Cette période de l'année est propice à la visite du Musée de la Kasbah, anciennement connu sous le nom de « Dar El Makhzen », cette ancienne résidence sultanienne. Retour sur le passé glorieux de ces lieux mythiques. Lors de leurs séjours à Tanger, les Sultans du Maroc coulaient des jours heureux à Dar El Makhzen, un édifice juché sur l'une des collines de la ville, édifié au XVIIème siècle. Du sommet de cette bâtisse, pétrie d'Histoire et de mémoire, l'on peut admirer la Médina ainsi que le célèbre détroit de Gibraltar, un de ses points de repères historiques et géographiques. Ancienne résidence sultanienne, Dar el Makhzen, rebaptisée de nos jours « le Musée de la Kasbah des Cultures », a été construite en 1684 par Ahmed Ben Ali, fils du Caïd Ali Ben Abdellah El Hamani Errifi choisi ad hoc par le Sultan Moulay Ismaïl. Ce fut au lendemain du départ des troupes britanniques de Tanger. L'édifice a fait l'objet de plusieurs rénovations sous les règnes des Sultans Moulay Slimane et Moulay Hassan Ier. Ultérieurement, elle aura servi de demeure au délégué du Sultan sous le Protectorat, de palais de justice et de trésor public. Dès la récupération de l'indépendance, cette agora a été convertie en une merveille muséale qui attire chaque année des milliers de visiteurs et d'amateurs de culture. Ce musée, qui s'inscrit à la croisée des chemins et des cultures, permet de partir à la découverte de la préhistoire marocaine au travers d'une belle mise en scène des civilisations grecque, romaine, phénicienne, berbère et arabe qui ont façonné la Cité antique Tingis, chef-lieu de la province romaine lors de la Maurétanie tingitane. Dans la salle du trésor du Musée de la Kasbah, toutes les ressources générées par les prélèvements obligatoires ont été conservées ainsi qu'un coffre-fort verrouillé par un dispositif ingénieux de l'époque. Au centre de ce temple de l'Histoire se situe la cour qui servait, autrefois, de cour d'honneur. Depuis sa création, Dar El Makhzen a hébergé les grandes personnalités de l'apogée de la ville, à l'époque où les décisions diplomatiques les plus importantes étaient prises à Tanger. Le Pacha de Tanger y a d'ailleurs reçu officiellement Eugène Delacroix. Dès l'entrée du Musée, un splendide jardin andalou, bordé d'arcades ornées de faïences de maîtres artisans marocains, interpelle l'œil et ravit l'esprit. C'est somme toute un lieu féerique qui plonge le visiteur dans le temps des Sultans. Son petit musée vaut également un détour.
Jeter un regard sur Cotta Le Musée abrite des œuvres issues des quatre coins du Maroc, mais aussi des pièces patrimoniales qui font référence à l'Histoire du pays. Tapis, boiseries, armes, vêtements, soieries et manuscrits font l'objet d'une exceptionnelle exposition. Dans la section archéologique du site, il est possible d'admirer des pièces venant des ruines romaines de Volubilis, Cotta et Lixus. Caché au milieu des mosaïques et des sculptures, vous pourrez admirer le patrimoine du pays, fruit d'une longue et fascinante évolution. L'Histoire de la ville de Tanger y est également bien présentée. La pièce qui séduit, le plus du monde, est incontestablement la salle funéraire, qui renferme une réplique d'un tombeau carthaginois. De nos jours, la visite des lieux inclut celle d'un petit palais adjacent au Musée, qui se fait une belle place sous le soleil tangérois. Il s'agit de Dar Ghorfa, qui héberge le musée des antiquités de Tanger. Les objets de la préhistoire et de l'antiquité, que l'on y trouve, donnent une idée plus nette de la différenciation entre les civilisations grecque et romaine, arabe et berbère. Des outils, des cartes, des mosaïques et autres statuettes qui relatent la vie des populations, qui ont vécu ou voyagé à Tanger, sont également à découvrir. La Kasbah concentre sur les hauteurs de la ville ces deux somptueuses demeures dont les vestiges attestent de l'héritage d'une époque que l'on ne peut qualifier que d'épique. A la fin de la visite, il convient de jeter un regard d'adieux sur le splendide panorama du site et redescendre vers la tumultueuse Médina, en ayant pu apprécier le legs de la ville, laquelle il fait bon fouler le sol. Tanger, forte de son passé, de ses acquis et des mille et une péripéties, lesquels font sa splendeur d'aujourd'hui, est une destination à découvrir absolument.
