Moins d'un mois après la rupture des relations entre le Pérou et le Polisario, Lima a fait volte-face. Après la Colombie, c'est le second pays d'Amérique Latine à se rapprocher de la pseudo-RASD. Un revers diplomatique pour le Maroc ? Interview. - Comment expliquez-vous la décision péruvienne de renouer les relations diplomatiques avec le Polisario ? - Cela démontre le manque de coordination en interne entre le Président péruvien Pedro Castillo et son ministre des Affaires étrangères Miguel Rodríguez Mackay. Lorsque Castillo a nommé Mackay début août, on pensait justement que ce dernier allait avoir une marge de manoeuvre beaucoup plus large que ses prédécesseurs. Il s'agit du quatrième ministre des Affaires étrangères du Pérou en un an. Rappelons qu'en octobre 2021, à peine quelques semaines après son élection, Pedro Castillo a pris la décision de renouer avec le Polisario pour des raisons et des convictions idéologiques. La crise actuelle, avec la démission de Mackay et la nécessité de nommer un cinquième ministre des Affaires étrangères en un an, prouve qu'il y a une véritable crise à l'intérieur du processus décisionnel péruvien entre le Chef de l'Exécutif et le Chef de la Diplomatie. Le Polisario a effectué un véritable travail démagogique depuis deux décennies auprès de la gauche péruvienne, comme il l'a fait auprès de la gauche de beaucoup de pays. Et Pedro Castillo a finalement cédé à de vieux réflexes idéologiques. - Doit-on en conclure que les relations diplomatiques entre Rabat et Lima sont définitivement altérées ? - Définitivement altérées, je ne pense pas, car en diplomatie, on ne peut jamais parler de choses définitives. Il y aura certainement de la méfiance du côté marocain, puisque c'est une mauvaise surprise et que cela dénote d'un manque de continuité dans les relations entre les deux pays. Ce manque de continuité complique la politique étrangère entre les deux pays, puisque cela ne permet pas la mise en place de projets bilatéraux concrets, dans les domaines politique, économique ou culturel. - Après les décisions colombienne et péruvienne de renouer contact avec le Polisario, le Maroc a-t-il définitivement perdu pied en Amérique du Sud ? - Il y a des points communs entre les décisions colombienne et péruvienne. Ce sont deux présidents qui viennent de gauche, et qui pendant très longtemps ont fait partie d'une gauche radicale, chacun dans son pays respectif. Ce qu'on observe, c'est qu' à chaque fois qu'un gouvernement de gauche met les pieds dans les palais présidentiels, il y a tout de suite une crainte de la part du Maroc d'une reconnaissance de la pseudo-RASD, même si elle n'est pas toujours avérée. En Colombie et au Pérou, il y a eu des efforts de la part de la diplomatie marocaine. Quand on prend le cas de la Colombie, sur les dernières années, notamment durant le mandat d'Iván Duque, il y a eu nombre de partenariats mis en place. Bogota avait même reconnu que le plan d'autonomie marocain pour ses provinces du Sud était la meilleure solution et la plus réaliste. Ce qui était un changement radical de l'approche colombienne par rapport à ce dossier. - Comment le Maroc devrait-il réagir face à la montée d'une gauche pro-Polisario en Amérique Latine ? - Ce qu'il faudrait à la diplomatie marocaine, c'est sortir de cette vision gauche-droite qui est une vision héritée de la guerre froide, avec un Maroc vu comme un ami de l'Occident, comme un pays aligné sur les Etats-Unis. Il faudra expliquer que le Maroc a de bonnes relations avec d'autres partenaires, dans une approche multilatérale. Rabat devrait développer une politique étrangère propre et spécifique vis-à-vis de l'Amérique Latine, et qui soit trans-courants. Pour cela, il faut bien évidemment avoir des diplomates, des universitaires, des chercheurs qui soient de véritables spécialistes de l'Amérique Latine avec une connaissance fine de la sociologie politique de chaque pays. C'est-à-dire sortir aussi de cette vision de l'Amérique Latine comme d'un ensemble cohérent. Il faut affiner notre analyse, en ayant une approche spécifique pour le Mexique, pour le Pérou, pour la Colombie. Et avoir la capacité d'action pour pouvoir promouvoir les intérêts du Maroc et au premier plan la question du Sahara marocain. - Il faut donc inscrire notre travail diplomatique dans la durée pour espérer que ces pays changent de position... -Cela nécessite effectivement un travail de fond étalé sur des années et une coordination entre le ministère des Affaires étrangères, le monde universitaire, le monde intellectuel et le monde économique via par exemple les réseaux patronaux. C'est quelque chose de compliqué à mettre en place et qui nécessite du temps. Et selon moi, c'est la seule solution pour répondre aux différents enjeux et défis en Amérique Latine, et contrer cette gauche pro-Polisario. On doit montrer que le Maroc, au niveau culturel, au niveau économique et au niveau politique, peut apporter des avantages spécifiques. Et bien sûr jouer sur sa géographie propre, porte d'entrée vers l'Afrique pour ces pays-là. Le Polisario met en avant la langue espagnole, parlée par la plupart de ses dirigeants, pour communiquer avec les pays de l'Amérique Latine. Le Maroc a aussi une tradition hispanophone, oubliée malheureusement. L'espagnol est pratiqué de façon historique dans le Nord du Maroc et dans le Sahara marocain. Cette tradition, il faut essayer de la remettre au goût du jour en signant des partenariats avec des institutions de l'Amérique Latine. Soufiane CHAHID Pérou : Pedro Castillo sur un château de cartes Président du Pérou depuis juillet 2021, Pedro Castillo est dans une situation fragile. Il a été élu avec une très faible majorité de 50,1% face à son opposante de droite, Keiko Fujimori. Le nouveau président doit composer avec un Congrès qui lui est opposé, puisque dominé par le centre, la droite et l'extrême droite. Cela s'est reflété sur la composition de son gouvernement, car en moins d'un an, Pedro Castillo a dû changer quatre fois de ministre des Affaires étrangères, trois fois de Chefs de Gouvernement et sept fois de ministres de l'Intérieur. Pour ne rien arranger aux choses, le nouveau président est sous six enquêtes préliminaires du Parquet pour corruption et trafic d'influence. Pedro Castillo s'en défend en criant au complot.