La hausse des revenus des salariés, surtout ceux du secteur privé, suscite un débat houleux au sein du Parlement, au moment où le PLF, qui ne prévoit pas une telle mesure, est sous la loupe des parlementaires. L'Etat peut-il prendre une telle mesure ? S'il y a bien un sujet qui domine les discussions en ces temps de révision du Projet de Loi des Finances (PLF 2023), c'est bien celui de la hausse des salaires. Au moment où le coût de la vie connaît un rythme haussier, les attentes des ménages tournent autour des mesures gouvernementales qui pourraient avoir un effet positif sur leur pouvoir d'achat. Sauf que pour l'instant, les dispositions prévues dans le nouveau budget de l'Etat sont loin d'apporter des changements majeurs à la situation. Et, au moment où les représentants de la classe laborieuse misaient sur la réforme fiscale pour voir une éventuelle hausse des salaires, le ministre délégué chargé du Budget Fouzi Lekjaâ a tranché : «La révision de l'IR n'a jamais eu comme objectif l'augmentation des salaires». L'impact du réaménagement du barème de l'IR, selon lui, ne dépasserait pas les 300 dirhams pour les fonctionnaires, si on prend l'exemple du secteur public, et seulement le un tiers de cette catégorie en profiterait. Pour le secteur privé, ces chiffres seraient revus à la hausse, vu l'importante masse salariale exigée par le tissu économique privé, pourtant, aucune mesure spécifique n'est en vue. Ceci alors que le moral des ménages est au plus bas, que le taux de la pauvreté augmente au fur et à mesure que grimpe l'indice des prix à la consommation et que seulement un Marocain sur trois arrive à épargner. Cela dit, les centrales syndicales les plus représentatives n'ont pas encore lâché prise, et ont présenté une série de propositions à la tutelle pour avancer vers la généralisation de la hausse des salaires. Celles-ci soulignent la nécessité d'améliorer les revenus des salariés de manière à accompagner la flambée des prix qui s'accentue au Maroc. Pour l'Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM), par exemple, la conjoncture requiert une revalorisation salariale de 10% en plus de la baisse de la pression fiscale pour les salariés aussi bien du secteur public que du secteur privé. Cette proposition a été présentée en mai, mais il n'en fut rien. Par ailleurs, tous les syndicats s'accordent sur une chose : «La réforme de l'IR est l'une des principales portes d'entrée vers le renforcement du pouvoir d'achat des ménages». Un avis, d'ailleurs, partagé par l'analyste financier Badr Lachgar, qui indique que «l'Etat peut baisser ses taux de prélèvements sur le salaire brut des employés, ce qui aura automatiquement un effet haussier sur le salaire net», à condition que les entreprises fassent en sorte que les salariés bénéficient des retombées d'une telle mesure. Dans une autre mesure, moins coercitive cette fois-ci, l'Etat pourrait sceller des accords sectoriels avec le secteur privé (industrie automobile, textile, transport... etc.), de manière à lancer des négociations entre syndicats et employeurs pour étudier d'éventuelles hausses salariales. Mais là encore, rien n'oblige les employeurs à s'asseoir à la table des négociations, surtout que la crise réduit significativement leurs bénéfices. L'Etat a tout à perdre ! La seule option qui se présente, donc, devant l'Etat est d'assumer le coût d'une éventuelle hausse, ce qui reviendrait à se tirer une balle dans le pied et à se désarmer d'un budget nécessaire pour affronter une année 2023 où la récession économique menace de faire rage. Cette option est peu envisageable puisque que le PLF 2023 prévoit une augmentation de près de 12% des recettes de l'IR. Reste la deuxième option évoquée, où les entreprises assumeraient elles-mêmes le coût de la hausse des salaires. Mais là encore, il est difficile d'imaginer un tel scénario, car en plus du contexte économique défavorable, le budget de l'année prochaine prévoit de nouveaux barèmes de l'Impôt sur les Sociétés (IS), qui risquent de mettre en difficulté une certaine catégorie d'entreprises, particulièrement les PME. «Pour inciter les entreprises à hausser les salaires, il faut s'attendre à des revendications impliquant d'importantes concessions sur l'IS et autres taxes diverses», estime Lachgar. Cette option est également écartée, pour le moment, car le gouvernement ambitionne d'atteindre plus de 61 milliards de dirhams, soit une hausse de 19%. Notre expert plaide en faveur de l'équité fiscale, pour pouvoir engager des réformes aussi stratégiques que celle de la hausse généralisée des salaires. «Ce que l'Etat doit entreprendre à moyen terme, c'est d'intégrer dans l'assiette fiscale les métiers libéraux très rémunérateurs mais qui échappent aux filets fiscaux», conclut-il. Mais pour l'instant, rien n'est encore joué. En attendant les amendements des parlementaires, les syndicats continuent de faire pression. A suivre... Rime TAYBOUTA L'info...Graphie Secteur privé Des salaires plutôt bas !
