À Boulaâouane comme dans d'autres régions du Royaume, la réhabilitation de la filière du cactus se poursuit grâce aux 8 variétés résistantes à la cochenille. Zoom sur une guerre sur de multiples fronts. Depuis que la cochenille a progressivement ravagé les cactus au niveau national, les goûteuses variétés de figues de barbarie sont de plus en plus rares et leurs prix ont flambé. Dans le cadre des efforts entamés ces dernières années afin de trouver des variétés résistantes à ce ravageur, un projet de reconstitution des plantations de cactus dans la région des Doukkala, «épicentre» de cette épidémie, a été récemment lancé dans le territoire de la commune rurale de Boulaâouane, relevant d'Oulad Frej (province d'El Jadida). Ce projet capitalise sur les 8 variétés qui ont démontré leur résistance à la cochenille et que le ministère de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural, des Eaux et Forêts et l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA) s'attellent à la tâche de multiplier et de diffuser afin de restaurer une filière socioéconomique importante. Ainsi, trois de ces nouvelles variétés seront plantées durant les trois prochaines années au niveau de l'arrondissement agricole d'Oulad Frej, sur une superficie de plus de 500 hectares.
Variétés résistantes Sachant que la prolifération de la cochenille ravage actuellement les peuplements de cactus au niveau méditerranéen, la démarche entreprise par le Maroc est étroitement suivie par les communautés de scientifiques et d'experts qui s'intéressent aux 8 variétés résistantes que les chercheurs marocains ont pu identifier parmi plus de 400 écotypes différents de cactus. « Les sollicitations internationales sont très nombreuses, mais notre priorité est d'abord de combler la demande croissante que nous avons au niveau national. Nous sommes cependant limités par le potentiel de reproduction du matériel végétal que nous essayons d'optimiser au maximum afin d'accélérer la cadence de production et de diffusion des plants aux agriculteurs », nous explique Dr Mohamed Sbaghi, Coordonnateur national du programme de multiplication du cactus résistant à la cochenille et directeur de recherche à l'INRA. En parallèle avec ces efforts, la recherche d'une solution pour éradiquer la cochenille se poursuit également.
Lutte sur plusieurs fronts « Nos équipes sont entièrement mobilisées pour trouver un traitement biologique contre la cochenille. De même, nous continuons à chercher des outils et des méthodes qui nous permettront d'accélérer encore plus la production végétale des variétés résistantes, notamment à travers des process in-vitro », poursuit la même source qui assure que des résultats encourageants ont déjà été atteints. En attendant de trouver un potentiel traitement de choc contre la cochenille, la propagation du ravageur semble surtout se faire à travers les peuplements de variétés de cactus qui sont tant appréciées par les Marocains, mais dont le maintien est contre-productif du point de vue des spécialistes. « Les variétés traditionnellement consommées et appréciées au Maroc ont été soigneusement conservées afin qu'elles puissent être replantées lorsque la cochenille sera éradiquée. En attendant, notre avis est qu'il faut encourager la mise en place de programme d'arrachage systématique de ces variétés », précise Dr Sbaghi.
« Eradiquer pour protéger » Si toutes les variétés résistantes à la cochenille n'ont pas les qualités gustatives des variétés « traditionnelles », il semble que les Marocains doivent quand même se résoudre à ne plus en consommer aussi fréquemment, du moins pendant quelques années. « Cela peut paraître paradoxal, mais le meilleur moyen de protéger les variétés traditionnelles et d'accélérer les perspectives de leur retour est de les éradiquer. En attendant, les variétés résistantes fournissent des qualités gustatives et nutritionnelles ainsi qu'un potentiel de valorisation qui sont excellents », estime le directeur de recherche affilié à l'INRA. Des variétés qui sont d'autant plus stratégiques qu'elles fournissent actuellement une solution de transition pour la filière du cactus mise à mal par le ravageur. En témoigne la reconstitution des peuplements de cactus de Boulaâouane où 130 hectares ont été plantés au profit de 63 agriculteurs durant l'année 2023. La zone prévoit par ailleurs une extension de 155 hectares prévus pour l'année prochaine. 3 questions au Dr Mohamed Sbaghi « Trois variétés résistantes sont identiques en termes gustatifs à certaines anciennes variétés » * Que répondez-vous aux adeptes des anciennes variétés de figues de barbarie qui dénigrent la qualité des nouvelles variétés résistantes ?
