Une vision intégrée et cohérente est essentielle pour améliorer l'efficacité et la prévisibilité des mesures politiques, notamment en termes de comportement des travailleurs et des entreprises. Ceci contribuerait à minimiser les résultats involontaires et souvent indésirables, tels que l'informalité, qui peuvent résulter d'une politique inappropriée ou inadaptée. L'informel ou l'emploi au noir reste toujours d'actualité. Il ne pouvait en être autrement quand on sait que le chômage des jeunes a augmenté de 2,9 points de pourcentage, passant de 20% en 2000 à 22,9% en 2022, comme le souligne le Haut Commissariat au Plan (HCP) dans une récente enquête. C'est dans ce contexte que le rapport d'Ahmed Ouhnini et de Hamza Saoudi, tous deux économistes au Policy Center for the New South (PCNS), trouve toute son importance. Pour ces experts, le secteur informel est une composante essentielle de l'économie marocaine, employant une large partie de la population, mais nuisant à la productivité, aux recettes fiscales de l'Etat et à la croissance économique à long terme. Ainsi, sur la base de la définition adoptée dans cette étude qui définit les travailleurs informels comme étant ceux qui ne sont pas couverts par les régimes contributifs de sécurité sociale de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS), le taux d'emploi informel représente près de 77% de l'emploi total. Dans leur étude, Ahmed Ounini et Hamza Saoudi révèlent que le poids important de ce secteur est une question préoccupante pour l'économie marocaine. En effet, ce niveau élevé de l'informel présente plusieurs inconvénients, tant pour les travailleurs (précarité et insécurité de l'emploi, bas salaires, mauvaises conditions de travail, faibles perspectives d'évolution et de développement de carrière...) que pour l'Etat (pertes en termes de recettes fiscales). Pire, l'informel affecte également le tissu économique en raison de ses effets négatifs sur la productivité et de la concurrence déloyale qu'il permet vis-à-vis du secteur formel et aussi ses effets négatifs sur la compétitivité. Cependant, reconnaissent-ils, le secteur informel n'est pas uniquement un facteur pénalisant la croissance économique, mais c'est aussi un filet de sécurité sociale et une source importante de revenus pour un grand nombre de familles et de travailleurs qui rencontrent des difficultés à trouver un emploi dans l'économie formelle.
Transition graduelle À cet effet, lit-on dans ce document, il est crucial de tenir compte de cette réalité lors de l'élaboration de toute politique publique visant à assurer la transition graduelle de l'économie informelle vers l'économie formelle. Dans cette optique, les deux auteurs rappellent que la croissance économique au Maroc ne peut, à elle seule, éradiquer l'emploi informel dans quelques décennies. Bien que le PIB ait plus que doublé sur la période 2000-2018, la réduction de l'informalité n'a été que d'environ 8 points de pourcentage de PIB. Dans ce cadre, ils font remarquer que la part de l'emploi informel dans l'emploi total sur la période 2000-2018 n'a que légèrement diminué, de près de 8 points de PIB, ce qui représente une baisse annuelle moyenne d'environ 0,64%. Une telle baisse s'est produite au cours d'une période caractérisée par un dynamisme soutenu de la croissance économique, d'environ 4,3% par an en moyenne, et par une croissance moyenne du PIB par habitant de 3%. Mais depuis la crise sanitaire, liée au Coronavirus, l'informel est reparti à la hausse. Aujourd'hui, plusieurs facteurs peuvent encourager ou causer l'expansion de l'économie informelle, notamment le faible dynamisme du secteur privé qui n'arrive pas à absorber à la fois quantitativement et qualitativement les nouveaux arrivants sur le marché du travail et peut conduire par conséquent plusieurs travailleurs à se tourner vers le secteur informel. D'après cet autre économiste, la structure économique actuelle n'est pas en mesure d'absorber les centaines de milliers de nouveaux arrivants chaque année sur le marché du travail. D'ailleurs, des études montrent que les politiques visant à flexibiliser le marché du travail ou à réduire le coût de la formalisation peuvent stimuler l'emploi dans l'économie formelle, tandis que d'autres mettent l'accent sur le rôle important de renforcement des dispositifs de contrôle de l'Etat pour réduire le poids de l'informel.
Système de protection sociale Il y a de cela cinq ans, le taux d'informalité global au Maroc s'élevait à 77,2% et le taux d'informalité hors travailleurs du secteur public était de 84,3%. L'informalité au Maroc résulte en partie d'une conception juridique et en partie d'une faible application de la loi et de fortes incitations à la contourner parmi les entreprises. Selon les données de l'enquête emploi, à ce sujet, il convient de souligner qu'il existe une forte prépondérance de travailleurs indépendants et d'aides familiaux dans la population active occupée totale dans le secteur privé, représentant près de 49%, contre 43% des travailleurs salariés dans le secteur privé, et environ 8,5% de la population active sont employés dans le secteur public. Nos deux experts s'accordent à dire que le secteur informel joue un rôle crucial dans le développement économique et social du pays, en tant que filet de sécurité sociale pour de nombreux travailleurs. Cependant, font-ils remarquer, sa concentration dans de petites entreprises dépourvues de moyens de production innovants et sophistiqués peut avoir des implications négatives sur la croissance à long terme, piégeant le Maroc dans un équilibre sous-optimal. Mais force est de constater que de multiples réformes sociales ont été menées, ces dernières années, au Maroc, notamment la réforme ambitieuse de la protection sociale visant à étendre la couverture sociale à tous les citoyens d'ici 2025. Et les mesures proposées, dans ce sens, impliqueraient un changement vers un système de protection sociale plus inclusif, basé sur les principes d'universalité et d'égalité des prestations, afin de remplacer la segmentation actuelle des systèmes de protection sociale et la couverture inégale des travailleurs et des familles. In fine, une vision intégrée et cohérente est essentielle pour améliorer l'efficacité et la prévisibilité des mesures politiques, notamment en termes de comportement des travailleurs et des entreprises. Ceci contribuerait à minimiser les résultats involontaires et souvent indésirables, tels que l'informalité, qui peuvent résulter d'une politique inappropriée ou inadaptée. C'est la clef de voûte pour combattre efficacement l'informel.
Bon à savoir Selon le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), l'économie informelle « au sens large » demeure un phénomène persistant et préoccupant, pesant jusqu'à 30% du PIB, d'après les dernières données de Bank Al-Maghrib (BAM) datant de 2018. Les institutions nationales et internationales estiment qu'entre 60% à 80% de la population active occupée au Maroc exercent une activité informelle. Dans un avis, le CESE affirme que l'économie informelle, dans son acception la plus large, est plurielle étant donné la multiplicité des catégories qu'elle renferme. Il est à préciser, néanmoins, que ce sont les formes « hors informel de subsistance » qui constituent la véritable menace pour le pays, à l'image de la contrebande, des activités souterraines des entreprises « formelles » (sous-déclaration du chiffre d'affaires ou des employés, etc.). Il en est de même pour l'informel « concurrentiel » au niveau duquel les opérateurs se soustraient délibérément de leurs obligations bien qu'ils disposent des ressources et des structures nécessaires pour s'en acquitter.