Le saviez-vous ? La première école à enseigner l'anglais sur le sol marocain a été fondée au début du 19ème siècle. Retour sur l'histoire, intrigante à souhait, d'un établissement éducatif, a priori pas comme les autres. La toute première école d'apprentissage de la langue de Shakespeare au Maroc remonte à 1821, soit à un passé relativement lointain. Rattachée à la légation américaine de Tanger et portant son nom, elle était destinée à dispenser une éducation de qualité aux fils des diplomates américains et à quelques fils de notables de la classe dorée de Tanger, triés sur le volet. Seulement voilà, elle n'était en rien une école marocaine conçue pour apprendre la langue de la mondialisation aux nationaux. Bien au contraire, il s'agissait de la langue de l'élite, de la diplomatie et du lobbying. Ce fut, somme toute, une école américaine, située aux confins de l'Europe. Ses apprenants étaient des diplomates en herbe souhaitant briguer des postes étatiques dignes de ce nom. À une époque où les actes de piraterie étaient savamment mis en échec par les hommes du Sultan Moulay Slimane, le système éducatif américain d'outre-mer faisait déjà connaître à ses jeunes citoyens la bravoure du Maroc, porte d'entrée de l'Afrique et garde-fou sécuritaire et militaire au confluent des trajectoires et des cultures. Tel un héraut culturel, l'anglais a servi ainsi à promouvoir l'image avant-gardiste de ce pays dont la force sécuritaire était telle qu'il avait su stopper l'expansion de l'Empire Ottoman à ses frontières.
Histoire d'une légation...
Gracieusement offerte par le Sultan Moulay Slimane à la Diplomatie américaine au début du 19ème siècle, la légation américaine à Tanger est située au cœur de l'emblématique médina. Première propriété publique américaine en dehors des Etats-Unis, elle commémore les relations culturelles et diplomatiques historiques entre les Etats-Unis et le Royaume du Maroc, qui remontent à la fin du 18ème siècle. Désormais et de manière officielle, la légation englobe en son sein, dans un souci de réciprocité, une entité connue sous la désignation de l'Institut d'études marocaines de la légation américaine à Tanger. Celui-ci abrite, à son tour, un centre culturel, un musée et une bibliothèque de recherche axée sur l'étude de la langue arabe.
Enregistré au National Register of Historic Places des Etats-Unis depuis le 8 janvier 1981, le palais de la légation américaine de Tanger a été désigné en tant que site historique national,et ce, en 1982 par le secrétaire américain à l'Intérieur James G. Watt. Ce fut la toute première et jusqu'à l'écriture de ces lignes, la seule désignation valant le poids de légation diplomatique dans un pays étranger. Cette bâtisse est si bien cotée qu'elle a également été classée dans le registre du «Secretary of State of Cultural Important Property » du Département d'Etat. En 1956, à la suite du départ de la représentation diplomatique américaine vers la capitale Rabat, au moment de l'indépendance du Maroc, la Légation a été désaffectée en tant que bâtiment diplomatique. Tout au long des années, elle a été exploitée par le gouvernement américain, d'abord comme école de langue et de civilisation arabes pour les diplomates, puis, entre autres, comme siège du corps consulaire et du corps de la paix. Peu à peu, les installations de l'ancienne légation ont été laissées à l'abandon et menacées de démolition.Le bâtiment de l'ancienne légation américaine a été sauvé de justesse en 1976 par un comité de citoyens américains qui a fondé une organisation publique à but non lucratif ad hoc. De nos jours, la Société du Musée de la Légation Américaine à Tanger prend à bail le bâtiment, qui est toujours la propriété du gouvernement américain. L'Institut américain d'études marocaines de Tanger (TALIM) fait office à la fois de musée et de centre culturel pour l'étude du Maroc et des relations maroco-américaines. Une aile entière du pavillon officiel de l'institut est dédiée à l'écrivain et compositeur Paul Bowles, un grand amoureux de Tanger. Le musée comprend aussi une bibliothèque de recherche et une salle de conférence et prodigue régulièrement des cours d'alphabétisation en langue arabe dispensés à des femmes de la médina de Tanger.
Houda BELABD
Radioscopie : La culture au service de l'intelligence service US Pendant la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment de la Légation américaine à Tanger a servi de quartier général aux agents de renseignement de l'Office of Strategic Services, remplacé en 1945 par la CIA. L'Office of Strategic Services était donc un organisme de renseignement du gouvernement américain. Il a été mis en place le 13 juin 1942, au lendemain de l'entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, avec pour objectif de recueillir les informations utiles et de mener diverses actions par l'intermédiaire d'autres entités et instances diplomatiques. Il a, néanmoins, été démantelé fin 1945 et remplacé par la Central Intelligence Agency (CIA). Dès les années 1930, le FBI était en charge des activités de renseignement en Amérique Latine, ce qui laissait aux services de renseignement de l'armée, de la marine, du département d'Etat et du Trésor américains leurs propres sphères de compétence et d'intervention. En effet, à la suite de l'attaque de Pearl Harbor, la commission d'enquête du Congrès a fait observer que le manque de coordination entre les différents services de renseignement était l'une des sources des failles du système de défense de l'Oncle Sam. La nécessité d'une unification a été, donc, actée par la décision d'entrée en guerre des Etats-Unis et il a été décidé de procéder à une réorganisation des services de renseignement. William Joseph Donovan est nommé coordinateur de l'information et directeur de l'OSS le 11 juillet 1942.
