L'acte fondateur de l'histoire des ports au Maroc serait la création du premier port artificiel de la côte marocaine et ce fut à Salé. La tâche est confiée à un vrai ingénieur et architecte, le savant Mohammed ben Ali en 1260, par le sultan mérinide Abou Youssef Yaakoub. Cela a consisté en la construction d'une forteresse munie de deux portes marines donnant accès à un port intérieur, ce qui a bouleversé la façon de concevoir la relation à la mer… La décision de créer un port conçue de cette façon pour le moins originale fait suite à l'invasion de la ville de Salé par une escadre castillane qui vient occuper le front de mer un deuxième jour de fête de l'Aid el-Fitr en l'an 658 de l'Hégire. Un vrai traumatisme par la soudaineté et la violence de l'agression. Il fallait deux semaines de siège pour chasser les envahisseurs. Ce traumatisme fut à l'origine du lancement de l'ingénierie portuaire. C'est entre autres ce qu'on apprend de l'ouvrage « Résiliences » de Najib Cherfaoui, ingénieur des Ponts et Chaussée et chercheur dans le domaine portuaire. Après son livre « Fulgurances » paru en 2005, un gros pavé très documenté où il donne un aperçu sur l'histoire des ports du Maroc sur trois milles kms de côte, le voici qui fait paraître « Résiliences » qu'il signe avec Hamadi Doghmi. Dans ce nouvel ouvrage, à côté de l'accumulation des connaissances, il y a une proposition de théorie selon laquelle l'histoire des ports au Maroc dont la fondation remonte à 1260 au cours du règne mérinide et à la suite du bombardement de flotte castillane de la ville de Salé est passé par des cycles de traumatismes et de dépassement de ses traumatismes, des avancées et des régressions. Ainsi, « de 1260 à 1860 le système portuaire marocain subit cinq traumatismes, tous de nature très différentes » dont le tsunami de 1755. Chaque épreuve fait apparaître une résilience nouvelle, c'est-à-dire une remarquable capacité à résister, à se réparer, à rebondir et à se surpasser » Selon l'auteur, un cycle de cent ans sépare le choc et le rétablissement de notre système portuaire. De 1860 à 1950, le système portuaire marocain connaît son énième résilience et se reconstruit depuis le début du XXè siècle autour de Casablanca « retrouvant un âge d'or grâce à des créations audacieuses et à des modes d'exploitation originaux » Or, en 1960, le système portuaire marocain a connu selon l'auteur un profond « traumatisme causé par l'ignorance » débutant par le démantèlement sauvage du régime des concessions… Les responsables en charge des ports connaissent alors un état étrange d'amnésie par rapport aux expériences passées comme ce fut le cas de la question des tétrapodes. Du coup, la prochaine émergence est fixée à 2060. L'ouvrage est ainsi conçu pour expliquer ces traumatismes et proposer l'alternative de ramener la prochaine émergence à l'horizon 2020. La théorie est séduisante n'empêche que cette fois-ci les traumatismes se poursuivent à tel point que des ports construit à grands frais d'investissements ne seront jamais utilisés notamment parce qu'ensablés comme Boujdour (1982) Asilah (1988) , Tarfaya (1984), le nouveau port de Dakhla (2001) et celui de Saïdiä (2002). Najib Cherfaoui est un grand connaisseur des ports du Maroc. A côté du technicien rôdé à la chose portuaire, il y a aussi en lui l'homme de culture passionnée de la recherche en histoire des ports en faisant appel à plusieurs disciplines, dont la linguistique. Cherfaoui est intarissable pour raconter les origines des noms souvent issus de croisement de plusieurs registres de langue amazigh, latin, arabe, espagnol, portugais, français… Auteur de plusieurs ouvrages parus depuis près d'une décennie, l'idée d'écrire lui était venue pour réagir contre ce qu'il appelle le « terrorisme des chiffres ». Ce sont ces rapports si fastidieux de fin d'année où l'on publie les bilans chiffrés de l'activité des ports et qui finalement ne signifie rien sinon des heures infinies de travail ingrat. Le meilleur donc c'est de témoigner. Déjà dans « Fulgurance », il est noté au passage, outre l'histoire des ports du Maroc avec les hauts et les bas selon les époques, les bonnes idées et les erreurs commises, mais surtout la capacité de reconnaître les erreurs, de les dépasser et d'avancer. Le propos de Cherfaoui n'est pas de polémiquer, loin s'en faut. Il serait plutôt propitiatoire à une plus grande capacité de dialogue. Saïd AFOULOUS « Résiliences » de Najib Cherfaoui et Hamadi Doghmi, éditions Sciences de l'Ingénieur, Casablanca