Dans les villes du Nord du Maroc, la fin de la contrebande avec Sebta a un impact réel sur la vie des populations. Les produits espagnols y sont toujours présents, mais se vendent plus chers en raison de l'instauration de taxes douanières. L'Etat marocain a pris le problème a bras le corps et mis en branle une véritable politique d'accompagnement. Reportage à Fnideq, où les produits espagnols ont encore la cote. En cet été caniculaire, c'est la période la plus bruyante dans tout le Nord du Maroc. Cette haute saison de fréquentation touristique donne de la vie à des villes habituellement très calmes, à l'image de M'diq, Cabo Negro, ou encore Fnideq. Cette dernière, située à quelques encablures de Sebta, est traditionnellement très prisée pour ses belles plages et sa très longue corniche. Mais pas que ! En face de la grande Mosquée Mohammed V de cette paisible ville se trouve le principal marché, où convergent les acheteurs venus de différentes régions du Royaume, particulièrement des villes environnantes du Nord. « Nous sommes venus de Tanger pour faire nos courses ici, car les produits sont habituellement moins chers comparés à ce que nous achetons ailleurs », nous dit un couple rencontré dans la Kissariat, aux environs de Souk Al Bahr. Sauf qu'à leur grande surprise, après avoir rempli leur panier de produits alimentaires, cosmétiques, ou encore d'hygiène pour la maison, nos interlocuteurs se rendent compte que les produits sont devenus beaucoup plus chers que d'habitude. Ce qui les a obligés, sous nos yeux, à réduire leurs achats.
Produits plus chers
« Depuis la fermeture de Bab Sebta, il y a deux ans, nous sommes confrontés à une hausse des prix des produits que nous vendons. Désormais, ça ne nous provient plus directement de Sebta, mais nous les importons par bateau depuis Casablanca ou le port Tanger Med. C'est un coup dur pour nous », lance Ahmed, commerçant, tenant sa machine de calcul à la main. Lui, à l'instar de l'ensemble des vendeurs ici, vivaient de la contrebande des produits espagnols qui affluaient quotidiennement depuis la ville de Sebta, transportés par les « femmes-mulets ». Ce spectacle qui heurtait la conscience et indisposait les autorités marocaines, était source de revenus pour la quasi-totalité des familles de Fnideq et de ses environs. Ce n'est plus le cas. Le transport par bateau et les taxes qui s'appliquent à l'importation ont renchéri les produits de Fnideq autrefois bon marché. Mais ici, on s'attache aux marchandises des voisins espagnols, qui sont par la suite distribuées dans presque tous les marchés des villes du Nord, à l'image de Tanger, Tétouan, Martil, Cabo Negro et M'diq. Malgré leur cherté, ces produits sont encore prisés par certains acheteurs. Interrogé sur cet attachement, l'économiste et professeur à l'Ecole nationale de commerce et gestion de Tanger, Nabil Jedlane, estime qu'« il faut mener une étude sociologique pour comprendre et mesurer ce phénomène ». Mesures difficiles
D'ailleurs, avec la réouverture des postes frontaliers avec Sebta, ce ne sont pas uniquement des habitants du Nord qui se déplacent pour aller s'approvisionner sur place. « Mes vacances estivales sont l'occasion d'aller acheter des habits pour mes enfants et ma famille à Sebta. C'est moins cher et la qualité est meilleure », nous dit une jeune dame casablancaise, pour laquelle Fnideq n'est qu'une étape tapon pour mesurer les avantages du marché espagnol, qui déverse généreusement sa production dans les présides occupés du Nord du Maroc. Pour les autorités marocaines en tout cas, les mesures difficiles qui ont favorisé la fin de cette contrebande ont ramené de l'ordre sur de nombreux plans dans ces zones. D'ailleurs, selon les services de l'Administration des douanes, le durcissement des sanctions à l'encontre des fraudeurs ont eu un effet dissuasif sur les activités de contrebande. Ce qui s'est traduit par des recettes douanières en hausse de plus de 4 milliards de dirhams dès la première année. Zones économiques
Les autorités marocaines ont également lancé plusieurs « Plans B » afin de soutenir économiquement les populations impactées par la fin de cette contrebande. C'est ainsi que dès les premiers mois après la fin de ces activités irrégulières, pas moins de 565 nouvelles sociétés sises à Nador et 147 installées dans les environs de Tétouan-Fnideq ont démarré leurs activités d'importation, informe la Douane. Cela, à travers aussi l'installation de nouvelles zones d'activités économiques, qui commencent à donner leurs fruits.
3 questions à Nabil Jedlane « Avec la fin de la contrebande, il faut que le social prenne le relais » Avec l'ouverture des zones franches et la création d'emplois pour les jeunes, Nabil Jedlane, économiste et professeur à l'Ecole nationale de commerce et gestion de Tanger, estime que les régions du Nord commencent progressivement à récolter les fruits de la fin de la contrebande.
