Devant moi, dans ma rue, j'ai vu un homme rouler dans le sens interdit sur une grosse moto! D'abord c'est son attitude qui a attiré mon attention. Il avait l'arrogance d'un dictateur, celui qui promettait aux rebelles de les pourchasser « Zanga, Zanga.. » (rue par rue). « Pourquoi cet homme se prend-il pour Kaddafi? » Ai-je demandé au concierge de l'immeuble en face. Avec le sourire, il me lance sa réponse, toute prête comme une évidence « Parce que c'est le Mokaddem ». Ma réplique n'était pas moins prête, comme un rappel « Rouler dans le sens contraire à la loi, même le roi ne le ferait pas ». Mais on ne demandera pas à sa Majesté d'être partout pour faire régner l'ordre, jusqu'à rappeler à un Mokaddem que sa fonction première est d'être les yeux de l'état quand certaines lois ne sont pas respectées. Ce Mokaddem qui vient de violer en plein jour une règle importante du code de la route se croit apparemment au-dessus de la loi! Qui va le rappeler à l'ordre ? Il ignore sans doute que l'article 28 de notre constitution de 2011 donne aux citoyens le droit d'exprimer et de diffuser librement les informations, les idées et les opinions. Mon métier est de poser des questions avant de diffuser des informations ! « Si ce Mokaddem est capable ouvertement d'un tel affront à la loi, de quelles autres injustices est-il capable ? ». Devant ma question, le sourire du concierge en disait long. Mais aucun mot n'est sorti de sa bouche. « Mais, à quoi sert-il ce Mokaddem dans un quartier aussi important que Hassan, dans une ville aussi capitale que Rabat, à part rouler dans un sens interdit? ». Le sourire du concierge s'est mué en un grand éclat de rire! Traduit en mots, la réaction du concierge se résume ainsi « Tu sais que je sais et je sais que tu sais »! Certaines cultures, plus que d'autres, ont intégrer cette caractéristique dans l'art de communiquer sans rien dire. Tout le monde sait et tout le monde fait semblant de ne pas savoir! De ce concierge, je n'obtiendrais désormais aucune réponse. Il sait que je suis journaliste et moi je sais qu'il est l'informateur caché du Mokaddem. Mais il a beau tout savoir ce Mokaddem sur les habitants du quartier, grâce notamment à ces informateurs concierges, sait-il qu'il il est lui-même un objet d'observation? Sans attendre sa réponse, je dis au concierge « Imagine si je publie dans les réseaux sociaux une vidéo de ce Mokaddem en train de rouler dans le sens interdit! ». Soudain, le sourire du concierge a disparu! Je n'ai aucune attention de publier la vidéo du Mokaddem roulant en sens interdit. Une information qui ne servira à rien sinon à faire rigoler des citoyens qui savent déjà tout l'abus de pouvoir dont sont capables certains auxiliaires d'agent d'autorité, au sein de l'administration territoriale. S'il fallait répertorier tous les témoignages de citoyens marocains sur les comportements de certains Mokaddems...! Ils savent que cette fonction est un héritage des temps anciens. Mais la plupart des citoyens ignorent comment elle est née? Le terme Mokaddem (celui qui avance) désigne celui que les membres d'une tribus ont choisi (ont fait avancer) pour exprimer leurs doléances auprès du Caïd, agent d'autorité de l'état. Mais avec le temps, la fonction du Mokaddem a complètement changé de sens. Elle a été récupéré par le pouvoir étatique pour en faire un de ses supports. Désormais, le Mokaddem ne représente plus les membres d'une communauté, il est devenu plutôt un auxiliaire d'une chaîne d'agents d'autorité, le Caïd, le Bacha, le Wali.. Depuis très longtemps, le Mokaddem n'est plus perçu par les citoyens comme un des leurs dont la fonction est de les représenter auprès des autorités locales. Faute de pouvoir réhabiliter la fonction originelle du Mokaddem, les citoyens la supportent. Ils font avec! Si le Mokaddem représente l'autorité son statut statut ne jouit pas d'une reconnaissance officielle au même titre que n'importe quel fonctionnaire du ministère de l'intérieur. Son salaire est dérisoire. Le Mokaddem demeure une sorte de sous-fonctionnaire, le plus humilié de l'état. Avec le temps, certains parmi eux, ont adopté l'humiliation comme faisant partie de leur définition de tâches. Une mince revanche sur l'humiliation dont ils sont eux-mêmes victimes. Dans un article de Libération publié en 2011, un Mokaddem mécontent de ces conditions de travail a déclaré ceci: «Quand on est sous payés, maltraités et obligés de faire des actes illégaux parfois, il faut s'attendre à tous les malheurs du monde, y compris le mépris des gens». Depuis une vingtaine d'années, les Mokaddem ont multiplié les grèves pour réclamer de meilleures conditions de travail et une définition de tâches moins ambigüe. Les Mokaddems de Casablanca n'ont rien vu venir des actes terroristes du 16 mai 2003 considérées comme le 11 septembre marocain. Depuis, leur avenir est incertain. Si le Maroc aspire à la modernité et la démocratie, la fonction de Mokaddem, est appelé tôt ou tard à disparaître. Par contre, les hommes qui occupent cette fonction ne devraient-ils pas être placés dans des fonctions plus utiles ou ils seront mieux payés et mieux respectés ? J'ai été témoin du comportement d'un Mokaddem qui roule dans un sens interdit, si cela fait sourire un concierge, moi ça ne me fait pas sourire du tout!