Cette fois, le Maroc a voté en faveur de la nouvelle Résolution onusienne contre la Russie. Un geste qui dénote d'une évolution de l'attitude du Royaume vis-à-vis de la guerre en Ukraine. Décryptage. Jeudi 23 février, à la veille du premier anniversaire de la guerre en Ukraine qui continue de tenir le monde en haleine, les représentants des Etats se sont réunis à l'Assemblée Générale des Nations Unies pour se prononcer, à nouveau, sur la guerre en Ukraine. Résultat des courses : une majorité importante s'est prononcée en faveur de l'Ukraine. 141 pays ont voté la Résolution intitulée «Principes de la Charte des Nations Unies sous-tendant une paix globale, juste et durable en Ukraine», et qui exige le départ inconditionnel de toutes les troupes russes du territoire ukrainien. La Résolution appelle également à la cessation immédiate des hostilités. En réalité, la Résolution onusienne ne fait pas l'unanimité. La cartographie du vote prouve la fragmentation de l'attitude mondiale sur cette guerre. 35 pays, dont la Chine, l'Inde et la majeure partie de l'Asie et quelques pays africains se sont abstenus. Cela dit, une partie non-négligeable de la communauté internationale refuse de s'aligner dans un conflit perçu comme un bras de fer géopolitique opposant la Russie à l'Occident.
Changement d'attitude ? Dans cet échiquier si complexe, le Maroc se positionne. À la différence des votes précédents, le Royaume a voté en faveur de la Résolution pro-ukrainienne, aux côtés d'une vingtaine de pays africains et d'une dizaine de pays arabes. Un geste poignant de la part de la diplomatie marocaine qui nous a habitués à une politique qui trahit une certaine neutralité. Le Royaume, rappelons-le, avait déserté le vote de la toute première Résolution relative au conflit russo-ukrainien votée le 2 mars 2022. Pour clarifier la position marocaine, le ministère des Affaires étrangères a pris soin de publier un communiqué circonstancié où il a fait le rappel des principes de la Charte de Nations Unies. Deux idées sont mises en avant : l'attachement du Royaume à la souveraineté et l'intégrité territoriale des Etats et au non-recours à la force comme moyen de règlement des différends interétatiques.Une position jugée comme prudente du Royaume qui s'est mis à l'abri du clivage diplomatique mondial. Même attitude constatée lors du vote de la Résolution du 6 avril dernier. Le Royaume n'a pas rejoint les pays qui ont ardemment plaidé pour la suspension de la Russie du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies. Tout a changé en octobre lorsque la Russie a annoncé l'annexion des quatre régions désormais contrôlées par ses troupes (Donetsk, Lougansk, Zaporijjia et Kherson), mais qu'elle ne contrôle que partiellement maintenant. Le 12 octobre, le Maroc a figuré dans la liste des 143 Etats qui ont condamnant les "soi-disant référendums illégaux" de la Russie dans les régions situées à l'intérieur des frontières reconnues de l'Ukraine et lui demande de revenir sur sa déclaration d'annexion. Un mois plus tard, le Royaume a renoué avec sa politique en s'absentant lors du vote de la Résolution ES-11/5 qui a appelé la Russie à verser des réparations à l'Ukraine pour les dommages infligés pendant la guerre.