Comment jugez-vous la situation depuis la fin de la contrebande avec Bab Sebta ? Il faut dire que c'est un couteau à double tranchant. Dans le court terme, il fallait gérer la crise sociale que cela a entraînée, mais dans le long terme c'est très positif, car on voit une industrie de substitution s'installer progressivement. Pour ce qui concerne les produits espagnols proprement dits, il y avait un problème de qualité à vrai dire. Car ils ne sont pas contrôlés par des services autorisés. Il ne faut pas oublier qu'il y avait des magasins spéciaux pour alimenter le marché marocain, installés tout près des postes frontaliers. Même si les gens aimaient ces produits, leur qualité et leur répercussion sur la santé sont à questionner. Enfin, l'autre constat qu'il faut faire est qu'avec la fin de cette contrebande, l'Etat marocain parvient non seulement à réaliser des recettes douanières, mais contrôle mieux ce qui entre sur son territoire. Cette augmentation des prix est largement compensée par les autres aspects positifs.
Comment réussir, de façon durable, l'insertion économique des populations avec la nouvelle donne actuelle ? Je pense qu'il faut mener une étude sociologique de la région pour pouvoir répondre à cette question. Il y a des jeunes qui sont faciles à former et leur réinsertion est possible à travers la formation et la dynamique économique que connaît la région. Par contre, pour les personnes âgées, la réinsertion posera problème. Sachant qu'elles étaient nombreuses à mener ces activités, il faut que le social prenne le relais. L'élargissement de la couverture sociale est une bonne chose. Il faudrait leur trouver en plus d'autres sources de revenus.
Pensez-vous que les zones franches et l'installation de grandes enseignes ont-elles un impact auprès de ces populations ?
Dans un premier temps, je ne le pense pas vraiment. Car elles viennent mener des activités que ces populations faisaient elles-mêmes. Mais au fur et à mesure, elles finiront par s'adapter, surtout du moment que les régions commencent à récolter les fruits de la nouvelle stratégie en termes d'emplois et d'insertion des jeunes.
Développement du Nord : Le coup de pouce du cannabis La légalisation de l'usage du cannabis à des fins médicales et thérapeutiques fait l'affaire des villes du Nord du Maroc. Al Hoceima, Chefchaouen et Taounate font en effet partie des zones dans lesquelles il est permis d'autoriser les activités liées à la culture, à la production, à l'implantation et à l'exploitation du cannabis. Ce qui va, à coup sûr, contribuer au développement de ces régions si toutefois les retombées de cette culture se font voir un jour. Pour l'heure, rien n'a véritablement commencé officiellement. Mais, il faut noter que selon les données du ministère de l'Intérieur, le nombre d'habitants concernés par la culture illégale du cannabis au Maroc est estimé à 400.000 personnes, soit près de 60.000 familles, résidant en majorité dans le Nord. Avec sa légalisation, le revenu net annuel du cannabis à usage médical pourrait avoisiner les 110.000 DH par hectare, soit une amélioration d'environ 40% par rapport aux recettes actuelles.
L'info...Graphie Tanger-Tétouan-Al Hoceima : 53 milliards de dirhams d'investissements Durant l'année 2022, les services du Centre régional des investissements de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (TTA) indiquent avoir accompagné le dépôt de 1.100 dossiers d'investissement représentant environ 15% des dossiers déposés au niveau national. Pour sa part, la Commission régionale unifiée d'investissement (CRUI) de la région a approuvé 508 projets, soit 63% des projets examinés durant cette période (en dessus de la moyenne nationale), avec une progression de 65% par rapport à l'année 2021. Et ce, pour un montant global de plus de 53 milliards de dirhams et plus de 90.000 nouveaux emplois stables attendus à terme. Ces indicateurs hissent la région TTA au premier rang au niveau national en termes de nombres de dossiers reçus et instruits favorablement par la CRUI. La diversité sectorielle qui caractérise la région est bien apparente dans la nature des projets approuvés par la CRUI au titre de cette période. Ainsi, et au-delà des projets industriels qui réconfortent la région en tant que deuxième pôle industriel dans le Royaume (avec 43% des projets approuvés), c'est le secteur des services qui a connu une montée considérable (avec une part de 19% des projets approuvés) notamment les services liés à l'industrie et à la logistique qui ne cessent de se développer pour accompagner la dynamique et la croissance économique de la région. En troisième position, le secteur du tourisme continue à attiser l'intérêt des investisseurs et les enseignes marocaines et étrangères (avec 14% des projets approuvés, pour un montant d'investissement de plus de 3,9 milliards de dirhams et environ 2.600 emplois).