Les bons résultats du jeune sélectionneur de l'équipe nationale de football électronique font parler de lui. Pour la deuxième année consécutive, son équipe est qualifiée pour la Coupe du Monde du jeu FIFAe Nations Cup. De tels résultats, aussi probants soient-ils, ne reflètent pas, néanmoins, la réalité de l'écosystème e-sportif FIFA au Maroc. -Vous êtes sélectionneur de l'équipe nationale de football électronique. Pouvez-vous vous présenter brièvement en vue de vous connaître davantage ? Comment êtes-vous rentré dans l'eSport ? -Natif de Casablanca, j'habite actuellement à Paris où je travaille dans le domaine de la finance. J'ai débuté l'eSport en 2010, soit 13 ans déjà ! Lors de mes débuts, j'ai été captivé par le jeu Counter-Strike, jeu le plus populaire du Maroc à l'époque, et qui se jouait en équipe à 5 contre 5. Je jouais énormément sur internet depuis chez moi, j'ai découvert d'autres personnes aussi passionnées que moi et nous avons créé une équipe du nom de fiveasone. On se retrouvera plusieurs fois en LAN, manière très courante dans l'eSport de dire en présentiel. Il s'en suivra plusieurs entraînements ou bootcamps, des compétitions, des échecs et des succès, mais surtout la compétitivité du monde de l'eSport qui m'envoûtera à tout jamais ! Mes anciens « teammates » sont aujourd'hui comme ma deuxième famille. J'ai commencé en FIFA lors de l'opus FIFA13. Je jouais énormément à CS et aussi à FIFA. Sur FIFA, j'ai fait de bons résultats en me classant dans le leaderboard mondial à plusieurs reprises. La Fédération Royale Marocaine des Jeux Electroniques (FRMJE) m'a proposé le poste de sélectionneur national FIFAe. J'ai accepté de la manière la plus instantanée qui soit ! Représenter sa nation à l'âge de 25 ans...C'est un honneur qu'aucun jeune ne pourrait refuser ! Je remercie la FRMJE pour cette opportunité qu'elle m'a donnée, c'est un rêve devenu réalité. -L'équipe nationale de FIFA23 a été couronnée championne de la région Afrique et Moyen-Orient le 22 mai dernier. En termes de coaching, racontez-nous comment entraînez-vous les joueurs pour atteindre cet objectif ? -Effectivement, il s'agit du premier trophée de l'Histoire du Maroc dans l'eSport dans la région Afrique et Moyen-Orient, c'est une réalisation historique surtout en l'espace de deux ans, c'est du jamais vu ! Nous en sommes très fiers. La compétition se joue en 2vs2, je me dois de trouver la paire avec la meilleure cohésion possible. En effet, mon but est de trouver deux individualités capables d'entreprendre la création d'une seule et même compréhension du jeu. Cela permet aux joueurs de parler le même langage footballistique dans le jeu. D'autre part, j'analyse énormément le jeu de notre duo, j'essaye de mettre en place différentes tactiques qui peuvent répondre à différents scénarios de match. Un autre point capital est celui de pouvoir utiliser nos individualités et leurs atouts propres dans les bonnes zones du terrain. Nous faisons énormément de séances d'entraînements pour mettre en place des phases de jeu nous permettant de faire le moins d'erreurs possibles. On s'entraîne aussi à mesurer le risque à prendre selon le scénario de la situation à l'instant T du match. Il est important d'être flexible pour gagner dans un match à très haut niveau sur FIFA. -Vous avez participé au tournoi depuis Abu Dhabi, point proche des serveurs du jeu basés à Dubai et Manama. A quel point les coupures d'Internet peuvent affecter le jeu et les scores ? -La FRMJE nous a toujours fourni la meilleure logistique possible. L'accompagnement par notre fédération est un élément incontournable dans le succès de cette équipe nationale. Le fait de se déplacer et de jouer dans les meilleures conditions est un must, selon moi, pour obtenir ces résultats. Il est tout à fait impossible d'envisager de jouer du Maroc car le serveur qui se trouve à Dubai ou Manama est à des milliers de kilomètres. Il n'y aura aucun jeu, les microcoupures que l'on va subir seront fatales. Il est impossible de gagner un match dans des conditions pareilles. Heureusement que la FRMJE nous a toujours soutenus avec tout le nécessaire. -Pour la deuxième année consécutive, l'équipe nationale est qualifiée pour la Coupe du Monde du jeu FIFAe Nations Cup. Quelle est votre stratégie pour remporter ce titre ? -Nous sommes la seule nation de toute la région ayant fait cet exploit. Rappelons que dans notre région, il ya un champion du monde et plusieurs joueurs de classe mondiale. Le fait d'avoir réussi à faire cela deux années de suite est une preuve du niveau que l'on peut atteindre au top de notre forme. La compétition sera mentale. En effet, la phase finale se joue au mental, il faut être capable de déployer toute son armada dans un environnement très hostile. Pour cela, on doit respecter notre Histoire, on doit respecter tout ce qu'on a fait pour être le numéro 17 mondial, numéro 1 en Afrique, numéro 1 au Moyen Orient et champion de notre zone. Il est très important de respecter son Histoire et d'être prêt à en découdre. Nous devons croire