Rétrospective : Quid de l'Etat pré-makhzénien ? Si l'appareil makhzénien, selon sa définition actuelle, remonte à la dynastie saâdienne, à quand remonte donc la création de l'appareil étatique selon la définition constitutionnelle du terme ? Le 5 février 789, un prince arabe de très haute, et pas moins noble lignée, est évincé de Bagdad pour des querelles de palais et des histoires d'héritage. Illico presto, il est reconnu en tant que Sultan par les Berbères de la région de Fès et l'Histoire se souvient encore de son nom qui symbolise la grandeur et la majesté. L'allusion est bien sûr faite à Moulay Idriss Premier, soit le Sultan derrière la naissance du Maroc, deuxième Etat musulman après l'Andalousie à s'émanciper du califat de Bagdad. Ce prince d'Arabie, Chrif et fin connaisseur du Livre saint, s'est donc réfugié dans le Moyen Atlas. Celui qui ne fut autre que le petit-fils d'Ali et de Fatima, la fille du Messager de l'Islam, était zaïdite, du zaïdisme, cette branche du chiisme encore très présente au Yémen. Ce n'est que plus tard que ses descendants se sont ralliés au sunnisme, principale et seule doctrine musulmane en Afrique du Nord. Parallèlement, Idriss 1er est bien accueilli par la tribu berbère des Aouraba, qui vit autour de Volubilis (Oualili en berbère), une cité fondée par les Romains au cœur de la Maurétanie tingitane, sur de riches plateaux céréaliers (près de l'actuelle ville de Meknès). Identifié comme Roi, le nouveau venu rejette l'autorité du calife abbasside de Bagdad et épousa la fille du chef de la tribu. Depuis, le Royaume n'a jamais totalement perdu son indépendance, bien au contraire, il a bien conservé son identité nationale jusqu'à l'écriture de ces lignes. Définition : Le Makhzen... Kézako ? En arabe marocain, le terme «makhzen», littéralement «magasin » et parfois «tente», est couramment employé pour désigner à la fois le gouvernement marocain et, par ricochet, l'administration. Ce mot, aux multiples connotations, renvoie également à cette unité supplétive marocaine, ses combattants, anciennement appelés mokhaznis, qui vivaient généralement en famille sous des tentes, non loin de leur lieu de travail, ou du poste auquel ils étaient assignés. Ils pouvaient être employés à pied ou à cheval et faisaient office de police. Avant le protectorat, le makhzen désignait exclusivement le gouvernement du souverain. A l'origine, le terme signifiait les abris où le pouvoir saâdien emmagasinait les denrées alimentaires de base. Ce fut essentiellement le cas pour le blé et l'orge, alors disponibles en grandes quantités. Le fait de les stocker aussi soigneusement se faisait en guise de prévision des grandes famines ou des catastrophes quelles qu'elles soient. Par extension, les Marocains d'alors ont appris à associer ce même terme aux responsables de ces lieux de stockage à proprement parler et à ceux chargés de leur distribution. L'utilisation du mot pour faire allusion à l'appareil d'Etat plonge ses racines loin dans la période almoravide, soit du XIème au XIIème siècles, usage qui s'est maintenu au fil des dynasties qui se sont succédé à la tête du pays.
Le Makhzen a réformé ses structures administratives sous le Sultan saâdien Ahmed al-Mansour, lequel s'est inspiré du modèle ottoman. Rappelons que l'organisation étatique de l'Empire ottoman était fondée sur un gouvernement extrêmement centralisé, le sultan étant le chef suprême, à la fois civil, militaire et religieux (Commandeur des croyants), qui contrôlait effectivement les provinces, les sujets et les fonctionnaires.