Le personnel de l'OSS, quant à lui, était composé en majorité de "novices" qui ont énormément progressé auprès des services de renseignement britanniques, et comptait 13 000 personnes en 1944.
Bio express : Paul Bowles, le défricheur de l'anglicisation du système éducatif Paul Bowles. Ce nom vous dit-il quelque chose ? Peut-être pas ? Et Pourtant, il s'agit d'un intellectuel américain qui a vécu à Tanger pendant de nombreuses années et qui a même milité, jusqu'à son dernier souffle, pour l'enseignement de la langue de Shakespeare au Maroc, la porte de l'Afrique. Mais au commencement fut la passion. Un amour, jusqu'alors expérimenté par quelques rares personnes venant d'autres cieux, pour une ville dont le charme et l'exotisme l'a littéralement subjugué. En 1947, Bowles décida, tout naturellement, d'élire domicile à Tanger, sa ville de cœur, où sa femme Jane Bowles, écrivain et dramaturge à succès, le rejoignit en 1949. Le tandem devint très vite un élément essentiel de la communauté européenne et américaine de Tanger. À partir de la fin des années 1940, ils ont accueilli des figures de proue de la littérature, dont Truman Capote, Tennessee Williams et Gore Vidal. Ils sont adulés dans les années 1950 par les auteurs de la Beat Generation, Allen Ginsberg et William S. Burroughs. P. B. fut donc prolifique. Dès ses premiers jours à Tanger, il se livre à l'écriture de romans, de nouvelles et de récits de voyage. Son premier public fut l'élite marocaine anglophone mais aussi anglaise et américaine. Aussi se plaisait-il à composer la musique, d'où ses neuf pièces de théâtre jouées, ipso facto, à l'Ecole américaine de Tanger. Ainsi, il a réalisé son vœu le plus cher : celui de marquer de son empreinte l'Histoire de l'éducation de l'élite tangéroise en exprimant son désir de voir ses livres et disques enrichir les bibliothèques de toutes les écoles marocaines. A ses débuts, en 1929, il suspend ses recherches universitaires pour effectuer son premier voyage à Paris. En 1931, il rejoint, lors d'un autre séjour en France, le cercle littéraire et artistique de Gertrude Stein et, sur ses indications, visite Tanger pour la toute première fois en présence de son complice et enseignant de musique, le compositeur Aaron Copland. Il revient en Afrique du Nord l'année suivante, se rendant dans d'autres régions du Maroc, au Sahara et en Algérie. En 1973, après la mort de Jane Bowles à Malaga (Espagne), Paul poursuit néanmoins sa route à Tanger, s'adonnant à l'écriture et accueillant des visiteurs dans son modeste appartement. En 1995, Bowles retourne brièvement à New York pour un festival célébrant ses œuvres musicales au Lincoln Center. Il participe aussi à cette occasion à un festival de sa musique au Lincoln Center, ainsi qu'à un symposium et à une interview à la New School for Social Research. L'anglicisation : Un raccourci de l'évangélisation ? Selon les mots de James G. Watt, secrétaire américain à l'Intérieur, la Légation américaine de Tanger représentait, dans les années 80 du siècle dernier, un point de repère historique sans précédent. Bien plus, un symbole de la culture et de la diplomatie américaines sur le continent africain. Né le 31 janvier 1938 dans le Wyoming, James Gaius Watt est un homme politique américain de grande envergure. Membre du Parti républicain, il a été secrétaire à l'Intérieur de l'administration Reagan entre 1981 et 1983. En plus de ses fonctions diplomatiques, il était également évangéliste pentecôtiste auprès de ce que l'on appelle chez l'Oncle Sam, « The Revival Churches », ou les Eglises du Réveil pour rester francophone. Usant à l'excès de la réputation du Royaume du Maroc comme Terre de tolérance, il s'est fait, durant son mandat, le chantre de l'expansion des évangélistes anglophones à Tanger. La langue anglaise devient alors la langue de l'évangélisation, mais pas pour très longtemps. La raison en est que ce prosélytisme flagrant n'était pas le bienvenu dans les rangs des étudiants universitaires marocains, et encore moins chez les gardiens de l'ordre du pays. Mais il n'empêche que pendant les années 80 du siècle dernier, les diplomates et autres dirigeants marocains ont jugé nécessaire de protéger et de préserver l'esprit de tolérance du Maroc, tout en accordant aux citoyens américains résidant au Maroc le plein droit de culte. Le pentecôtisme est, pour rappel, un mouvement chrétien lancé par les pasteurs américains Charles Fox Parham et William Joseph Seymour aux Etats-Unis en 1901 et 1906.
Culture anglophone : L'anglais pour lutter contre le radicalisme Ce n'est plus un secret pour personne. Depuis près de trois siècles, les EtatsUnis d'Amérique mènent une guerre sans merci contre le wahhabisme, ce mouvement rigoriste né au XVIIIe siècle sous l'impulsion du théologien Mohamed Ben Abd Al Wahhab, qui vécut de 1743 à 1792. Bien que ce dernier s'inspire d'un mouvement existant depuis le XIVe siècle, le sala sme, l'Oncle Sam est toujours au rendez-vous lorsqu'il est question de protéger son champ d'in uence des aléas de l'islam rigoriste et littéraliste. La langue de Shakespeare devrait servir, selon plusieurs politologues spécialistes du radicalisme, à éclairer les peuples