Directeur d'un bureau d'étude spécialisé en apiculture, ingénieur agronome et expert apicole, M. Saïd Aboulfaraj répond à nos questions sur le secteur apicole marocain. Célébrée ce samedi 20 mai 2023, la Journée mondiale des abeilles est une occasion de souligner l'importance de ces petits insectes pollinisateurs qui ont tant apporté à l'humanité et à la biodiversité. Au début de l'année 2022, le secteur apicole marocain avait à cet égard traversé une crise sans précédent. Alertées par une mortalité importante et inédite des abeilles, les autorités concernées avaient mené une enquête de terrain dans diverses régions du Royaume. Les équipes de l'Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires (ONSSA) avaient ainsi visité près de 23.000 ruches et la réalité du phénomène de mortalité avait été officiellement confirmée. Si le Maroc n'est pas épargné par la présence de certaines maladies qui touchent les abeilles, et que les conditions climatiques ont certainement joué un rôle important à travers la succession de plusieurs années de sècheresse, les spécialistes imputent cependant les dégâts enregistrés au manque d'interventions techniques appropriées de la part de la majorité des apiculteurs.
Manque de technicité Alors qu'une maladie aurait touché l'ensemble des ruches, l'effondrement des colonies que le Royaume a connu a occasionné des dégâts importants auprès de certains apiculteurs alors que d'autres, qui sont pourtant installés dans les mêmes zones, n'ont pas eu à subir cette hécatombe. « Le Plan Maroc Vert a durant plusieurs années encouragé le développement de l'apiculture. Ce qui est bien sûr une très bonne chose. Malheureusement, la technicité et la formation des producteurs n'ont pas suivi. Ce qui fait que dès qu'il y a eu un problème, beaucoup d'apiculteurs n'ont pas su comment réagir », estime M. Saïd Aboulfaraj, directeur d'un bureau d'étude spécialisé en apiculture, ingénieur agronome et expert apicole. Les résultats des efforts de développement de la filière attestent en effet d'une véritable explosion de l'activité apicole en quelques années seulement, puisque le ministère de l'Agriculture évoque dans ses chiffres officiels une évolution du nombre des ruches au Maroc qui est passé de 569.696, en 2009, à près de 910.100, en 2019. Retour à la normale Le nombre d'apiculteurs a également augmenté en passant de 22.045 en 2009 à près de 36.300 en 2019. Le secteur de l'apiculture n'a cependant pas pu résister au stress test de l'effondrement des colonies qui a été enregistré en 2022. « Depuis l'année dernière, la situation du secteur apicole a évolué d'une façon qu'on peut globalement qualifier de positive », rassure M. Saïd Aboulfaraj. L'effondrement des colonies ne semble plus d'actualité puisque les mortalités anormales des abeilles ne sont plus signalées. L'amélioration des conditions climatiques et pluviométriques qui a été enregistrée courant 2023 a certainement permis de stopper le phénomène, sans oublier les moyens mis en place par le ministère de l'Agriculture dans le cadre du programme spécial de soutien des apiculteurs. Doté d'une enveloppe budgétaire de 130 millions de dirhams, ce programme avait été articulé autour de trois piliers principaux : l'aide à la reconstitution des ruches, le traitement contre la varroase et la sensibilisation des producteurs aux bonnes pratiques d'apiculture. Améliorer la gestion Le secteur apicole n'est pas pour autant sorti de la tourmente, au vu du communiqué du Syndicat National des Apiculteurs professionnels qui a récemment été relayé par Hespress. Se référant à une « invasion du miel importé sur le marché marocain », le Syndicat pointe « l'échec du Plan Maroc Vert à protéger le produit national, en confiant les affaires du secteur à des non-professionnels ». Certains spécialistes de l'apiculture attribuent pourtant l'augmentation de l'importation du miel à un manque de compétitivité économique du miel marocain accusé d'être plus cher qu'il ne devrait. Par ailleurs, et en dépit de sa valeur qualitative indéniable, le miel marocain reste, à ce jour, interdit à l'export dans le marché européen puisque sa production ne répond toujours pas aux exigences des cahiers des charges européens, en termes de traçabilité notamment. Une situation qui pourrait s'améliorer pour autant que le secteur apicole consente à amorcer une structuration et une professionnalisation qui, à terme, pourraient bénéficier autant aux apiculteurs eux-mêmes qu'au consommateur marocain.
