Explosions et tirs continuaient jeudi de déchirer Khartoum alors que la communauté internationale tentait d'arracher une trêve aux belligérants, à la veille de l'Aïd el-Fitr. Dans la ville de plus de cinq millions d'habitants, les familles se pressent sur les routes pour fuir raids aériens, rafales et combats de rue qui ont tué depuis samedi plus de 270 civils et se concentrent à Khartoum et au Darfour, dans l'ouest. A quelques dizaines de kilomètres de la capitale, toutefois, la vie suit son cours et les maisons s'ouvrent pour accueillir les déplacés. Traumatisés, ils ont roulé ou marché des heures durant, car désormais le litre d'essence s'échange à 10 dollars dans l'un des pays les plus pauvres du monde. Pour arriver à l'abri, ils ont dû subir les questions ou les fouilles des hommes postés aux check-points des Forces de soutien rapide (FSR), les paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, et de l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane, chef de facto du Soudan depuis le putsch mené par les deux hommes en 2021. Surtout, ils ont dû progresser au milieu des cadavres qui jonchent les bords de route, les blindés et pick-ups calcinés dans les combats à l'arme lourde, et éviter les zones les plus dangereuses, repérables de loin aux épaisses colonnes de fumée noire qui s'en échappent. Depuis que la lutte de pouvoir, latente depuis des semaines entre les deux généraux, s'est transformée samedi en bataille rangée, la confusion est totale pour les 45 millions de Soudanais.
Des trêves qui ne viennent pas
Les deux belligérants ne cessent de promettre des trêves qui ne viennent jamais. Jeudi, de nouveau, les patrons de l'ONU, de l'Union africaine, de la Ligue arabe et d'autres organisations régionales doivent se réunir pour réclamer un cessez-le-feu, alors que les musulmans à travers le monde s'apprêtent à fêter l'Aïd el-Fitr, la fin du ramadan, vendredi ou samedi. Dans les rues jonchées de débris, il est impossible de savoir qui tient réellement les principales institutions du pays. Des deux côtés, pleuvent les annonces de victoires et les accusations mutuelles. Mais personne ne peut aller vérifier ce qui circule sur les réseaux sociaux tant le danger est permanent. L'armée de l'air, qui vise les bases et les positions des FSR disséminées dans les zones habitées de Khartoum, n'hésite pas à larguer des bombes, parfois au-dessus d'hôpitaux, ont témoigné des médecins. En cinq jours, "70% des 74 hôpitaux de Khartoum et des zones touchées par les combats ont été mis hors d'usage", selon leur syndicat: ils ont été bombardés, n'ont plus aucun stock pour opérer ou bien des combattants en ont pris le contrôle, chassant médecins et blessés.
« Pillages et attaques » sur les stocks d'aide de l'ONU
Les organisations humanitaires ont pour la plupart été forcées de suspendre leur aide, cruciale dans un pays où plus d'un habitant sur trois souffre de la faim en temps normal. Depuis samedi, à Khartoum, de nombreuses familles ont épuisé leurs dernières victuailles et se demandent quand des camions d'approvisionnement pourront entrer dans la ville. Trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués au Darfour au début des combats. L'ONU ne compte plus "les pillages et les attaques" sur ses stocks et son personnel, et dénonce "des violences sexuelles contre des humanitaires". Les habitants de Khartoum, eux doivent choisir entre deux maux: rester dans une ville où électricité et eau courante ont disparu, où à tout moment une balle perdue peut transpercer un mur ou une fenêtre. Ou partir sous les tirs croisés et imaginer la prise de leur maison avec tout ce qu'ils n'ont pas pu emporter. Au milieu du chaos général, l'Egypte est parvenue à obtenir l'évacuation de 177 de ses soldats capturés par les FSR alors qu'ils participaient à des entraînements avec l'armée sur une base militaire du nord du Soudan. Ils sont partis mercredi soir à bord de "quatre avions militaires égyptiens", selon l'armée soudanaise. Jeudi matin, l'armée égyptienne n'avait pas confirmé leur départ ou leur arrivée.