À l'instar d'autres pays, le Maroc est en voie d'achever sa transition démographique marquée par un vieillissement de sa population. Faut-il s'en inquiéter ? Lundi 11 juillet 2022, la Journée mondiale de la Population célébrera le passage de la démographie mondiale à 8 milliards de personnes. La date, choisie depuis 1987, est une occasion « pour attirer l'attention sur les multiples questions liées à la population et le développement » dans un contexte marqué par un phénomène de transition démographique où la majorité des pays enregistre une tendance de vieillissement des populations. Au vu des avancées de la médecine et des transformations sociétales, l'inversion progressive de la pyramide d'âge s'explique, globalement, par l'augmentation de la durée de vie des personnes, mais également par le taux de fécondité qui enregistre des tendances baissières. D'après les Nations Unies, la population mondiale devrait continuer à augmenter pour atteindre 9,7 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100. L'Afrique sera à cet égard la principale locomotive puisqu'elle concentrera plus de la moitié de la croissance démographique dans le monde d'ici 2050. Quid du Maroc ? En dépit de sa position géographique, les données démographiques montrent que le Royaume est en train de connaître le même phénomène de vieillissement de la population. « Actuellement, et au terme de la deuxième décennie du nouveau millénaire, le Maroc, à l'instar de plusieurs pays, est en voie d'achever sa transition démographique grâce à l'amélioration de l'espérance de vie de sa population et de la chute de la fécondité. Cette évolution se traduit par un accroissement de l'effectif des personnes âgées », explique une note du Haut-Commissariat au Plan (HCP) publiée en octobre dernier. Ainsi, en 2021, près de 4,3 millions de personnes sont âgées de 60 ans et plus, représentant 11,7% de la population totale, alors qu'elles n'étaient que 2,4 millions en 2004 et 8% de la population totale. Selon les projections démographiques réalisées par le HCP, « d'ici 2030, l'effectif des aînés de 60 ans et plus atteindrait un peu plus de six millions, soit une augmentation de 42% par rapport à 2021 et représenterait 15,4% de la population ». Faut-il s'inquiéter ? Telle qu'elle a été enregistrée dans divers pays touchés précocement par le phénomène (Japon et Europe entre autres), la tendance du vieillissement des populations s'est accompagnée de plusieurs conséquences socioéconomiques, parfois négatives. Notre pays se dirige-t-il vers une reproduction du même scénario ? « Les statistiques montrent, certes, une augmentation de 11,7% des personnes âgées de plus de 60 ans, mais ceci s'est accompagné d'une augmentation de 62,5% des personnes âgées entre 15 et 59 ans. Le rapport du Haut-Commissariat au Plan montre également une diminution de la part des personnes âgées de moins de 14 ans dans le total de la population », nuance El Mehdi Ferrouhi, Professeur d'économie et de finance à la Faculté d'Economie et de Gestion de l'Université Ibn Tofail. « La pyramide des âges ne s'est toujours pas inversée, ce qui fait que les conséquences du vieillissement de la population ne peuvent être importantes et dévastatrices pour le moment », ajoute la même source. (Voir interview ci-contre). Des mutations en cours Pour l'instant, l'effet déjà visible de cette mutation de la structure de la population au niveau national se constate dans l'évolution du chiffre d'affaires de « l'économie du bien-vieillir » qui, selon la Direction des études et des prévisions financières (DEPF), devrait passer de 53 MMDH en 2014 à plus de 640 MMDH en 2050. Pour El Mehdi Ferrouhi, le Royaume gagnerait à anticiper ces mutations en mettant principalement en place les leviers nécessaires pour garantir aux jeunes un meilleur accès au marché de l'emploi. « Je pense que l'Etat devrait maintenir et renforcer ses initiatives visant la création d'emplois et la réduction du taux de chômage, notamment à travers des programmes de financement au profit des jeunes. Ceci favorisera la croissance du nombre de nouvelles cellules familiales qui pourront assurer le renouvellement de la population », souligne l'enseignant-chercheur. À noter que le HCP prépare actuellement un nouveau recensement de la population marocaine qui devrait permettre de mieux appréhender l'état d'avancement de la transition démographique dans notre pays. Oussama ABAOUSS Repères Quelques indicateurs Au Maroc, les statistiques du HCP montrent que le taux de fécondité est passé de 5,9 pour mille en 1975 à 2,1 pour mille en 2020. Une diminution de 34,6% (entre 2007 et 2020) a été enregistrée en termes d'actes de mariage établis alors qu'une augmentation de l'âge moyen au premier mariage a été notée aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Pour les hommes, cet indicateur est passé de 27,9 ans à 31,9 entre 1987 et 2018. Pour les femmes, l'âge moyen au premier mariage est passé de 23,4 ans à 25,5 ans.