Positionnement mûrement réfléchi
Maintenant que le Maroc s'est prononcé en faveur du retrait des troupes russes, nombreux sont ceux qui pensent que ce geste est significatif et dénote d'une certaine évolution de la position du Royaume vis-à-vis du conflit russo-ukrainien. Toutefois, la qualification pose problème. Sur le plan officiel, le Maroc pèse ses mots et reste fidèle à sa diplomatie équilibrée, loin de la loquacité politique. Contactée par nos soins, une source diplomatique a fait savoir que l'attitude du Royaume à l'égard de la guerre en Ukraine demeure encadrée et conforme à l'esprit du communiqué du 2 mars. «Le Royaume a été clair en expliquant sa position pour éviter toute interprétation», poursuit notre interlocuteur qui en est resté là. De son côté, Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), voit dans le vote du Maroc pour le départ des troupes russes un «abandon de la politique de la chaise vide». Pour sa part, Anas Abdoun, Analyste en prospective économique et géopolitique chez Stratas Advisor, pense que le Royaume a eu assez de recul, après un an de guerre en Ukraine, pour avoir sa propre vision indépendamment de la rivalité russo-occidentale. «Si la nature de la Résolution est similaire à celle qui a été portée l'année dernière à l'Assemblée Générale des Nations Unies, le contexte militaire était diffèrent. Il y a un an, au début de la guerre, les deux belligérants s'accuseraient mutuellement sur le déclenchement des hostilités et il n'était alors pas possible, ni pour le Maroc ni pour l'ONU, de confirmer ou d'infirmer chacune des accusations», explique M. Abdoun, ajoutant que la nature de la Résolution du 2 mars, non votée par le Royaume, «était portée par une logique de bloc». Notre interlocuteur fait allusion ici à l'Occident contre la Russie, une confrontation dans laquelle le Maroc n'est pas retrouvé à l'époque. «Or, aujourd'hui, il existe le recul de l'analyse qui permet au Maroc de voter cette Résolution et la logique de bloc s'est dissipée à l'image de celle des 16 pays qui ont revu leur vote à la lumière des faits rapportés du terrain et non du fait des tractations diplomatiques», conclut M. Abdoun. Par ailleurs, loin de l'arène diplomatique, le Maroc a fait des gestes qui sont passés quasiment inaperçus. Le Royaume, rappelons-le, a participé au Sommet du groupe consultatif pour la défense de l'Ukraine en avril 2022. Représenté par le ministre délégué chargé de l'Administration de la Défense nationale, Abdellatif Loudiyi, le Maroc a pris part à ce Sommet organisé à l'initiative des Etats-Unis et qui a été dédié au soutien militaire à l'Ukraine. Toutefois, la participation du Maroc, non-commentée au niveau officiel, ne saurait être interprétée comme un engagement concret en faveur de l'Ukraine. En réalité, les rumeurs liées à une possible cession de chars T-72, en cours de rénovation, à l'Ukraine, ont été démenties après avoir fait le tour des médias. En définitive, le Maroc, fidèle à sa pondération diplomatique, reste attaché à une solution pacifique tout en continuant à discuter aussi bien avec la Russie qu'avec l'Ukraine. Pour sa part, Kiev, qui vient de nommer un nouvel ambassadeur à Rabat, aspire à plus de dialogue. Anass MACHLOUKH Trois questions à Emmanuel Dupuy : « Le Maroc a abandonné la politique de la chaise vide » Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuya répondu à nos questions. Que peut-on retenir du vote de la Résolution onusienne ? En effet, 141 pays parmi 180 votants ont voté pour la Résolution. C'est un chiffre assez remarquable. Il y en a eu moins d'abstentions puisque 32 pays se sont abstenus cette fois-ci contre 35 en mars dernier. Accessoirement, les pays qui soutiennent la Russie restent les mêmes, à l'exception du Mali qui les a rejoints. L'emprise du groupe Wagner et le rapprochement militaire russo-malien en sont pour quelque chose. Mais en général, on peut dire que le vote n'est pas porteur de gros changements. Les lignes de soutien à l'Ukraine n'ont pas beaucoup bougé, mais se sont consolidées et renforcées. Par contre, en Afrique, il y a des positions qui traduisent une gêne quant aux effets de la guerre sur les pays du continent. Force est de constater qu'ils sont nombreux à avoir des difficultés à se fournir en engrais et en céréales. Cette Résolution remet l'ONU au centre du jeu. Comment peut-on interpréter le vote du Royaume ? Le Maroc a, au début, pratiqué la politique de la chaise vide en faisant partie des douze pays qui se sont absentés lors du vote de la Résolution du 2 mars. Donc, ce vote est une critique de la position russe. Le Maroc change ainsi de positionnement en allant dans le sens des pays dits occidentaux. Il faut lire attentivement l'intitulé de la Résolution qui appelle au respect des principes de la Charte des Nations Unies, sous-tendant une paix juste et globale en Ukraine. C'est beaucoup plus subtil que de dénoncer simplement l'invasion russe. C'est une façon de concevoir l'après. Est-ce que l'Ukraine peut remporter la bataille diplomatique en Afrique, à votre avis ? Actuellement, aucun des deux belligérants ne sort gagnant. C'est une question de perception. En Afrique, il est clair que l'Ukraine a moins de présence que la Russie qui a des accords militaires avec plusieurs pays. Je ne crois pas que l'Ukraine soit en train de gagner en Afrique. Cela n'empêche que la cause ukrainienne soit de plus en plus comprise par les pays africains qui demeurent attachés à la souveraineté des Etats, à l'intangibilité des frontières et à l'intégrité territoriale. On peut parler dans ce cas d'une possible convergence diplomatique avec l'Occident qui soutient l'Ukraine.
