L'année 2023 devrait être marquée par une hausse des taux d'intérêt appliqués par les banques au Maroc, en raison principalement du relèvement de 3% du taux directeur de Bank Al-Maghrib. Mais ils sont nombreux à reprocher aux banques de ne répercuter les taux que lorsque la tendance est à la hausse. Ce qui se passe dans le secteur bancaire est à l'image de ce qui est souvent reproché aux stations-services : on répercute rapidement les hausses sur les prix à la pompe, mais beaucoup plus lentement quand il s'agit de suivre la tendance baissière des cours mondiaux des hydrocarbures. Le même constat est fait auprès des banques. A chaque fois que Bank Al-Maghrib (BAM) annonce un relèvement de son taux directeur, les taux de crédits appliqués par les banques sont souvent réajustés, mais l'inverse n'est pas automatique. Ou du moins pas avec diligence. Derniers exemples en date, depuis le mois de février, les taux d'intérêt appliqués par les banques sur plusieurs produits, sont revus à la hausse. Début mars, une grande banque décidait ainsi d'augmenter de 6,25% à 7% (soit 75 points de base de plus) son taux de crédit sur le crédit à la consommation. Quant au crédit immobilier (durée entre 15 et 25 ans), le taux est passé de 4,75% à 5,30% pour les taux fixes, soit 55 points de base de plus. Ces hausses ont été décidées pour suivre les tendances de relèvement du taux directeur de BAM en fin 2022.
Effet taux directeur
Sachant que la Banque centrale vient de porter son taux directeur à 3%, il faudrait s'attendre à de très probables nouvelles hausses des taux d'intérêt durant le reste de l'année. D'ailleurs, lors des différentes conférences de presse à l'occasion des réunions du Conseil de la Banque centrale, le Wali de BAM, Abdellatif Jouahri, est souvent interpellé sur cette question, qu'il dit prendre très au sérieux. «Je vais me réunir avec les présidents des banques, au sujet de la transmission de la décision du Conseil. Je vais leur demander un suivi, un reporting, pour voir si cette hausse de taux se répercute correctement ou si les banques exagèrent vis-à-vis de la clientèle», a-t-il récemment répondu à ce propos.
Tendance baissière ?
D'ailleurs, si l'on se fie au reporting de BAM sur l'évolution des taux d'intérêt, on observe que l'année 2022, contrairement à son premier trimestre, s'est presque terminée sur une hausse des crédits à la consommation (à 6,39%), des crédits immobiliers (4,69%), ainsi que des crédits sur les comptes débiteurs et crédits de trésorerie (3,97%). Cela dit, si l'on juge l'évolution des taux d'intérêt de ces crédits depuis l'année 2019, on notera qu'ils s'inscrivent en baisse malgré tout. «De toutes les façons, 85 à 90% des contrats sont à taux fixes. La révision ne se fera qu'au terme des échéances prévues dans les contrats. Et lors de cette révision, il ne faut pas qu'elles [les banques, ndlr] en profitent», rappelle le patron de la Banque centrale.
Oligopole, monopole ?
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui se demandent si les établissements bancaires ne s'entendent pas sur leur politique d'intérêts, tant leur démarche est très similaire. « On est en droit de se demander effectivement s'il n'y a pas d'oligopole dans le secteur bancaire marocain. Les pratiques sont les mêmes et cette situation ne choque personne apparemment », fustige, pour sa part, le fiscaliste professeur Mohammed Rahj. En tout cas, BAM, dans une étude publiée en septembre 2017, constatait elle-même que « le secteur bancaire marocain affiche une concurrence monopolistique, à l'instar de plusieurs pays développés et émergents ». Cette observation a été faite dans une « Analyse de la concurrence bancaire au Maroc ». Le même document notait que « l'analyse de l'évolution de la concurrence entre 2000 et 2015 fait ressortir une légère amélioration qui pourrait être expliquée par une conjoncture économique difficile suite à l'avènement de la crise financière de 2008, le renforcement du cadre réglementaire et l'accroissement de l'ouverture financière ».
Entre-temps, les banques participatives ont fait leur arrivée sur le marché. Bien qu'elles procèdent d'une manière différente des banques classiques sur le calcul de leurs gains (ici on ne parle pas d'intérêts), le constat est qu'elles n'ont pas vraiment réussi pour l'heure à contribuer à une baisse remarquable des taux appliqués sur le marchés des crédits bancaires.
Abdellah MOUTAWAKIL 3 questions à Mohammed Rahj « La Banque centrale doit maintenir une certaine pression sur le secteur bancaire » Pour l'économiste et fiscaliste Mohammed Rahj, Bank Al-Maghrib doit surveiller de près les pratiques des banques, afin d'éviter que les consommateurs et clients ne soient lésés.
