La critique littéraire est une production qui a pour but « d'étudier » les oeuvres littéraires. C'est incontestablement une pratique bénéfique pour toute littérature. C'est ce métatexte qui permet de distinguer les bonnes oeuvres, de sonder leurs secrets et de les faire aimer. Il est vrai que la critique littéraire, pour une très grande partie, a depuis longtemps abandonné le jugement de valeur des oeuvres. Elle se contente de décrire et d'analyser pour dégager une esthétique ou une vision du monde. « La véritable critique des institutions et des langages, disait Barthes, ne consiste pas à les juger, mais à les distinguer, à les séparer, à les dédoubler. » Mais ce travail de sélection est en passe de nous indiquer les chefs d'oeuvre de l'époque. Il convient de noter également que la critique littéraire est une création, c'est une oeuvre autour de l'oeuvre, d'où le mot de Barthes « dédoubler ». Il est évident que la critique qui domine aujourd'hui est celle dite « journalistique ». Des journalistes commentent brièvement des livres et sombrent souvent dans la subjectivité et la superficialité. L'écriture journalistique, de par l'exigence relative à la quantité et à la réception, oblige à la simplicité, au laconisme et au manque de profondeur. Il en est de même pour les émissions de télévision et de radio. Les livres sont souvent survolés et le pré-texte (le travail préparatoire du livre) ou la vie de l'auteur prennent parfois le dessus. Le livre n'est alors qu'un prétexte. Ces paramètres permettent de dire comme Joel Schmidt qu'il existe une « crise de la critique ». Dans un article qui porte ce titre, le critique littéraire montre que le monde de l'image a détruit le domaine des études littéraires. Mais l'une des raisons qui intéressent dans ce texte est celle en rapport avec l'amitié. Joel Schmidt reconnaît que les relations humaines influent sur la qualité et l'objectivité du travail critique. Des critiques littéraires trouvent les livres de leurs amis excellents par amour ou s'efforcent de les trouver tels par complaisance. Mais, faute de mieux, il y a lieu d'encourager les rédacteurs à produire, à commenter l'actualité littéraire et à faire connaître les auteurs. Un discours élogieux en manque d'analyse Récemment, un auteur marocain, S.M., écrit sur Facebook qu'il remercie chaleureusement un écrivain français résident au Maroc, J.Z., de l'avoir cité dans l'un de ses livres. Ce qui retient l'attention, c'est qu'il décrit l'attitude de l'écrivain français comme « louable qui reflète les qualités humaines de cet auteur ». Il est vrai qu'il s'agit ici de mention au sein d'un roman et non d'un livre de critique littéraire mais l'expression « qualités humaines » demeure déplacée. On dirait que la mention de son nom est considérée par cet auteur comme une aumône. Ce n'est jamais par « qualité humaine » que l'on doit citer et apprécier un livre mais seulement quand celui-ci s'impose par sa qualité. En effet, beaucoup de cercles d'auteurs se jettent perpétuellement des fleurs. A la sortie du livre de l'un, l'autre le commente, le loue dans un article ou en modère une présentation. Le discours est toujours amical, élogieux et manque d'analyse. Ces cénacles d'adulateurs empêchent le discours critique de progresser. Un auteur marocain, A.N., responsable d'un journal, m'informe gentiment quand je lui envoie un article que le journal a ses propres rédacteurs. Il me recommande ses livres, tout ce qu'il y a de poli. J'achète et je lis. « Tu peux rédiger un commentaire, je le publierai volontiers dans le journal», me dit-il sans sourciller. Un autre responsable de pages culturelles dans un quotidien, M.N.Y, publie les textes de ses amis, de ceux qui likent ses statuts sur Facebook et qui rient à ses blagues. Quand je lui envoie mon article, il remarque que je suis dans sa liste d'amis mais que je ne réagis jamais à ce qu'il fait. Il me répond un « Inchallah ». Quelques jours après, il me supprime de sa liste. Il faut donc flatter d'abord les journaux afin qu'ils vous permettent ensuite d'encenser les auteurs. Très souvent, ce n'est pas la qualité ni la compétence qui sont recherchées, mais la complaisance et le politiquement correct. Heureusement, il y a toujours des exceptions. El Yazid DAOUD Professeur agrégé de lettres françaises