Les chiffres relatifs aux salaires des employés du secteur privé ne sont pas très accessibles. Les dernières données publiées de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) datent de 2019. Elles indiquent que la masse salariale déclarée par le secteur privé s'est chiffrée à 158,71 milliards DH à la même année. 45% des salaires déclarés en 2019 étaient inférieurs au SMIG mensuel et 16% percevaient des salaires mensuels dépassant 6.000 DH. 49% des femmes percevaient moins que le SMIG contre 43% des hommes. Le salaire mensuel moyen déclaré en 2019 s'élevait à 5.255 DH contre 5.188 DH en 2018, ce qui représente une croissance de 1,3%. Le salaire médian est passé de 2.738 DH en 2018 à 2.787 DH en 2019, soit une croissance de 1,8%. Dans la tranche des hauts salaires (10.000 DH et plus), seuls 75.909 femmes touchaient 10.000 dirhams et plus, contre 171.485 hommes. Par secteur d'activité, le rapport de la CNSS relève que le secteur des activités financières et d'assurance enregistrait le salaire mensuel moyen et le nombre de jours moyen les plus élevés atteignant respectivement 14.937 DH et 281 jours, contre une moyenne globale de 5.255 DH et 214 jours par an.
Mesures spécifiques Que prévoit le gouvernement ?
Le PLF2023 introduit une série de mesures fiscales permettant de promouvoir l'emploi : Allègement de la charge fiscale des titulaires de revenus salariaux et assimilés et des retraités : - Relever le taux forfaitaire de déduction pour frais inhérents à la fonction ou à l'emploi de 20% à 35% pour les personnes dont le revenu brut annuel imposable est inférieur ou égal à 78.000 dirhams. - Relever le taux d'abattement forfaitaire applicable en matière de pensions et rentes viagères de 60% à 70% sur le montant brut imposable desdits revenus ne dépassant pas 168.000 dirhams. Prorogation jusqu'au 31 décembre 2026 du délai de l'exonération de l'IR au titre du salaire mensuel brut plafonné à 10.000 dirhams versé par les entreprises créées durant la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2022, dans la limite de 10 salariés. Mise en oeuvre progressive du principe de l'imposition du revenu annuel global des personnes physiques. Révision du mode d'imposition et de contrôle de l'IR/profit foncier. Rationalisation des avantages fiscaux prévus en matière d'IR/ salaire au profit des salariés des banques et entreprises d'assurance ayant le statut CFC (Casablanca Finance City). Amélioration des régimes de l'auto-entrepreneur et de la Contribution professionnelle unique (CPU).
3 questions à Badr Lachgar « La masse salariale des fonctionnaires représente environ 50% du budget d'exploitation de l'Etat »
Badr Lachgar, analyste financier, nous livre son analyse sur la hausse des salaires. - Dans quelles mesures le gouvernement peut-il acter une hausse générale des salaires ? - L'état peut augmenter les salaires des fonctionnaires, mais ne dispose pas d'un arsenal juridique qui lui permettrait d'obliger les entreprises à adopter une quelconque hausse généralisée des salaires. En effet, le contrat de travail, étant un accord entre le salarié et son employeur, ne prévoit pas l'intervention d'un tiers (en l'occurrence l'Etat) pour ajuster les salaires. Cependant, l'Etat peut augmenter le niveau du SMIG de manière coercitive et assurer aux salariés de cette tranche de bénéficier d'une hausse obligatoire de leur salaire, mais pas plus. Pour inciter à la hausse des salaires à court terme, l'Etat ne peut que baisser les charges patronales supportées par les employeurs afin de les encourager à augmenter le salaire de base brut, ou geler les charges patronales sur toutes les hausses de salaires pour pousser les employeurs à entreprendre de telles décisions. - Les caisses de l'Etat peuvent-elles supporter une hausse générale des salaires dans le secteur public ? - Il convient tout d'abord de rappeler qu'au Maroc, la masse salariale des fonctionnaires représente environ 50% du budget d'exploitation de l'Etat (environ 13% du PIB marocain alors que la moyenne de la zone euro par exemple est à 10%) ! Ce chiffre est très élevé et prouve encore une fois que l'Etat dispose de peu de marge de manoeuvre en termes d'investissements publics. Pourtant, notre modèle de croissance au Maroc est étroitement lié à la capacité de l'Etat à lancer de l'investissement public pour créer des emplois et remplir le carnet de commandes des entreprises. - Comment donc soutenir le pouvoir d'achat des ménages à court terme ? - L'Etat peut baisser la TVA sur les produits de première nécessité (alimentation et transport). Cela se fera ressentir instantanément sur le pouvoir d'achat de la classe moyenne. En parallèle, afin de pallier la baisse des recettes publiques, l'Etat doit resserrer l'étau fiscal autour de certains secteurs et métiers, à titre d'exemple : les fonctions libérales, les footballeurs, les influenceurs et le gros marché de l'informel qui fait perdre à l'Etat des sommes colossales tous les ans. Sur le moyen et le long termes, la solution est plus évidente : de la croissance et de la croissance. Car ce n'est qu'en créant plus de richesses qu'une économie peut mieux rémunérer ses acteurs et partager plus de valeur ajoutée avec eux. Recueillis par R. T.