Il y a exactement 79 ans, le Parti de l'Istiqlal avait rédigé un Manifeste demandant la pleine indépendance du Maroc. Depuis le temps, le peuple marocain célèbre chaque 11 janvier cet événement qui a constitué un tournant dans l'action populaire pour l'indépendance, l'établissement de la démocratie, la garantie des droits et la dignité des citoyens et le parachèvement de l'intégrité territoriale du pays. Il y a aujourd'hui 79 ans, un groupe de nationalistes courageux et déterminés a signé un acte fondateur dans l'histoire du Maroc moderne. Il étaient près de 70 dont une femme et représentaient les différentes régions du Royaume, à revendiquer l'émancipation du peuple qui, depuis 1912, vivait sous le joug d'un «protectorat» aux allures de colonisation. La commémoration de cet anniversaire crucial intervient cette année dans un contexte qui conforme la détermination du Maroc à poursuivre son processus de libération et de recouvrement de son intégrité territoriale. Dans la continuité de l'esprit du 11 janvier, le Royaume a accompli des pas de géant dans ce sens. Les victoires diplomatiques, la reconnaissance de la marocanité du Sahara par un nombre de pays arabes et africains, et celle officielle des Etats- Unis, la consécration légale des frontières maritimes atlantiques et la libération d'El Guergarat ont d'ailleurs marqué le cours de l'an- née 2020 la consacrant comme une année charnière dans ce processus. Les villes occupées de Sebta et Melilia restent un volet important pour achever, pour de bon, cette question de souveraineté de la Nation marocaine sur ses terres ancestrales. La date la plus importante de l'Histoire du Mouvement national
Les historiens s'accordent à dire que cette date est la plus importante dans l'histoire du mouvement national et de la lutte pour l'indépendance du pays. Présenté, le 11 janvier 1944, ce document a constitué un tournant décisif dans la lutte visant à affranchir le royaume du colonialisme, scellant un pacte entre le roi, Feu Mohammed V, et les figures du Mouvement national. Cet accord, qui illustre la volonté commune du Trône et du peuple d'en finir avec le protectorat pour un Maroc libre et indépendant, a permis d'entamer la phase de revendication publique de l'indépendance et de la souveraineté nationale. A lire rétrospectivement le Manifeste, à regarder la manière dont le problème de l'Indépendance avait été posé, nous restons impression- nés par la force de la revendication qui marqua le contenu du texte, à un moment où le monde sortait difficilement de la Deuxième Guerre mondiale, où la France sortait de l'occupation nazie. Dès les premières lignes, les signataires ré[1]clamèrent l'indépendance du Maroc dans son intégrité territoriale sous l'égide du Roi Mohammed Ben Youssef. L'indépendance et rien d'autre, mais sous l'autorité du Roi légitime, et seul garant de l'unité et le symbole de la souveraineté. Il y avait à l'évidence une subtile logique dans le propos qui posait la libération comme principe in- contournable. Cette exigence que la libération du Maroc ne pouvait s'effectuer que dans ses frontières naturelles et dans l'intégrité territoriale du Royaume représentait un point de non-retour dans la marche du rétablissement du droit d'une Nation à disposer d'elle-même. La commémoration de la journée du 11 janvier cristallise ainsi la volonté de tous les patriotes sincères et dévoués à la cause du peuple de mener ensemble la lutte pour ouvrir de nouveaux horizons, forger une nouvelle mentalité et donner au Maroc démocratique et souverain la place qui lui sied sur la carte du monde. Un acte fondateur dans l'édification du Maroc moderne Cette édification de l'avenir du Maroc, jouissant de son indépendance politique, économique et culturelle et où tous les citoyens profitent de façon égale des fruits de cette indépendance, exige la conjugaison des efforts de tous et la mobilisation de toutes les potentialités pour relever les dés et consolider les fondements d'un édifice solide capable de faire face à tous les dés. Le 11 janvier a été le point de départ pour le peuple marocain afin d'établir la démocratie, de surmonter les obstacles et de disposer de tous les moyens de défense et d'immunité. La présentation de ce Manifeste le 11 janvier 1944 à feu S.M Mohammed V, au Résident général français, aux consuls de Grande-Bretagne et des Etats-Unis au Maroc et à l'ambassadeur de l'Union Soviétique, a constitué un