en nous, en notre travail, notre identité et notre passion pour notre pays ; ils seront nos meilleurs atouts à la Coupe du Monde. « Ndiro Niya », nous allons tout donner pour rendre tout le monde fier de nous ! -Comment évaluez-vous le niveau du Maroc au sein de la FIFAe ? -Le Maroc est classé 17ème mondial et meilleur pays à l'échelle de l'Afrique et du Moyen Orient. Nous sommes aussi le seul pays qui a réussi à se qualifier deux fois de suite à la Coupe du Monde. Je pense que le niveau du Maroc au sein de la FIFAe est très bon, nous représentons notre pays de la meilleure des manières. Néanmoins, il faut rester ambitieux et travailler pour concrétiser son ambition. Le Maroc est un pays qui cherche à aller au-delà de participer, le Maroc est un pays qui veut gagner et qui le mérite. Personne n'aurait jamais parlé d'un scénario où le Maroc serait champion du Moyen Orient et d'Afrique en l'espace de deux ans, mais nous l'avons fait. La jeunesse marocaine doit développer une mentalité faite pour gagner des titres. Nous ferons tout pour concrétiser cela. -Que faut-il développer sur la scène marocaine ? -Pour le moment, la scène marocaine a besoin d'énormément d'investissements. En effet, la FRMJE fait un travail remarquable par rapport à l'équipe nationale, les résultats atteints en deux années d'existence peuvent en témoigner.Néanmoins, nous n'avons pas de ligue, pas de structures professionnelles, à part la MDJS esport qui compte 4 joueurs dans ses rangs, pas de clubs, pas de coupes... Nous avons une communauté extrêmement passionnée, mais l'écosystème est inexistant. Autre point noir : le processus d'éligibilité. Pour expliquer brièvement, l'éligibilité est ce qui permet de dire si un pays peut participer aux circuits professionnels internationaux et régionaux du jeu FIFAe. Cette éligibilité est donnée par EA (Electronic Arts), l'éditeur du jeu vidéo nommé FIFAe. Vu que nous ne sommes pas éligibles, pour des raisons qui demeurent inconnues du grand public, nos joueurs ne participent à aucun circuit professionnel !! Le seul circuit où le Maroc est présent, c'est bel et bien la eNations. Dans ce circuit, nous affrontons des nations éligibles avec des clubs, des structures, des joueurs professionnels... Le Maroc arrive à battre toutes ces nations avec des étudiants passionnés par FIFAe. Les joueurs marocains participent à des tournois communautaires, ces tournois ne sont pas compétitifs. Ils ne sont même pas sur le mode principal de la compétition (FIFA Ultimate Team). Le seul vrai tournoi que l'on a eu était en 2022, le fameux ekoora organisé par la FRMJE. C'est le seul tournoi dans toute l'Histoire de FIFA au Maroc qui a atteint un niveau international. Il se peut que vous soyez étonné, nous sommes la meilleure équipe de la région, le top 17 mondial et nous n'avons aucun écosystème esportif FIFA au Maroc... Voilà à quel point le Maroc regorge de talents et c'est pour cela qu'il faut investir et créer l'écosystème esportif qui va permettre de professionnaliser les joueurs. -Localement, des clubs commencent à investir dans l'eSport ? Est-ce une question de sponsoring ? -Malheureusement, nous n'avons toujours pas aperçu le moindre mouvement des clubs dans l'esport. Je ne saurais pas vous dire la raison pour laquelle il n'y a aucun investissement de fait. Les clubs sont absolument nécessaires dans l'écosystème. -La Fédération affiche sa volonté de faire du eSport un levier de développement au Maroc. Pensez-vous que le gaming a un avenir prometteur au Royaume ? -Le Maroc possède une communauté exceptionnelle. Nous avons énormément de joueurs talentueux, même par le passé et avant la naissance de la FRMJE, le Maroc regorgeait de talents exceptionnels. La qualification du Maroc à l'ESWC 2004 et 2006 (Electronics Sports World Cup), jadis la Coupe du Monde des jeux électroniques, est une simple illustration du vivier de talents qu'est le Maroc. La FRMJE doit être soutenue dans sa mission, je suis certain que dans un écosystème permettant de maximiser le potentiel des joueurs, le Maroc serait l'une des plus grandes nations du monde dans l'esport ! Le grand public est ignorant de cela car le domaine du gaming et de l'esport est peu visible. Il faut avoir plus d'estrade pour que l'on puisse exposer tous les résultats de nos gamers ! Nous autres joueurs, faisons notre maximum pour être dignes d'investissement. Ma philosophie à moi est que pour nous différencier des autres, nous devons être obnubilés par la gloire, nous devons gagner des titres pour notre nation et tout faire pour que le drapeau du Maroc soit hissé au plus haut degré. C'est ce que je transmets à mes joueurs, nous acceptons notre réalité au niveau de l'écosystème, nous savons l'étendue de notre talent, nous allons tout faire pour prouver que nous méritons une meilleure réalité. Quand on représente le Maroc, il faut être obnubilé par la victoire, c'est l'identité que j'essaye sans cesse d'insuffler à mes joueurs et à tous les joueurs marocains. La notion d'exploit doit se transformer en notion d'objectif.