« Attendez, je dois aller les voir!» Qui? Les fans, qui, sous le chaud soleil du Haillan, attendent, imperturbables, après l'entraînement, que leur joueur préféré ait enfin quitté les vestiaires. Marouane Chamakh est connu pour y lambiner, mais, aussi, apprécié pour ne jamais se détourner de ceux qui l'admirent et font le pied de grue. Des amis le prennent à part pour lui expliquer que, quand on est propriétaire, on paie des impôts fonciers et une taxe d'habitation. Chamakh n'a que vingt-cinq ans. C'est jeune pour tout savoir des méandres fiscaux. C'est jeune, aussi, pour appréhender sereinement le premier transfert de sa vie. On sait qu'il a hésité; on l'a senti fragile face à l'événement, au déferlement médiatique. Mais au sortir de l'interminable épisode dont il attendait un autre clap de fin, sa candeur l'a élevé, l'a révélé. Prévenant – « Vous voulez boire quelque chose? Non? Vous êtes sûr?», il fait vraiment bon travailler en sa compagnie. Comme sur le terrain, sans doute... «Marouane, en vous voyant signer des autographes, on se disait que vous auriez peut-être aimé ce bain de foule aiIIeurs? C'est oublié? Pour l'instant, oui. C'est clair que ça n'a pas été facile. Je tente de surmonter tout ça. Je le répète: j'essaie de faire le deuil... Ce n'est pas plus mal. Il y a aussi un joli challenge, même si je dis et je répète que mon envie prioritaire, c'était de partir. Mais je ne regrette pas mon choix. J'ai eu un discours avec le coach. On a clarifié la situation. Avez-vous tiré des leçons de cet été mouvementé? Beaucoup de leçons, oui, dont celle-ci: surtout ne pas parler trop vite! Je regrette peut-être d'avoir fait part de mes sentiments. D'un côté, c'était bien, mais d'un autre, non. Si ça coïnce comme ça a été le cas, c'est encore plus dur après. Je m'étais mis dans la tête que j'étais prêt à aller à l'étranger cette année après avoir accompli une grosse saison et gagné le titre. Je m'étais préparé pour partir, ça ne s'est pas fait... J'en retire surtout qu'il faut que je m'exprime moins, que je garde certaines choses en communauté restreinte. J'aurais dû plus en faire part au coach, aux intimes du club, et moins en divulguer à la presse... En même temps, ça vous a rendu plus humain, presque touchant vu de l'extérieur. Bien sûr. Je ne veux pas dire que ce que j'ai fait est une erreur, mais je voyais que la porte se fermait, que je n'avais pas d'autre solution que de refaire une saison ici. J'ai compris peut-être un peu tard l'intérêt que Bordeaux me portait vraiment. Le discours du coach m'a alors fait beaucoup de bien: il a été franc et sincère. Vous avez aussi appris des hommes ? Oui. C'était une drôle de situation. Il y avait déjà eu un faux départ à Lyon, il y a trois ans. Ça ne s'était pas passé de la même façon parce que cette fois-là je n'étais pas prêt à partir. Là, le coach et les joueurs ID' ont montré qu'ils voulaient que je reste avec eux. On se souvient de votre sortie au lendemain du sacre. Vous aviez dit, place des Quinconces, que vous vouliez rester, avant de vous reprendre… C'est vrai qu'avec la fatigue c'était venu du coeur. Le lendemain. j'ai dû faire un démenti pour confirmer mon intention de partir. Toute la nuit, mes coéquipiers et mes amis m'avaient demandé de rester. C'est vrai qu'Alou Diarra m'a fait du rentre-dedans! Lui, quand il vous marque de près... Le plus dur, c'était quand je sortais dehors, à la boulangerie par exemple, et qu'on m'y demandait de refaire une saison ici. Cet amour - appelons ça comme ça - des autres pour vous, ça vous a touché? Bien sûr. Ça a beaucoup compté. C'est pour ça que je me dois de le leur rendre sur le terrain. Ce que j'ai toujours fait. Mais le fait que les supporters, le coach, mes amis, mes coéquipiers, ma famille m'aient motivé dans ce sens, ça a énormément joué. Quelqu'un d'autre que Laurent Blanc aurait-il pu vous faire rester? Il a beaucoup compté. Le président Triaud, aussi, m'a beaucoup parlé. Il m'a dit lui aussi que mon intérêt était plus de rester. Mais quels mots Blanc a-t-il utilisés pour vous convaincre? Refaire ici une saison pleine de