* Des vidéos ont effectivement circulé récemment dans les réseaux sociaux avec certaines voix qui estiment que les nouvelles variétés seraient trop dures et contiennent trop de graine. Certains ont même encouragé à ce que l'on revienne aux variétés traditionnelles moyennant des solutions de traitement chimique contre le ravageur, ce qui est déconseillé pour une espèce comme le cactus. Il faut d'abord souligner que ces avis ne sont pas représentatifs puisque les 8 variétés ont démontré des qualités gustatives avérées. Vous savez, on dit que les goûts ne se discutent pas comme on dit que tous les goûts sont dans la nature. Les retours que nous avons eus cependant de la part des producteurs et des vendeurs vont dans un sens contraire à ce que l'on peut entendre dans les vidéos que j'ai évoquées. D'ailleurs, nous avons trois variétés résistantes qui sont identiques en termes gustatifs à certaines anciennes variétés (Delahia, Moussa...). D'autres ont des goûts différents qu'il faut découvrir.
* Que pensez-vous du commerce de raquettes de variétés résistantes ? Est-ce préjudiciable aux efforts de diffusion des nouvelles variétés ?
* Dans nos estimations, nous avions tablé sur 15% environ de l'augmentation des superficies des nouvelles variétés de cactus qui se ferait à travers les agriculteurs eux-mêmes (partage ou vente de raquettes entre agriculteurs...). Cela dit, notre message aux agriculteurs bénéficiaires des nouvelles plantations est d'attendre au moins deux années avant d'envisager la vente de raquettes afin de pouvoir permettre au cactus d'augmenter sa densité et donc de commencer la production des fruits.
* Où en êtes-vous par rapport aux efforts de croisement des variétés que vous effectuez depuis le lancement du programme de multiplication du cactus résistant ?
* Nos expériences d'amélioration génétique avancent et donnent des résultats encourageants. Nous avons actuellement deux générations de produits de croisements et une troisième qui est en cours. Nous espérons que nous pourrons confirmer les résultats que nous avons afin de pouvoir produire d'autres variétés résistantes. Cochenille du cactus : Chronologie d'une infestation progressive et dévastatrice Le premier foyer de la cochenille du cactus au Maroc a été signalé en 2014. Deux années après, l'avancement exponentiel des superficies du figuier de barbarie dégradé par le ravageur a donné lieu au lancement officiel du programme d'urgence de lutte contre ce fléau. À l'époque, l'infestation était encore limitée à quelques zones au niveau de Sidi Bennour et dans la région de Zemamra. En 2017, la vitesse de propagation du fléau s'est accentuée au niveau national avec l'apparition de nouveaux foyers d'infestation, dans la région de Rhamna notamment. Pendant ce temps, une équipe mixte de chercheurs marocains capitalisait sur le travail de collecte d'écotypes de figues de barbarie (mené par l'INRA depuis les années 80) pour tenter d'identifier des variétés résistantes, à même de sauver une filière nationale de valorisation en chute libre. Le fruit de ce travail s'est présenté sous la forme de 8 variétés du figuier de barbarie résistant à la cochenille. S'en est suivie, depuis, une étape de diffusion de ces variétés auprès des agriculteurs et producteurs. Stratégie : Vitesse de croisière pour la réhabilitation des superficies de cactus Au vu de son potentiel de valorisation et de sa résistance exceptionnelle face aux aléas climatiques, la culture du figuier de barbarie a bénéficié d'une place privilégiée lors de la déclinaison du Plan Maroc Vert (PMV). Les prévisions des superficies plantées prévues à l'horizon 2020 ont ainsi été atteintes dès 2014 avec un développement simultané de plusieurs unités de conditionnement et de transformation des produits de cette filière. Un élan qui a grandement été perturbé depuis à cause des ravages de la cochenille. Depuis son lancement, la nouvelle stratégie nationale agricole « Generation Green » ambitionne pour sa part de restaurer et d'agrandir les superficies détruites par la cochenille grâce aux nouvelles variétés résistantes. L'objectif pour 2030 est d'atteindre une superficie de culture de 130.000 hectares. Cette remise en selle de la filière du figuier de barbarie se fera notamment grâce à l'accompagnement de l'INRA qui compte poursuivre la multiplication des variétés résistantes. Les efforts conjugués des diverses parties prenantes ont ainsi permis de réhabiliter plus de 7800 hectares en 2022, et comptent permettre l'atteinte de 15.000 hectares en 2023, puis 20.000 hectares en 2024. Dès l'année 2025, 23.000 hectares s'ajouteront chaque année à la superficie globale occupée par cette culture. « Je pense que si nous maintenons la cadence actuelle de travail, nous pourrons atteindre l'objectif (prévu pour 2030) de 130.000 hectares dès