Après 90 jours de concertations, l'heure est au bilan et au brassage des idées sur l'état d'avancement de la réforme du Code de la famille. Détails. À la croisée des aspirations et des débats, l'odyssée de la réforme du Code de la famille entame son troisième mois, tissant une fresque complexe entre les voix de la tradition et celles de la modernité. Presque 90 jours se sont écoulés après que SM le Roi Mohammed VI ait adressé une lettre au Chef du gouvernement, laquelle ordonne une refonte du Code de la famille dans un délai de six mois. Ce sera donc en 2024, soit vingt ans après la promulgation du Code de 2004, jugé maintenant dépassé.
Etant la priorité accordée à ce sujet qui revêt, justement, une double dimension juridique et judiciaire, le Souverain a jugé approprié de confier la supervision conjointe du processus d'amendement au ministère de la Justice, au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et à la Présidence du Ministère public. L'ultime round de concertation entre l'Instance et les parties concernées : Conseils nationaux, institutions, partis politiques, instances, associations, acteurs de la société civile, spécialistes et universitaires, a débuté en novembre dernier. L'Instance en charge a recueilli un bon nombre de visions à travers une centaine de séances d'audition. La tension monte à mesure que le compte à rebours s'accélère. Dans trois mois, celui-ci touchera à sa fin. Mais bien des questions cruciales restent en suspens pour des discussions chamboulées par la multitude des avis et des recommandations. Entre progressistes et conservateurs, les différents intervenants se sont prononcés sur les problématiques clefs que l'on peut résumer ainsi : la garde et la tutelle de l'enfant, la polygamie, l'héritage, la filiation et le mariage des mineurs.
Les grandes lignes qui font consensus
S'agissant de la filiation paternelle, toutes les parties ou presque ont fait l'unanimité sur la nécessité de l'expertise génétique par le test ADN. Il est, dans ce sens, à noter que l'Article 152 de l'actuel Code de la famille stipule que : «La filiation paternelle découle des rapports conjugaux (Al Firach); de l'aveu du père (Iqrar) et des rapports sexuels par erreur (Choubha)».
Néanmoins, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait appelé à la protection du droit de l'enfant à la filiation, indépendamment du statut matrimonial de ses parents. Dans ce sens, rappelons-le, le ministre de la Justice avait précédemment affirmé que «les enfants issus d'une grossesse « illégitime » devraient être pris en charge par leur père jusqu'à l'âge de 21 ans, si les tests ADN prouvent la paternité».
Au sujet du mariage des mineurs, la majorité des parties est d'accord sur l'interdiction de cette pratique. Le hic, c'est que le code actuel fixe l'âge légal du mariage à 18 ans pour les deux sexes, mais laisse un pouvoir discrétionnaire total au juge pour statuer au cas par cas. Autre point important : près de 98% des demandes pour mariage des mineurs se concentrent dans les zones rurales, dans lesquelles plusieurs familles se contentent encore de la Fatiha.
Concernant la garde des enfants, la plupart des avis exprimés plaident pour l'égalité en matière de garde en cas de remariage. D'autant plus que l'Article 171 de la Moudawana affirme que « la garde est confiée en premier lieu à la mère, puis au père et puis à la grand-mère maternelle de l'enfant ». Toutefois, l'Article 173 du même code précise que parmi les conditions de dévolution de la garde, le non-mariage de la candidate à la dévolution de la garde, à l'exception des cas prévus dans les Articles 174 et 175. Cependant, ces Articles expliquent en détail que le mariage de la femme, qui assure la garde, entraîne la déchéance de la garde. Les points de vue divergent sur plusieurs questions en tête desquelles figurent la polygamie et l'héritage. Pour ce qui est de la première, certains appellent pour l'interdiction de cette pratique, tandis que d'autres préconisent de durcir l'accès à cette pratique. Un autre clan dit vouloir faciliter l'accès en supprimant la condition de justification. Il est important de souligner, à cet égard, que l'Article 40 de la Moudawana spécifie que « lorsqu'une injustice est à craindre envers les épouses, ou lorsqu'il existe une condition de l'épouse en vertu de laquelle l'époux s'engage à ne pas lui adjoindre une autre épouse, la polygamie est interdite ». En l'absence d'empêchements légaux, l'époux peut présenter une demande d'autorisation à la polygamie, précisant les motifs objectifs et exceptionnels qui justifient son choix, assortie d'une déclaration sur la situation matérielle du demandeur. Sur la question de l'héritage, plusieurs parties se disent d'accord sur le système successoral actuel, alors que d'autres soulèvent des inquiétudes quant à la question de l'héritage par agnation (tâassib) et du testament.
Cadre référentiel
L'introduction d'amendements à ce texte revêt une importance cruciale dans la vie publique au Maroc. Enfin tracée par le Souverain, l'initiative figure depuis près de 20 ans parmi les revendications phares de la société civile. Dans la Lettre Royale adressée au Chef du gouvernement, SM le Roi Mohammed VI a affirmé qu'il est nécessaire de réexaminer le Code de la famille. Lequel a eu l'immense avantage d'impulser une dynamique de changement vertueuse et d'instaurer une conception nouvelle de l'égalité et de l'équilibre familial, ouvrant ainsi la voie à une avancée sociale considérable, afin de corriger les dysfonctionnements et les lacunes que l'expérience de sa mise en œuvre judiciaire a révélés.
Le Souverain a souligné, par ailleurs, que les dispositions du Code de la famille « doivent également être mises en adéquation avec l'évolution de la société marocaine et les besoins du développement durable », notant que « la nouvelle version s'harmonisera ainsi avec la progression de notre législation nationale ». Dans Son discours du 30 juillet 2022, et dans Sa lettre envoyée au Chef du gouvernement en septembre dernier, SM le Roi avait précisé : «Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé».
Ceci dit, une chose est claire : la nouvelle réforme de la Moudawana reposera (sur) et respectera, bien évidemment, les préceptes de la Charia islamique, le Saint Coran, ainsi que les efforts jurisprudentiels (ijtihad) et la Sunna auxquels s'ajoute le legs des jurisconsultes musulmans, ou ce que l'on appelle « fuqaha ».