En ces temps de crise, l'Etat cherche à promulguer moult méthodes de financement innovant pour soutenir les entreprises. Zoom sur le Search Funds (SF), qui a fait ses preuves dans plusieurs pays, mais qui reste méconnu au Maroc. Dans une conjoncture où l'inflation s'étend dans la durée, poussant la Banque Centrale à augmenter son taux directeur à même d'atteindre les 3%, les entreprises se retrouvent face à la double contrainte de la réduction de la production ou le maintien de sa dynamique au détriment du creusement de la dette. Une situation qui pousse les entreprises à chercher de nouvelles sources de financement, à l'instar du crowdfunding dont le cadre juridique a été finalisé, selon les déclarations du Wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, lors d'une conférence de presse à l'issue de la dernière réunion trimestrielle du Conseil de la Banque Centrale. En réponse à une question de notre confrère « Le360 », Jouahri a même déclaré que les premiers agréments seront délivrés dans les prochains mois. « «Le projet avance. Je reçois régulièrement l'état d'avancement des discussions et des dossiers. Le cadre juridique est bouclé, nous sommes maintenant entrés dans la phase d'opérationnalisation. Nous avons déjà reçu deux demandes d'agréments de jeunes Marocains titulaires de plateformes de crowdfunding. Les premiers agréments seront vraisemblablement opérationnels dans les mois à venir», a-t-il précisé. Si ce chantier d'envergure voit enfin le bout du tunnel, les experts s'interrogent sur l'éventualité de s'ouvrir sur d'autres modalités de financement des entreprises, telles que le « Search Funds ». Il s'agit essentiellement d'un fonds de recherche par lequel les investisseurs peuvent soutenir ce que l'on appelle en anglais "Entrepreneurship through Acquisition (EtA) ou bien encore "L'entrepreneuriat par l'acquisition" de manière pratique, par le biais d'une structure bien alignée, nous explique Pete Seligman, Search Investor australien. En clair, ce sont des fonds d'investissement gérés par des entrepreneurs qui recherchent activement une entreprise à acquérir et à gérer. Un processus qui implique typiquement un entrepreneur ou « sponsor » qui lève des fonds auprès d'investisseurs pour financer la recherche et l'acquisition d'une entreprise rentable.
Un cadre juridique précis s'impose ! « J'ai passé ces dernières années à investir dans la recherche et à faire ce que je peux pour soutenir la croissance d'EtA et de la recherche en Australasie », indique Pete Seligman, notant que le Search funds peut être une solution quand un entrepreneur ne dispose pas d'un capital ou d'un flux de trésorerie suffisant pour subvenir à ses besoins. La réussite du modèle reste tributaire, néanmoins, de la capacité du chercheur à sélectionner la bonne entreprise cible. Une mauvaise décision peut entraîner des problèmes opérationnels et financiers importants, surtout si les conditions de marché sont défavorables. «Si le Search Funds permet de sauver des entreprises et de créer de nouveaux emplois, il peut parfois être source d'abus, car les détenteurs de capitaux peuvent profiter de la situation délicate des entrepreneurs en difficulté financière », nous souffle Mohammed Sentissi, Directeur Juridique chez Salaam Group. Car oui, pour le moment, le Maroc ne dispose pas encore de cadre juridique adéquat à cette activité. Pour éviter les abus, il est donc important d'adopter un cadre régulateur qui protège les intérêts des entrepreneurs et des détenteurs de capitaux. « Outre la définition claire qui permettrait la détermination des règles et réglementations qui lui sont applicables, le cadre légal devrait prévoir plusieurs autres mesures, telles que les obligations en matière de transparence et d'accès à l'information », explique notre juriste, ajoutant que les détenteurs de capitaux devraient être tenus de fournir aux entrepreneurs des informations complètes sur leurs intentions et leurs objectifs. Cela permettrait aux entrepreneurs de prendre une décision éclairée quant à la vente de leur entreprise. Egalement, les fondateurs devraient bénéficier de protections spécifiques. « Nous pouvons imaginer des mesures telles que des droits de veto sur certaines décisions stratégiques ou des restrictions sur la dilution de leurs droits, ou encore instaurer des clauses de préservation de l'emploi ou des mesures pour garantir la participation continue des fondateurs dans la gestion de l'entreprise », recommande Mohammed Sentissi, qui plaide en faveur de la formation des entrepreneurs sur les SF, comme ça devrait être le cas pour toutes les autres formes d'investissement. L'adoption de ce modèle de financement d'entreprise devrait toutefois se faire graduellement, selon Pete Seligman. « Dans tout nouveau marché (y compris le Maroc), l'adoption sera menée initialement par un petit groupe d'investisseurs et d'entrepreneurs engagés qui peuvent s'appuyer sur le soutien d'autres marchés établis pour construire les fondations de leur communauté ». Cela a été démontré dans de nombreux nouveaux marchés, comme en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pour le Maroc, la question n'est pas encore posée officiellement, mais avec le grand chantier des financements innovants, actuellement dans le pipe, chaque piste est explorable.
