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Ces labos où «Lhandia» renaît de ses cendres
Publié dans La Vie éco le 08 - 01 - 2023

Dans l'une des plateformes de multiplication de l'INRA, la plantation de nouvelles variétés de cactus résistantes à la cochenille est en cours. Immersion.
Lieu : Zemamra, dans la localité de Doukkala, à environ 2h30 de Casablanca. À travers la route nationale, depuis El Jadida, se trouve le premier site de multiplication du cactus. C'est là où tout a commencé. Sur une superficie d'environ 4 hectares s'étalent des centaines de plantations de différents types de cactus, presque déjà matures, de formes variées, avec ou sans épines. Certaines ont même déjà donné les premiers fruits. De quoi redonner espoir aux consommateurs certes, mais surtout aux agriculteurs qui font de cette culture leur gagne-pain quotidien.
Ce fruit bio traditionnel nous a manqué ces trois dernières années, en raison de la propagation de la cochenille qui a détruit toute la superficie du cactus sur son passage. L'insecte parasite a pris ses premiers quartiers en 2014 à Saniat Berguig, commune de la province de Sidi Bennour, où le cactus servait notamment de haie le long des routes, de clôture pour les maisons et de séparation entre les parcelles. Ce redoutable ravageur s'est ainsi propagé petit à petit, se frayant un chemin de région en région, emporté surtout par le vent. Il était tellement tenace que les insecticides utilisés n'ont jamais pu remporter la bataille contre lui. Les agriculteurs n'avaient que leurs yeux pour pleurer. Devant cet état d'urgence, le ministère de l'Agriculture a chargé l'INRA (Institut national de la recherche agronomique) de trouver une solution. C'est ainsi que fut lancé le programme national de plantation et de reconstitution du cactus détruit par la cochenille. Et c'est justement l'objet de cette première plateforme créée au printemps 2017 à Zemamra, appelée chez les professionnels «parc à bois de départ de matériel végétal de cactus».
Pour l'histoire, une équipe multidisciplinaire s'est mise au travail depuis juin 2016. À partir d'une collection nationale de cactus de l'INRA, les chercheurs ont prélevé plusieurs raquettes appartenant à 249 sortes (écotypes) de cactus. Il faut savoir que le Maroc, comme d'autres pays, possède des collections vivantes, pour presque toutes les espèces arboricoles, constituées naturellement à travers des prospections sur le terrain, de collecte de matériel végétal, de caractérisation, de codification et enfin de conservation et de protection à des fins de recherche future.
Que survivent les plus coriaces !
Dans l'objectif de célérité et d'efficience, l'expérience n'a pas démarré dans un laboratoire, mais directement sur le terrain. «Le mode de travail a consisté à planter 747 raquettes à raison de 3 plants par écotype, à les infester par la cochenille pour en déterminer les plus résistantes et éliminer les moins solides», nous raconte Docteur Mohammed Sbaghi, directeur de recherche à l'INRA et coordonnateur national du programme de multiplication du cactus résistant à la cochenille, à qui Aziz Akhannouch, alors ministre de l'Agriculture, a confié cette mission. Un suivi régulier et hebdomadaire a donc été réalisé sur l'ampleur de la contamination. De jour en jour, certaines espèces se sont avérées plus résistantes que d'autres.
Huit variétés ont tenu bon
Ne voulant pas s'arrêter là, les chercheurs ont exercé une pression d'infestation sur les plants ayant affiché un bon degré de résistance, en forçant et répétant leur contamination, question de voir s'ils ont toujours les reins solides pour lutter de manière naturelle contre cette cochenille. « L'opération s'est poursuivie pendant près de 7 mois. Chaque semaine, nous ramenions des raquettes, des haies de cactus infestées adjacentes à la parcelle de l'expérimentation et les mettions à côté des plants les plus coriaces », détaille Dr Sbaghi. Au bout du compte, presque la majorité des écotypes était infestée. Seul un petit lot de plants a survécu, sur lequel d'autres tests ont été réalisés. Au final, huit ont tenu bon face à la cochenille et ils ont ainsi été inscrits au catalogue officiel des espèces et variétés des plantes cultivables au Maroc en tant que variétés résistantes à la cochenille. Variétés de par la taille, le calibrage, le goût, la couleur, le nombre de graines, mais aussi les bienfaits, l'intensité en vitamines, le taux d'huile extraite... Dr Sbaghi tient à préciser: «Les huit variétés de cactus identifiées par la recherche comme résistantes à la cochenille ne sont pas améliorées et ne comportent pas d'OGM».
C'est donc dans ce parc à bois de départ que ces variétés ont été plantées en premier. Une fois les plants se sont bien développés avec une bonne production de raquettes, il a fallu multiplier les plateformes. Entre 2018 et 2021, quelque 11 plateformes ou parcs à bois de pré-base de cactus ont été mis en place, à Tassaout, Afourer, Berkane, Mettouh, Agadir, Meknès, Nador et Deroua.
