Dans un contexte tendu pour les finances publiques, l'Etat a décidé d'injecter 10 milliards de dirhams supplémentaires par décret. En a-t-il les moyens ? Pour contexte exceptionnel, mesures exceptionnelles. De passage à la Chambre des Conseillers, le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaâ, a défendu la décision gouvernementale d'ouvrir des crédits additionnels pour un montant de 10 milliards de dirhams. Cette mesure se fera à travers un décret, comme prévu par la loi organique n°130.13, relative à la loi de finances. Un ajustement rendu possible grâce à de nouvelles marges budgétaires dégagées par le gouvernement, selon l'exposé du ministre délégué.
Baisse de la compensation
"Les charges de compensation ont baissé sur la période allant de début janvier à fin avril 2023, en comparaison avec la même période de l'année précédente, grâce à la baisse enregistrée des prix des différents produits de première nécessité, en particulier le gaz butane et le blé tendre", a expliqué Fouzi Lekjaâ. En effet, le prix du gaz butane a baissé de près de 34% à 418 dollars la tonne, alors qu'il était à 615 dollars la tonne sur la même période de l'année précédente. Concernant le blé tendre, ce produit a baissé de 17% à 266 dollars la tonne.
"Il est prévu que cette baisse se poursuive et c'est ce qui va donner lieu à des marges financières importantes au niveau des dépenses de la compensation", a fait observer le ministre délégué. Cette baisse des charges de compensation devrait "permettre de dégager des marges pour nous aider à faire face aux évolutions du contexte actuel et ce qu'il exige en termes de révision des priorités au niveau des dépenses", a-t-il ajouté.
Cette injection budgétaire a également été rendue possible par des équilibres budgétaires plus favorables. Durant la période Covid, le déficit budgétaire avait atteint 7% du PIB au cours de l'année 2020, avant de descendre à 5,9% en 2021 puis à 5,1% en 2022. Cette tendance devrait se poursuivre jusqu'à atteindre l'objectif fixé par le gouvernement, soit un déficit de 3,5% en 2025. Selon Fouzi Lekjaâ, si nous voulons contrôler notre dette et la laisser au niveau de 69% du PIB, il faut cibler un déficit en deçà de 3% et un rythme de croissance au-delà de 3,5%.
Hausse des impôts
"Il faut ajouter à cela une autre ressource dégagée par le gouvernement, celle de l'amortissement de la dette. Cet amortissement avait coûté 9 milliards de dirhams à l'Etat l'année dernière, alors qu'il ne sera que dans les alentours de 4 milliards de dirhams cette année, ce qui laisse une marge confortable pour la réorienter ailleurs", nous informe Lahcen Haddad, membre istiqlalien de la Chambre des Représentants présent durant cette séance.
Autre point positif ayant permis d'injecter ces 10 milliards additionnels : la hausse des recettes fiscales. La loi de finances avait prévu une augmentation de 4% des recettes fiscales en 2023, en se basant sur la croissance projetée du PIB. "Aujourd'hui, et après quatre mois de l'entrée en vigueur de la loi de finances 2023, il se confirme que les recettes fiscales ont augmenté de 3,1 milliards de dirhams, ce qui correspond à 4%", s'est réjoui le ministre délégué chargé du Budget. A l'exception de l'IS, dont les recettes avaient sensiblement augmenté en 2022 de 10,5 milliards de dirhams, en comparaison avec 2021, mais qui ont reculé durant cette année de 620 millions de dirhams, tous les autres impôts ont connu des améliorations sensibles. Les recettes de l'IR se sont améliorées de 4,6% avec un taux de réalisation de 40%, la TVA de 6,6% avec un taux de réalisation de 33%, les droits de douane de 8,2% avec un taux de réalisation de 31%, et enfin les droits d'enregistrement et de timbre de 10,4%, avec une réalisation de 51%. "Cette intervention de 10 milliards de dirhams, et qui correspond à 1% du PIB, n'aurait pas été possible sans la solidité de nos finances publiques", a résumé Fouzi Lekjaâ. De l'argent frais qui viendra soutenir des secteurs ayant un besoin immédiat, comme l'ONEE, le secteur de l'eau ainsi que le secteur agricole. Tout cela, en attendant des réformes structurelles qui permettront pour de bon à l'Etat de mieux orienter ces dépenses. La première de ces réformes concerne l'ONEE, qui a souffert durant ces dernières années de la hausse des prix des combustibles (charbon, pétrole, gaz naturel), puis celle des marchés de gros et enfin, la plus importante, qui concerne la réforme de la Caisse de Compensation.
Soufiane CHAHID
Trois questions à Lahcen Haddad "La décompensation du gaz butane va être politiquement explosive" Cette décision gouvernementale ne risque-t-elle pas de creuser la dette publique ?
Ce n'est pas un endettement, mais davantage une marge qui n'était pas prévue dans la loi de finances. Pourquoi ? Parce que les charges de la compensation comme le gaz butane et le blé tendre ont baissé, ce qui a permis d'obtenir une marge de 6,3 milliards de dirhams.
Il faut ajouter à cela une autre ressource dégagée par le gouvernement, celle de l'amortissement de la dette. Cet amortissement avait coûté 9 milliards de dirhams à l'Etat l'année dernière, alors qu'il ne sera que dans les alentours de 4 milliards de dirhams cette année, ce qui laisse une marge confortable pour la réorienter ailleurs.
Et donc on peut l'utiliser dans de nouvelles dépenses, comme l'ONEE, la gestion de l'eau et la subvention des intrants pour les agriculteurs, afin de maîtriser les prix des viandes blanches et les laisser à la portée des citoyens.
L'objectif d'un déficit à 3,5% est-il toujours atteignable ?
Il l'est, parce que je pense que la baisse des charges de compensation va se poursuivre. La tendance actuelle est à la baisse des cours sur les marchés internationaux.
Où en est la décompensation du gaz butane ?
Pour le moment, ce n'est pas dans le pipe. C'est quelque chose à faire après la généralisation du Registre Social Unifié (RSU). Je pense qu'on pourrait y penser après la généralisation de la protection sociale, et qu'on ait un dispositif RSU en déterminant qui fait quoi et où. A ce moment-là, et avec une bonne campagne politique, on peut aller dans ce sens.
Mais pour le moment, il faut commencer par la réforme de l'ONEE, de l'intermédiation et des marchés de gros. La décompensation du gaz butane va être politiquement explosive, parce que des gens peuvent l'exploiter. Il faut en premier lieu créer un consensus politique autour de cette question.