cap décisif dans la lutte du peuple marocain. Après avoir pris connaissance de cet important événement, ce peuple libre et fier a organisé des actions dans plusieurs villes. Les autorités coloniales ont alors procédé à l'arrestation de plusieurs leaders du Mouvement national, à la suite de quoi des grèves et des manifestations ont éclaté, particulièrement dans les villes de Rabat, Salé et Fès. Le 11 janvier 1944 concrétise donc le fait que le peuple marocain avait dépassé le stade de revendication des simples réformes économiques, administratives et sociales pour exiger l'indépendance du pays. Le programme était ainsi tracé et les objectifs définis. Une feuille de route qui servira de socle auquel s'attacheront aussi bien le Roi que les nationalistes marocains autour de lui. Une stratégie a tout de suite pris forme, adaptée aux circonstances nationales, mais en corrélation aussi avec les textes qui fleurissaient un peu partout dans le monde à cette époque sur les mouvements de libération nationale. Aussi bien dans le monde arabe qu'en Asie ou en Afrique. Ce n'est pas par hasard que des années plus tard, suscitant des échos d'admiration en Afrique et en Asie, le combat de Mohammed V fut évoqué comme une forte illustration de l'engagement politique, fait de sagesse et de détermination. Ce n'est pas non plus un hasard si les autorités coloniales françaises, mesurant la profondeur des liens qui unissaient le Roi et son peuple, n'en démordirent pas une seconde pour briser ce lien sacré et en découdre avec le guide de la nation, propulsé désormais sur la scène nationale et internationale comme un leader dont la force de aussi une véritable conspiration, une campagne sour- noise d'intrigues et de complots en sous-main, menés par le général Juin et des mercenaires de sous-préfecture, pour réussir à exiler, un matin du 20 août 1953, le Roi et sa famille, le contraindre de force à quitter son pays et à s'éloigner de son peuple. Une véritable forfaiture, c'est ce qu'a été le complot d'un groupe de connétables envers la personne qui incarnait l'histoire millénaire du Maroc et portait tous les espoirs du peuple en lui. Une répression démesurée, une détermination à toute épreuve
La répression qui suivit la publication du Manifeste du 11 janvier et la réunion au Palais Royal de Rabat entre le Souverain et les nationalistes était féroce. Elle n'avait d'égale que la résolution coléreuse mais calme et froide de Mohammed V à défendre la liberté de son peuple et l'indépendance de son pays. Le 10 avril 1947, en visite à Tanger avec sa petite famille, il prit sur lui de prononcer du haut de la Mandoubia, dans cette cité méditerranéenne séparée seulement de l'Europe par 13 kilomètres, un discours historique fondateur. Cet appel solennel eut un retentissement international, compte tenu du fait que la capitale du Nord avait un statut particulier de Place internationale et, de ce fait, servait de caisse de résonance à la revendication royale qui n'était autre que la revendication d'indépendance du peuple. Le coup de traîtrise du général Juin du 20 août 1953 aura été la sinistre réponse à la ténacité du Souverain, mais qui n'a en rien entamé sa perspicacité et à sa résolution puisqu'en décembre 1952, soit quelques mois auparavant, des révoltes populaires d'une rare violence éclatèrent dans les Carrières centrales de Casablanca après l'assassinat en Tunisie du leader syndical Farhat Hachad, révoltes qui se déroulèrent aussi, surtout, sous l'emblème du soutien au Roi, prenant de court le préfet français de la ville, Boniface et ses troupes. La conjonction entre le Roi et les forces nationales ne faisait plus de doute pour les responsables coloniaux. D'ailleurs, ils mesurèrent les enjeux non sans gravité et conclurent à la nécessité d'en extirper les racines. Ce qu'ils firent, sans toutefois se rendre compte qu'ils renforçaient la symbiose entre Mohammed V et son peuple, donnant à l'un et à l'autre une légitimité supplémentaire à continuer le combat libérateur au nom de la justice, de la liberté et de la dignité. Le 16 novembre 1955, après deux an d'exil en Corse et à Antsirabé (Madagascar), après aussi de laborieuses négociations menées à la Celle Saint[1]Cloud avec Antoine Pinay et Edgar Faure, Mohammed V regagna le Royaume et y t un retour triomphal dans une liesse populaire indescriptible qui aura laissé une empreinte indélébile dans la mémoire de millions de marocains.