Dès le XVIIème siècle, le Makhzen s'appuie principalement sur des familles arabo-andalouses ou sur l'aristocratie religieuse (chorfas) des principales villes du Maroc, telles que Fès, Rabat, Salé et Marrakech. De nos jours, le nom officiel du makhzen se limite à la définition de certaines brigades (makhzen administratif, makhzen mobile, makhzen mécanisé, etc.) des Forces auxiliaires, un corps paramilitaire dépendant du ministère de l'Intérieur. Depuis le recouvrement de l'Indépendance et la création d'institutions modernes, l'institution traditionnelle du makhzen a, en principe, cessé d'exister. Cependant, la quasi-totalité des personnes qui utilisent ce dernier se réfère à l'appareil d'Etat marocain.
Zoom-arrière : Ahmed le Victorieux, Ahmed le Makhzénien Ahmed Al-Mansour est né en 1549 à Fès. Il est le fils de Mohammed Cheikh, le Sultan saâdien qui l'a précédé. Il bénéficia d'une éducation complète, y compris l'étude du Coran et des sciences, et est entraîné à l'art militaire, ce qui lui confère des qualités de chef suprême et de stratège militaire. Il est chassé du palais à l'âge de 8 ans en raison de la lutte de pouvoir entre son père Mohammed Cheikh et son oncle Ahmed al-Araj, et trouva refuge à Sijilmassa, puis dans la régence d'Alger, jusqu'à son retour avec son frère Abou Marwan Abd al-Malik en 1574. En 1578, il accéda au pouvoir après la mort de son frère Abu Marwan Abd al-Malik lors de la bataille de Wadi Al Makhazin (connue sous le nom de bataille des Trois Rois) contre les Portugais, et c'est grâce à cette victoire qu'il gagna le surnom Al-Mansour, qui signifie le Victorieux. Sa richesse lui permit de construire le palais d'El Badi, en recourant aux matériaux les plus précieux d'Europe, d'Asie et d'Afrique, véritable palais de réceptions luxueuses, sur le modèle des résidences royales de l'Andalousie musulmane. Il a accueilli des ambassades, essentiellement d'Espagne, d'Angleterre, de France et de l'Empire ottoman. Sur le plan de l'organisation politique, le Sultanat saâdien n'a pas instauré de grand vizir comme la sublime porte ottomane, mais le «Vizir al-Qalam » (ministre de la plume), chargé de la gestion de la correspondance d'Etat, avait une fonction équivalente. Quant au hajib, c'est-à-dire le chambellan, il a pu voir son rôle s'accroître au sein du palais avec l'introduction d'un protocole raffiné d'origine turque inspiré de Topkapi. Du point de vue administratif, le makhzen saâdien nomma des pachas et des beys à la tête des provinces. À Fès, deuxième ville du pays, le Sultan est accompagné d'un vice-roi à qui il a délégué des pouvoirs considérables, le khalifa. Les garnisons, constituées d'éléments étrangers (principalement des renégats et des Andalous) et marocains, avaient la double fonction de maintenir l'ordre et d'assister les gouverneurs dans la collecte des impôts. Histoire : Le Makhzen à l'ère de Bonaparte À son arrivée au pouvoir, Bonaparte n'est pas méconnu des autorités marocaines, qui ont suivi attentivement et de très près la campagne d'Egypte. À cette occasion, les représentants de la France et de l'Angleterre s'étaient livrés à une véritable course à la propagande. Les premiers font traduire les déclarations pro-islamiques du général en chef de l'armée d'Orient et les articles du Moniteur vantant ses exploits. Le second met en garde le Makhzen contre un supposé plan français visant à s'emparer de toute la côte maghrébine. Au milieu de tout ceci, Moulay Slimane demeura silencieux mais resta prudent, d'autant que Bonaparte multiplie les bonnes manières à l'égard de ses sujets. La libération des esclaves de Malte, dont de nombreux Marocains, est très appréciée, de même que les mesures prises par le général pour permettre au frère du Sultan de rentrer de La Mecque par la mer et la protection spéciale accordée aux pèlerins marocains. Selon Mathieu de Lesseps, le Sultan « ne cessa de manifester la plus grande admiration pour le héros qui venait de conquérir l'Egypte ». Cela dit et écrit, Moulay Slimane est resté impartial dans les différends européens. Au mieux, quelques navires marocains apporteront du ravitaillement à Alexandrie dans les années qui suivent, mais il s'agit plus d'une affaire commerciale que politique. Après Brumaire, Moulay Slimane refusa de conclure avec la France une alliance explicite et exclusive.