Oussama ABAOUSS
3 questions à Saïd Aboulfaraj « Le secteur apicole au Maroc a besoin d'efforts pour fédérer ses diverses parties prenantes » Quelles sont, selon vous, les priorités qui s'imposent pour rehausser le niveau de la filière apicole au Maroc ? Je pense qu'il est d'abord nécessaire d'affiner les statistiques sur les apiculteurs marocains en développant une base de données actualisée et précise. Cela permettra d'améliorer la gestion du secteur à travers la formation qui fait défaut puisque les raisons de l'effondrement des ruches que nous avons vécu l'année dernière sont principalement dues au manque d'interventions techniques appropriées à un moment où des conditions difficiles mettaient à mal les ruches marocaines. Il est également important de mieux gérer la transhumance en commençant par établir des cartographies annuelles de la flore mellifère comme outil d'aide à la décision. D'un autre côté, je pense qu'il est plus que temps de mettre en place une véritable politique nationale de lutte contre les maladies et les parasites de l'abeille. Comme pour les autres filières d'élevage, il est nécessaire de définir des périodes, des produits et des protocoles de traitement qui permettront d'éviter que chaque apiculteur ne traite ses ruches avec des produits douteux ou d'une manière qui peut porter préjudice aux colonies. Peut-on aspirer à ce que le miel marocain devienne exportable, en Europe notamment ? Je ne pense pas que ça puisse être possible tant que l'on n'aura pas amélioré la gestion du secteur, augmenté le niveau de technicité des apiculteurs et optimisé l'offre apicole nationale pour la rendre suffisamment compétitive. Actuellement, le miel à Paris est moins cher que le miel au Maroc. À part quelques miels de niche, il ne sera pas possible au miel marocain de se positionner dans ce marché sans revoir les prix et sans garantir que la production se fasse dans les règles de l'art, notamment en matière de traçabilité. Qu'est-ce qui bloque le secteur apicole au Maroc pour pouvoir relever rapidement ce défi ? Le secteur apicole au Maroc a besoin d'efforts pour fédérer ses diverses parties prenantes. Je pense que tous les intervenants du secteur doivent trouver un terrain d'entente afin d'aborder ensemble les moyens d'améliorer la structuration et la gestion du secteur. Cela devrait à terme bénéficier aussi bien aux apiculteurs qu'au consommateur. Amélioration qualitative : Transformer l'apiculture de cueillette en apiculture professionnelle Alors que les ressources mellifères fluctuent selon les saisons et les régions, le nombre des ruches (traditionnelles et modernes) au Maroc n'a cessé d'augmenter durant ces dernières années. Ce phénomène a donné lieu à une compétition sur les sites de transhumance vers lesquels les apiculteurs déplacent leurs ruches. Cette compétition cause parfois des conflits entre les apiculteurs et les populations locales installées dans ces sites de prédilection. Si les efforts d'appui au développement quantitatif du secteur apicole ont donné des résultats importants en termes de nombre d'apiculteurs qui peuvent générer des revenus importants de cette activité, le développement qualitatif n'a pas encore pu se faire d'une manière optimale. En dépit de l'augmentation des parts de ruches modernes, les spécialistes insistent toujours sur la nécessité d'accompagner les apiculteurs afin de passer d'une apiculture passive dite de cueillette vers une apiculture professionnelle dans laquelle le producteur fait preuve d'une parfaite maîtrise technique de son activité.
L'info...Graphie International : Pour une production agricole respectueuse des pollinisateurs Chaque année, la Journée mondiale des abeilles nous offre l'occasion de faire mieux connaître la contribution essentielle des abeilles et des autres pollinisateurs à la santé des êtres humains et de la planète, ainsi que les nombreux problèmes qui touchent aujourd'hui ces insectes. Cette journée est ainsi célébrée depuis 2018, grâce aux efforts du gouvernement slovène qui, avec l'appui de la Fédération internationale des associations d'apiculteurs (Apimondia), a amené l'Assemblée Générale des Nations Unies à déclarer le 20 mai Journée mondiale des abeilles. Cette date a été choisie car elle correspond à la date de naissance d'Anton Janša, pionnier de l'apiculture moderne. Cette journée se veut comme une occasion de promouvoir des actions qui protégeront les pollinisateurs et leurs habitats, accroîtront leur abondance et leur diversité et encourageront le développement durable de l'apiculture. Les abeilles et les autres pollinisateurs sont indispensables à la santé des écosystèmes et à la sécurité alimentaire. Ils aident à maintenir la biodiversité et à garantir la production d'aliments nutritifs. Toutefois, la monoculture intensive et l'utilisation inappropriée des pesticides menacent sérieusement ces insectes en réduisant l'accès de ceux-ci à la nourriture et aux sites de nidification, en les exposant à des produits chimiques nocifs et en affaiblissant leur système immunitaire. L'édition 2023 de la Journée mondiale des abeilles est organisée sous le thème « Volons au secours des abeilles : Pour une production agricole respectueuse des pollinisateurs ».