parmi ses fonctionnaires, habitués aux procédures papiers". Malgré cela, il a promis d'accélérer la digitalisation du secteur à travers la mise en place de plusieurs applications interconnectées. "Cela inclut la création d'un portail pour le dépôt des demandes de grâce et de liberté conditionnelle, d'une plateforme pour le paiement électronique des amendes, d'un portail national du référentiel des métiers de la justice", a déclaré Ouahbi.