manière à partir beaucoup plus serein après avoir confirmé. Et surtout pour aller là où j'ai vraiment envie d'aller. Avez-vous été un peu déçu par les hésitations d'Arsenal ? (Il marque un temps de réflexion.) Non. J'étais content qu'ils s'intéressent à moi. Après, qu'ils ne soient pas allés jusqu'au bout, c'est une question sur laquelle je n'ai pas mon mot à dire. Je ne sais pas si je dois ne pas être content qu'Arsenal n'ait pas fait de surenchère ou si je ne dois pas l'être parce que Bordeaux n'a pas accepté leur première offre. C'est toujours un sentiment mitigé. Je ne sais pas trop. Je préfère ne mettre la faute ni d'un côté ni de l'autre pour être serein dans ma tête Finalement, Chamakh, malgré une super saison en L 1, n'a pas été perçu comme une vedette. Cela vous a-t-il déçu ? Mais c'est quelque chose à quoi je m'attendais! Je ne suis pas fou: quand j'ai émis mon souhait de départ, on a parlé à ma place, mais moi, je ne visais en aucun cas les quatre grands clubs d'Angleterre. Dans ma tête, je voulais simplement rejoindre la Premier League. Quand vous êtes-vous dit une fois pour toutes « je reste » ? Après le match de Marseille (0-0, 4ème journée, le 30 août). Juste avant la fin du mercato. Ce n'est que là que j'ai pu être tranquille. Jusqu'au bout, Arsenal pouvait faire une nouvelle offre. Bordeaux pouvait aussi à tout moment accepter. Je n'ai donc pu vraiment faire le vide qu'après le 31 août. On a découvert que, malgré votre notoriété grandissante, vous n'étiez pas le joueur le mieux rémunéré de votre équipe, et de loin. Une prolongation de contrat remédierait-elle à cela? Ah, ça, je n'ai jamais voulu en parler, même si c'est quelque chose qui a fini par se savoir malgré moi. Mais je n'ai jamais jugé que je n'étais pas payé à ma valeur. Ce sont des gens extérieurs qui disent ça. Moi, je ne me suis jamais plaint à ce sujet. Je pense que, pour le métier qu'on fait, on peut déjà s'estimer satisfait. Et je ne fais pas ici de langue de bois. Je suis hyper content de mon sort. Je ne me plains pas et je ne me focalise pas là-dessus. Vous êtes-vous fixé une date limite pour rediscuter de votre contrat ? Pour l'instant, il n'y en a pas, parce qu'il faut vraiment que je fasse le vide avant d'en reparler. Je sais que la porte est ouverte du côté des Girondins, et je viendrai y frapper dès que je serai prêt à en parler. Je n'exclus rien. Pour l'instant, bien sûr, mon envie est de ne pas prolonger dans l'immédiat, mais j'ai payé pour apprendre qu'il valait mieux ne pas fermer de portes. II faut laisser passer peu de temps, faire le vide et revenir plus tard. Avez-vous le sentiment d'être pLus considéré ? Oui l'année dernière, on a tout raflé: Coupe de la ligue, le Trophée des champions en début de saison et le championnat qu'on a repris à Lyon. On pris une autre dimension, qu'il faudra assumer cette saison. Le plus dur, ce sera ça: montrer que le titre, on ne «a pas eu par hasard, qu'on l'a obtenu grâce à nos qualités et notre philosophie, qui donne la priorité au jeu. On est une des rares équipes à jouer avec un numéro 10 et deux attaquants. On marque aussi beaucoup de buts, c'est quelque chose qu'il va falloir assumer même si on sait que va être plus dur. En quoi avez-vous évolué depuis que Blanc est votre entraîneur ? On a pu déjà constater sur l'année dernière le mes stats s'étaient améliorées! (13 buts n LI, le meilleur total de sa carrière). Et puis, il y a cette confiance qu'il m'a ramenée. Ma façon. aussi, d'oser plus, de tenter plus. Et puis sur le terrain tactiquement, j'essaie d'être hyper discipliné. Plus qu'avant. Il vous parle beaucoup, le coach ? Un peu, mais il a les mots justes. Pour dire ce qu'il faut faire. Quand ça ne va pas, il n'hésite pas à me le dire, et on essaie de rectifier avec lui. Pour moi, c'est le coach idéal. Il sait être cool quand il faut être cool sévère quand il faut être sévère, donner du repos quand il faut en donner. On sent qu'il a été joueur. II connaît nos vices! Vous en avez, vous ? Bah… Je peux parfois demander un peu plus de repos supplémentaire que nécessaire quand je suis