Propos recueillis par Anass MACHLOUKH L'info...Graphie Ukraine : Kiev voit loin et veut plus ! En plein conflit, le Royaume a préservé le dialogue politique avec les deux belligérants. En témoigne le geste du Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, qui, le même jour du 22 mars, s'est entretenu avec ses homologue russe et ukrainien. L'Ukraine semblait vouloir plus, vu que le président Volodymir Zelensky a rappelé, en mars 2022, son ex-ambassadrice au Maroc, Oksana Vasylieva, jugeant qu'elle n'a pas fait assez d'efforts pour défendre les intérêts de son pays au Maroc. Maintenant, le flambeau est donné à une nouvelle personnalité à qui incombe la mission de renforcer les relations bilatérales. Il s'agit de Serhiy Sayenko qui vient de s'installer à Rabat à la tête de l'ambassade située au quartier OLM Souissi. Parfaitement francophone, le nouvel ambassadeur ukrainien entend profiter de son expérience d'ex-diplomate à Bruxelles pour renforcer les liens entre les deux pays. Le cap est fixé. Sayenko, qui n'a pas encore remis ses lettres de créances à SM le Roi, veut capitaliser sur les relations jugées cordiales et amicales entre Rabat et Kiev. Lors de leur premier et dernier entretien, Nasser Bourita et Dmytro Kuleba, ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, ont parlé de coopération bilatérale et se sont félicités de la collaboration entre les autorités des deux pays en ce qui concerne le rapatriement des étudiants marocains. Maroc - Russie : Le dialogue politique se poursuit malgré le report de la visite de Lavrov Malgré le report de la visite du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, au Maroc, le dialogue continue entre les deux pays. Une nouvelle réunion a eu lieu, jeudi 9 février, entre le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Vershinin, et l'ambassadeur du Maroc en Russie, Lotfi Bouchaâra. Cette réunion a été consacrée à plusieurs sujets d'intérêt commun, dont l'examen de la question du Sahara marocain dans laquelle la Russie est concernée en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité. Annoncée en début février, la visite de Lavrov a été reportée, et plusieurs questions sur ce report, qui intervint en pleine tournée du chef de la diplomatie russe en Afrique, ont été soulevées. Jusqu'à présent, aucune raison n'a été officiellement donnée ni du côté marocain ni du côté russe. La coopération continue comme en témoigne les importations marocaines de plus en plus importantes de carburants russes. Du côté de Moscou, le Maroc est perçu comme un pays équilibré dans sa position à l'égard de l'Ukraine. Dans une interview accordée à «L'Opinion», Karine Chebet Golovko, professeure à l'Université d'Etat de Moscou, a expliqué que les Russes comprennent bien que «le Maroc a des intérêts aussi bien avec l'Europe et les Etats-Unis qu'avec la Russie, ce qui le pousse à rester à l'écart des rivalités entre les deux blocs».