Le Manifeste du Nord
En dépit du partage colonial que subissait notre pays et des circonstances de la deuxième Guerre Mondiale qui ne permettaient aucun contact en 1944 entre les deux parties du Mouvement National au Nord et au Sud, l'unité de pensée était plus forte que les frontières préfabriquées installées par le colonialisme. Et l'Histoire a enregistré que le Front National dans le Nord avait présenté aux grandes puissances en novembre 1943 un mémorandum réclamant l'Indépendance. Mais dès que le Manifeste du 11 Janvier 1944 a vu le jour, le Parti de la Réforme Nationale que présidait le regretté Abdelkhalek Torrès, que Dieu ait son âme, lui manifesta son soutien en réaffirmant l'unité du territoire national. Majesté, Nous avons appris connaissance des nobles décisions présentées à Votre Majesté par cette élite digne de Marocains authentiques et des valeureux nationalistes combattants issus du Parti de l'Istiqlal. Ces grandes décisions marqueront l'Histoire glorieuse du Maroc car elles sont fondées sur le droit, la justice et l'équité. Elles constituent les revendications de la nation entière et tout le peuple y adhère. Celui qui s'opposerait à ces aspirations donnerait la preuve de son manque de foi, de son athéisme, de sa traîtrise et de son hypocrisie. Si le Parti de l'Istiqlal élève aujourd'hui la voix en lançant un tel cri, c'est pour porter très haut le nom du Maroc parmi les nations vivantes et les peuples éveillés. Majesté, Nous saisissons cette occasion pour joindre notre voix à celle du Parti de l'Istiqlal, pour appuyer et soutenir cette revendication légitime, exprimant ainsi les sentiments de Votre peuple fidèle dans cette zone du Maroc et réaffirmant à Votre Majesté que nos principes et nos sentiments dans ces régions sont les mêmes que ceux qui animent les Marocains loyaux et tout ce qui vous attriste là-bas, nous chagrine ici, et tout ce qui vous égaie là-bas, nous réconforte ici... En effet, nous nous considérons comme une partie intégrante du glorieux Maroc et de sa grandeur à travers son Sahara, ses campagnes, ses montagnes, ses plaines, ses fleuves, ses côtes, à travers ses valeureux hommes et ses esprits clairvoyants. Et si nos frères du Sud se plaignent de l'occupant français, au Nord, nous souffrons de deux maux : de l'abject colonialisme espagnol et de la scission de notre grande patrie. C'est comme si un membre était détaché du corps et ni le premier, ni le second ne peuvent remplir leur fonction. Notre malheur est grand en ce sens que nous subissons la misère, l'injustice, l'atteinte à notre religion et les haines racistes. Ces excès visent notre extermination et menacent notre authenticité. 4 Rabiï El Aoual 1363 (29-2-1944)
Les signataires : Abdelkhalek Torrès, Thami El Ouazzani, Ahmed Ghaïlane, Mohamed Tanji, Mohamed Ettnaya, Mohamed Afilal, Haj Mohamed Chorfi, Haj Mohamed Seffar, Taeb Bennouna.
Adhésion Le Nord rejoint la marche
Quelques semaines après la présentation du Manifeste, et au regard de l'impact de celui-ci sur la conscience populaire de la nécessité de libérer le pays du joug de la colonisation, un autre document a vu le jour, le 29 février 1944 à Tétouan cette fois-ci, pour consacrer l'unité du peuple marocain. Les nationalistes du Nord ont tenu à confirmer leur adhésion totale et inconditionnelle aux termes et à l'esprit du Manifeste. Placés sous l'occupation espagnole, les représentants du mouvement national dans ces régions ont tenu à affirmer leur attachement à la terre, à l'histoire et aux valeurs de cette Nation plus que millénaire. Ils ont d'ailleurs mis l'accent sur la notion d'unité du peuple et de son Souverain légitime comme réponse à l'état de fait qui est la dislocation du territoire national par les forces coloniales. Ils y ont d'ailleurs tenu à préciser que cette union sacrée concernait la totalité des terres injuste[1]ment spoliées du nord au Sud du Royaume. Union qui s'est concrétisée dans la foulée du combat politique et armé contre les occupants pour aboutir l'indépendance intervenue en 1956.