fatigué... Et Gasset? Jean-Louis, c'est un élément important dans le staff technique. Peut-être l'élément le plus important. Je crois qu'il a sa grosse pierre dans l'édifice. Il tchatche, il chambre, il recadre, il motive avant les matches. Il nous fait prendre conscience qu'on n'a pas le droit à l'erreur, il booste notre motivation quand elle baisse un peu. Vous n'avez toujours pas inscrit le moindre but en Ligue des champions. Cela vous manque-t-il ? Un peu, mais ça ne me démange pas. Je sais que ça va arriver forcément. Je ne m'inquiète pas trop. Ça jouerait beaucoup pour ma notoriété européenne. mais je sais que ça va venir parce que le travail paie. Qu'est ce qui vous manque encore pour devenir un vrai buteur en Ligue des champions. Me trouver au bon endroit au bon moment, plus me concentrer sur les occases qu'on peut se créer. On a pu voir face à Marseille qu'lnzaghi ne s'est créé, lui, qu'une occasion, et qu'il a marqué deux buts! Alors, voilà l'exemple à suivre. Il faut sentir les coups. Même si je suis fatigué, sur mes appels de baIle, je dois franchir une étape supplémentaire. En Ligue des Champions, vous êtes souvent seul devant. (Il rit.) C'est beaucoup de boulot, mais c'est aussi beaucoup de plaisir. Même si je ne cache pas ma préférence pour la formule à deux attaquants, je suis aussi hyper heureux quand je suis seul car je sais la chance que j'ai de débuter. Alors, j'essaie de ne pas décevoir et de donner mon maximum. Il pourrait même me demander d'occuper trois postes en même temps! Votre éclosion va de pair avec celle de Yoann Gourcuff. Que vous a-t-il apporté ? Yoann a apporté ce jeu vers l'avant, ce coup de patte, là , qu'il a. Il m'a fait de nombreuses passes décisives. Pour un attaquant, c'est le meneur de jeu idéal. Il sent les coups ; On se comprend ! Il peut louper parfois des passes, je peux louper parfois des passes, mais on se sent. il y a un vraai feeling. Une qualification de Bordeaux pour le deuxième tour de la Ligue des champions pourrait-elle changer votre vision de l'avenir ? Pour l'instant, je ne sais pas... Je sais qu'on a les qualités pour faire quelque chose, pour surprendre beaucoup de gens car la logique voudrait que la Juve et le Bayem passent. Ils ont des budgets hors norme pour cela. Mais si on se qualifie pour les huitièmes, ça changera beaucoup pour tout le monde: pour le club et pour nous, aussi, les joueurs. Si une décision doit être prise, ce sera donc après la quaIif. J'agirai un peu plus dans l'instinct. Ce sera mieux que de m'avancer dès maintenant... Finalement, la meilleure façon d'oublier cet été mouvementé ne serait-il pas d'accomplir un super parcours européen ? Bien sûr que si. Déjà, ça me récompenserait un peu d'être resté ici. Je pense, en plus, que collectivement on mériterait aussi de passer parce qu'on est en forme tous ensemble, parce qu'on est bien. Si on pouvait souffler une place en huitièmes de finale, ce serait un beau cadeau qu'on se ferait à nous tous. Comment expliquez-vous que Bordeaux ait su rester sur cette dynamique de victoires, ou en tout cas de « non-défaites » pendant aussi longtemps (les Girondins n'ont plus perdu en compétitions officielles depuis 20 matches) ? Il y a beaucoup de facteurs : l'ambiance qui règne entre nous pas malsaine du tout; l'état d'esprit qu'on a sur le terrain - même menés au score la saison dernière. on n'a jamais rien lâché. C'est une confiance qui a pris de l'ampleur petit à petit. Je ne veux pas dire qu'on se sent invincible, mais on est solidaires. Il n'y a pas d'égoïsme sur le terrain .Pas question de laisser un pote en galère. Quant on entre sur le terrain, on est vraiment une famille. C'est pour ça que le discours et la tactique tenus par le coach depuis deux saisons commencent à payer. J'espère que ça va durer ». (D'après France Football) Repères Marouane Chamakh. 25 ans. Né le 10 janvier 1984, à Tonneins (Lot-et-Garonne), 1.85m ; 70 kg. Attaquant. International marocain A. PARCOURS : Bordeaux (depuis 2000). PALMARES : Championnat du France 2009 ; Coupe de la Ligue 2007 et 2009 Trophée des Champions 2008 et 2009.