Peut-on parler d'entente entre les différentes banques dans leur politique des taux d'intérêt ?
Nous savons tous que les banques sont regroupées au sein d'un même Groupement. Leurs intérêts ne sont pas forcément toujours les mêmes mais elles défendent ensemble ce qui les réunit. Ce qui est sûr c'est qu'on est en droit de se demander effectivement s'il n'y a pas d'oligopole dans le secteur bancaire marocain. Les pratiques sont les mêmes et cette situation ne choque personne apparemment. Les banques appliquent les politiques qu'elles veulent...
Mais pour ce qui est des taux d'intérêt, est-ce qu'elles ont l'obligation de suivre systématiquement le taux directeur de Bank Al-Maghrib ?
De façon technique et mécanique, on peut dire que oui. Car le taux directeur est celui auquel les banques commerciales empruntent auprès de la Banque centrale. Donc, elles sont obligées de suivre. Mais lorsque ce taux baisse considérablement, certaines ne voient pas l'intérêt immédiat de baisser leurs taux d'intérêt. C'est là où le bât blesse. Cela suppose donc que la Banque centrale maintienne une certaine pression sur le secteur bancaire pour voir si ces évolutions sont répercutées sur leurs taux appliqués aux clients. Là, je pense davantage aux clients particuliers qui, le plus souvent, ne s'intéressent pas au taux directeur.
Cela dit, est-ce que ce ne sont pas les lois du marché qui imposent leurs règles ?
Le secteur bancaire est régulé aussi bien au niveau national que par les règles de Bâle. Donc, certaines dispositions s'imposent. Il est vrai que nous sommes dans un régime de libre-concurrence, mais pas au point de léser le consommateur final. Encore une fois, le constat qui se dégage au Maroc est que les banques se permettent pratiquement beaucoup de liberté et continuent de se sucrer comme elles le veulent. L'info...Graphie Politique monétaire : hausse de 6,7% des crédits à fin 2022 Selon Bank Al-Maghrib, le crédit au secteur non financier s'est accru de 6,7% au quatrième trimestre de l'année 2022, au lieu de 5% un trimestre auparavant. Cette évolution, poursuit BAM, est le résultat des accélérations des rythmes de progression des prêts accordés aux entreprises privées de 8,7% à 9,8%, et aux ménages de 3,4% à 3,6%, ainsi qu'une augmentation de 6,3% des prêts aux entreprises publiques contre une baisse de 10,9% au troisième trimestre. « L'évolution du crédit aux entreprises privées reflète notamment une hausse de 4% des prêts à l'équipement après 3,2% et une consolidation du rythme de progression des facilités de trésorerie à 14,7% », note BAM dans son rapport sur la politique monétaire. S'agissant des concours accordés aux entreprises publiques, les facilités de trésorerie ont augmenté de 166,1% après 54,9% au troisième trimestre et la baisse des prêts à l'équipement s'est atténuée de 16,9% à 5,9%.
Concernant les crédits aux entrepreneurs individuels, leur rythme d'accroissement est passé de 7,5% à 7,8%, reflétant en particulier la progression des facilités de trésorerie de 11,9% après 9,2%, relève BAM. Quant aux prêts aux particuliers, ils ont augmenté de 3,3% après 3% un trimestre auparavant, résultat d'une hausse des crédits à l'habitat de 3,2% après 2,9% et des crédits à la consommation de 4% après 3,5%. Par branche d'activité, les données du T4-2022 indiquent des progressions annuelles de 39,9% des crédits accordés aux entreprises du secteur de l'électricité, gaz et eau, de 10,1% pour les industries alimentaires et tabac, de 7,5% pour l'agriculture et pêche et de 12,5% pour les industries extractives. Banques : les dépôts à vue grimpent à 8,9% Le rythme de croissance de l'agrégat M3, qui représente la masse monétaire, s'est accéléré à 8% en 2022. Cette évolution reflète notamment un net accroissement de la progression de la monnaie fiduciaire de 6,5% en 2021 à 10,8% et des dépôts à vue auprès des banques à 8,9% après 7,6%, précise la Banque centrale. Par principales contreparties, l'évolution de la masse monétaire reflète notamment les accélérations de 10,3% à 14,4% du rythme d'accroissement des créances nettes sur l'administration centrale, et de 5,1% à 6,7% du crédit bancaire, alors que la progression des avoirs officiels de réserve est revenue de 8,2% à 4,9%, fait savoir la même source. Au quatrième trimestre de l'année 2022, l'agrégat M3 a affiché une hausse de 6,6%, suite à une accélération du rythme d'accroissement de la monnaie fiduciaire de 7,1% à 9%. Les titres des Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM) monétaires se sont accrus de 18,1% au 4ème trimestre après 8,1% un trimestre auparavant.