Multiplication, un spectacle
Comme les cactus plantés à Zemamra étaient déjà multipliés, il fallait prendre la direction d'un autre site pour assister au déroulement de ce processus de multiplication de cactus. Il s'agit de Khmiss Mettouh, petite commune dans la province de Sidi Bennour. Sur ce site, nommé centre de semences pastorales, l'on découvre que 450.000 plantules de cactus sont préparées sur une superficie de 30 hectares.
Le processus est certes long et fastidieux, mais tout aussi intéressant. À l'arrivée, on perçoit plus de 100 ouvriers répartis en plusieurs groupes de 5 à 6 personnes, rassemblés sous des tentes, avec pour chacun une tâche précise. Un peu plus loin, sur un terrain nu rempli de raquettes bien alignées par type de variété, un autre groupe d'individus, au teint bien hâlé, chapeau en paille sur la tête, avec outil tranchant à la main, s'active à découper les raquettes en deux morceaux, quatre, six ou huit, en fonction de la taille de la raquette, et à les étaler séparément pour sécher complètement au soleil. Cette étape prend 15 à 20 jours selon l'intensité de la chaleur.
Les autres groupes, eux, se hâtent, qui pour ramener dans des brouettes les morceaux de raquettes séchées et prêts à la plantation, qui pour préparer les petits sachets pépinière et qui pour mélanger le sable et la tourbe. Le dernier groupe s'occupe de mettre dans ces sachets en plastique les morceaux de raquettes séchées après désinfection. Une ambiance bon enfant, accompagnée de chants, de plaisanteries, de partage de blagues et de badineries, mais avec à chaque fois un rappel à l'ordre lancé par les superviseurs du chantier.
«Lhandia» nouvelle en 2024
Une fois les morceaux de raquettes mis dans des sachets, ils sont répartis sur une autre superficie attenante, au soleil toujours, en attendant leur enracinement et bourgeonnement. Ceux qui ont été plantés il y a environ deux mois ont donné les premiers signes de débourrement. Les jeunes pousses, elles, font face au changement de température et au manque de soleil. «De par sa nature, la culture ne nécessite pas beaucoup d'eau. Quelque 150 à 200 millimètres par an sont suffisants, à raison d'une irrigation une fois par mois. Mais, l'ennemi juré du programme de multiplication de cactus reste la pluie et le froid», explique Dr Sbaghi.
Cette contrainte pouvait être levée simplement par la mise en place de ces cultures sous des serres delta. Mais la mise en place de telles structures nécessite un budget conséquent (environ 1,8 MDH pour ce site uniquement). Toutefois, les morceaux de cactus multipliés à Zemamra sont déposés sous des serres et prennent donc suffisamment de temps pour se développer, de manière homogène, au même moment, sans aucune différence entre les uns et les autres. Quand les morceaux de cactus auront donné une à deux jeunes raquettes, ils sont mis par l'INRA à la disposition du ministère de l'Agriculture et acheminés vers les régions dont les superficies détruites sont à reconstituer.
Toutes prêtes, elles sont destinées à être plantées directement dans les terres des agriculteurs, et la bonne nouvelle, sans débourser aucun sou. C'est le ministère qui prend tout en charge. À cette date, les régions concernées sont Marrakech, Casablanca, Souss-Massa et Guelmim.
Aujourd'hui, tout va pour le mieux et, espérons-le, même pour les années à venir. On devrait accueillir dans les marchés et les grandes surfaces les premiers fruits de ces nouvelles figues de barbarie en 2024 (grandes ou petites, avec ou sans épines, de couleur verte, mauve, rouge vif, blanche, verte à tendance jaune...).
L'INRA est en tout cas conforme au planning de plantation du ministère. Ce sont 1.450 hectares qui ont été plantés en 2021 et, en 2022 et 2023, il va y avoir 6.000 et 15.000 ha respectivement. L'objectif est d'atteindre, dans le cadre de la stratégie Génération Green, une superficie de 120.000 ha en 2030.

L'INRA mène des essais d'amélioration génétique
D'autres démarches ont été entreprises par l'INRA, notamment des recherches d'amélioration génétique. L'institut teste des croisements naturels entre des écotypes sensibles et d'autres résistants en vue de rechercher d'autres nouvelles variétés résilientes. De plus, dans un bâtiment mitoyen à la pépinière et du parc à bois de départ à Zemamra se trouve l'insectarium de recherche sur les bio-agresseurs et la lutte biologique. En plus simple, ce sont des pièces qui abritent, tour à tour, des raquettes toutes remplies de cochenille, du matériel de recherche comme les microscopes, des équipements informatiques… Une autre rassemble quelques grosses boîtes de laboratoire en plastique, contenant plein de prédateurs. Il s'agit de bestioles bénéfiques, natives du Maroc ou introduites de l'étranger, qui pourraient contrôler la cochenille ou d'autres ravageurs. L'INRA est toujours en cours d'étude du phénomène, mais vraisemblablement les premières conclusions sont probantes.


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