Vieillir en ville ou à la campagne ? En raison principalement de l'exode rural passé, l'effectif des personnes âgées va s'accroître plus rapidement en milieu urbain qu'en milieu rural. Ainsi, les personnes âgées en milieu urbain verront leur effectif se multiplier par 1,5 fois entre 2021 et 2030, passant de 2,8 millions en 2021 à près de 4,2 millions vers 2030. Par contre, en milieu rural, l'effectif des « aînés » va connaître une multiplication par un coefficient de 1,2 en passant au cours de la même période de 1,5 million à environ 1,8 million. L'info...Graphie Statistiques Vers une stabilisation du taux de « dépendance démographique »
Selon le Haut-Commissariat au Plan, le taux de « dépendance démographique » enregistré au Maroc, « après sa baisse tendancielle engagée depuis 1971 passant de 112,8 à 63,9% en 2004 puis à 60,3% en 2014, a atteint son point d'inflexion à 59,1% en 2018 et 2019 pour se situer à 59,6% en 2021 ». À noter que le ratio de « dépendance démographique » permet de mesurer la pression qui s'exerce sur la population productive, qui subvient aux besoins économiques de l'ensemble de la population. Cet indicateur se calcule à travers le rapport entre la population des jeunes et des personnes âgées (moins de 15 ans et 65 ans et plus) et la population en âge de travailler (15 à 64 ans). Un ratio de dépendance bas signifie que la population productive est suffisamment nombreuse par rapport aux inactifs pour les entretenir facilement sur le plan économique. À l'inverse, un ratio de dépendance élevé indique une forte pression économique sur la population productive, qui doit assurer la subsistance d'inactifs proportionnellement nombreux.
Evénement Les défis liés aux droits, à l'égalité et à l'autonomisation des populations
À l'occasion de la Journée mondiale de la Population qui est célébrée le 11 juillet 2022, le Bureau du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) au Maroc a récemment lancé la campagne « 8 milliards de personnes = 8 milliards d'opportunités ». La première rencontre de cette campagne a été organisée le mardi 5 juillet 2022 en partenariat avec la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales – Université Mohammed V de Rabat. L'événement sous le thème : « Pour une justice sociale, climatique et de genre » a réuni des participants issus des départements ministériels, de la société civile et du milieu universitaire qui ont tenté de « cerner les différentes interconnexions entre les droits humains des femmes et des jeunes filles et les changements climatiques, ainsi que la jouissance égalitaire des droits, notamment le droit au développement, à la santé et à la protection contre les violences et autres pratiques néfastes à l'égard des femmes et des filles, particulièrement le mariage d'enfants ». Selon les organisateurs, cette rencontre a également été une occasion de « lancer une dynamique associative qui conduira un travail conjoint avec l'appui de UNFPA sur les questions liées à la population, le genre et les changements climatiques. En préparation à la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27), cette dynamique collective vise à plaider pour « relever les défis aux droits, à l'égalité et à l'autonomisation des générations présentes et futures ».
3 questions au Pr El Mehdi Ferrouhi
« Le vieillissement de la population pourrait réduire l'offre de main-d'oeuvre »
Professeur d'économie et de finance à la Faculté d'Economie et de Gestion de l'Université Ibn Tofail, Mehdi El Ferrouhi répond à nos questions sur les conséquences probables du vieillissement des populations. - Quels sont les impacts potentiels du phénomène de vieillissement des populations ? - Si la part de la population âgée de plus de 60 ans continue sa tendance haussière et celle de la population âgée de moins de 14 ans continue sa tendance baissière, il faudrait s'attendre à un inversement de la pyramide des âgées dans les vingt à trente ans à venir. Dans une telle situation, nous pouvons être témoins d'un premier effet sur le marché de l'emploi et sur l'inflation. En effet, le vieillissement de la population pourrait réduire l'offre de main-d'oeuvre menant ainsi à l'augmentation des salaires. Dans une situation extrême, le recours à la main-d'oeuvre étrangère pourrait s'avérer nécessaire. - L'épargne et le système de sécurité sociale seront-ils également impactés? - Effectivement. Les caisses de retraite seraient également concernées puisque le vieillissement de la population influencerait négativement les recettes vu la diminution des cotisations. Le phénomène pourrait également avoir un impact négatif sur l'épargne. Sans intervention de la Banque Centrale pour réduire le taux directeur, ceci pourrait mener à une augmentation des taux d'intérêts bancaires, ce qui impactera négativement l'investissement. - Ce phénomène peut-il engendrer des impacts positifs ou des opportunités d'investissement ? - Les dépenses publiques en matière d'investissement seraient également impactées par le phénomène puisque l'Etat serait amené à diminuer ses investissements en infrastructures d'éducation, notamment les établissements d'enseignement, et augmenterait ses investissements sociaux avec la construction de plus d'hôpitaux et de maisons de retraite. Une telle situation pourrait, cependant, être une opportunité, principalement pour les investisseurs dans le secteur de la Santé.