3 questions à Pete Seligman "Search funds a prouvé sa performance aux Etats-Unis, au Canada et en Australie" * Comment cette méthode peut-elle contribuer à la croissance de l'entreprise ? Les fonds de recherche contribuent à la croissance de diverses manières, notamment par l'apport d'un nouveau leadership et d'une nouvelle direction. L'entrepreneur du search funds (ou le "chercheur") devient le nouveau PDG de l'entreprise, soutenu par un nouveau Conseil d'administration composé d'un groupe d'investisseurs expérimentés.
* Peut-elle être une bonne alternative au financement bancaire ?
- Les Search Funds ne sont pas une source alternative de capital pour les entreprises. Il s'agit d'une entité ad hoc créée spécifiquement pour l'acquisition d'une petite ou moyenne entreprise, dans laquelle l'entrepreneur peut entrer en tant que propriétaire/exploitant.
* Avez-vous un exemple de réussite de ce modèle ailleurs dans le monde ?
Les Search Funds ont été créés à Harvard / Stanford dans les années 1980 et se sont répandus dans le monde entier au cours des 40 dernières années. Ils sont extrêmement performants, offrant aux investisseurs des rendements supérieurs à 35% sur des périodes de détention moyennes d'environ 6 ans. Ils sont bien établis en Amérique du Nord et encore moins en Europe... et se développent rapidement sur d'autres marchés (y compris en Asie-Pacifique). 3 questions à Mohammed Sentissi : « Il faut prévoir des mécanismes pour protéger les investisseurs et les entrepreneurs » * Peut-on faire du Search Funds au Maroc ?
- Le « Search Funds » (SF) est une forme de financement innovante qui n'est pas encore réglementée au Maroc. Pour protéger les investisseurs et les entrepreneurs, il est important de mettre en place un cadre juridique dédié à ce type de capital-investissement. Un cadre qui pourrait définir clairement le capital-investissement spécialisé comme une forme d'investissement qui consiste à rechercher, identifier et acquérir une entreprise en difficulté. Il pourrait également préciser les droits, obligations et limites de ce type d'investissement, tels que l'obligation de divulguer les informations pertinentes aux investisseurs et aux entrepreneurs, ou l'interdiction de prendre le contrôle de l'entreprise cible. Il serait également judicieux de prévoir des mécanismes de protection des investisseurs et des entrepreneurs, tels que la transparence et la protection des entrepreneurs en péril. Par exemple, il pourrait exiger que les SF soient enregistrés auprès d'une autorité publique, ou sur un registre national, à l'instar des sûretés mobilières, ou qu'ils publient un rapport annuel sur leurs activités.
* Quels fondements juridiques recommandez-vous dans ce sens ?
- Il faut prendre en considération le contexte législatif actuel et les réglementations en vigueur en matière de financement des entreprises et de financement participatif. Dans le cadre du SF, la loi sur le financement participatif pourrait être utilisée pour établir les règles régissant la recherche et l'acquisition d'entreprises par les Search Funders. Elle devrait également inclure pour ces derniers des obligations spécifiques, telles que la fourniture d'informations complètes aux investisseurs et aux entrepreneurs. Par ailleurs, les réglementations en matière de financement collaboratif devraient définir les modalités de financement par souscription d'actions ou de prêts, les obligations des plateformes de financement collaboratif, ainsi que les droits et obligations des investisseurs et des entrepreneurs.
* Comment peut-on encourager cette méthode au Maroc ?
Le Search Funds pourrait s'appuyer sur la loi sur la société par action simplifiée (SAS), un cadre juridique prisé et flexible pour la création d'entreprises au Maroc. En effet, la SAS offre la possibilité aux repreneurs de lever des fonds auprès d'investisseurs afin de financer la recherche de l'entreprise cible. Par ailleurs, la loi sur la SAS pourrait être utilisée pour encadrer les activités des Search Funders en instaurant, par exemple, des règles spécifiques telles que des restrictions à la cession des actions.
Aussi, la fiscalité jouerait un rôle crucial pour encourager ou décourager le développement du SF au Maroc, à travers des incitations fiscales accordées aux investisseurs dans les Search Funds, ainsi que pour déterminer le traitement fiscal du SF. Par exemple, en France, la fiscalité ne permet pas de recevoir d'actions sans investir, ce qui pourrait impacter le modèle de Search Fund. Enfin, il serait également souhaitable d'envisager des exigences en matière de gouvernance ou des restrictions à la dilution des droits des investisseurs pour exercer le SF au Maroc.